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Archives pour février 2012

Empty quarter, une femme en Afrique – Raymond Depardon – 1985

51.2Identification d’une femme.

   9.5   Il y a à la fois le désir de glisser vers la fiction et le besoin de rester accaparé par le réel. Empty quarter est un tournant dans l’œuvre de Raymond Depardon, un film témoin majeur de l’évolution de son cinéma, de ses quêtes, ses obsessions, ses doutes. C’est un film qui ne ressemble à aucun autre pour plusieurs raisons. Tout d’abord dans son ambition formelle, le cinéaste optant pour des plans qui suggèrent sa présence derrière l’objectif mais qui ne le montrent jamais, apparaissant alors uniquement par l’intermédiaire d’une voix off qui raconte au présent des sensations ou revient sur un instant comme souvenir emblématique d’un passé réel.

     Contrairement aux tous précédents travaux du cinéaste, de Reporters à San Clemente, Empty quarter est un film joué, c’est aussi un film scénarisé. Il y a pourtant un doute qui subsiste dans les premiers instants du film, un doute lié davantage à ce questionnement perpétuel du narrateur plutôt qu’à la mise en scène de ce corps féminin qui erre dans chaque plan. Cette errance est sublime au passage, ça devient l’occupation corporelle d’un plan, avec une volupté et une grâce déconcertantes. Ce corps c’est celui de Françoise Prenant, la monteuse des films de Raymond Depardon depuis Faits divers. Mais le cinéaste narrateur en parle vraiment comme si c’était une vraie rencontre, que c’était elle et personne d’autres. C’est très troublant. Et cela rejoint cette ambition de faire du réel dans la fiction. Raymond Depardon avoue hors film avoir vécu cette histoire de manière vaguement semblable à Saigon il y a quelques années. Empty quarter devient un film important pour lui, accoucher sur pellicule non pas quelque chose dont il ferait la découverte au présent, mais une sensation plus intime, une obsession qui le hante.

     La question de la bonne distance est présente dans chacun de ses films, il se la pose systématiquement. Il se demande si ceci filmé ainsi n’est pas vulgaire, si ceci filmé comme ça n’est pas voyeur. Rappelons-nous ces plans limites de Faits divers où il débarquait aux côtés de la police chez une femme qui venait de faire une attaque, il filme sa mort sans que ce soit prémédité puis filme le chagrin de son mari. C’était très gênant, très embarrassant et pourtant on sentait un soin apporté à cette question de la distance, une manière de filmer, de se mettre en retrait, de couper au bon moment. Dans Empty quarter, la question est de savoir comment filmer ce corps féminin à bonne distance et mettre en scène les mots de cet homme qui recouvrent tout, comment faire partager ce regard que l’on porte sur elle, comment érotiser sans vulgariser, c’est une question nouvelle chez Depardon.

     C’est un film d’amour, une obsession, c’est aussi une grande douleur, le film le plus radical de Raymond Depardon. Et ce qui fait sa force reste son ancrage dans le réel, ce parcours impossible dans le film qui fut le même lors du tournage. Bien sur, le cinéaste n’est pas dupe, le film aurait pu être fait entre quatre murs à Djibouti, mais ça ne l’intéressait pas, il fallait sentir cette progression, ce voyage à travers l’Afrique, comme un parcours chaotique, entre agacement et grâce. Les différences de lumière selon les lieux. Et surtout continuer de filmer l’extérieur pour que ça ne soit pas seulement un décor. Empty quarter est donc un grand voyage. Le voyage d’une obsession d’un homme pour une femme, d’une réciprocité qui ne s’établira jamais, au travers d’un continent, une Afrique aride et magnifique.

New York N.Y. – Raymond Depardon – 1986

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Barrière de la ville.  

   8.0   Durant le premier plan, voyage téléphérique de jour entre les rues et gratte-ciel de la ville, la voix off, celle de Raymond Depardon lui-même, souligne son incapacité à s’accaparer de ce lieu, à filmer son énergie, son unité, à faire un film sur New York. Il dit avoir filmé un peu chaque jour durant quelques mois en ayant l’impression continue de le faire inutilement, de faire quelque chose qui irait à l’encontre de ce qu’il cherche, à savoir le film comme un reflet. Ces quelques mots qui accompagnent les premières secondes de ce non-film prennent alors une valeur tragique, désespérée. La ville est trop forte pour la filmer. Sa magie est telle que le cinéaste est obligé de capituler. Il rentre à Paris. De ce projet de long-métrage sur New York, Raymond Depardon gardera trois plans et en gardera le geste de celui qui reconnaît son impuissance, un court métrage de neuf minutes. Trois plans : un aller et un retour, en miroir, dans le téléphérique de la ville, le jour puis la nuit. Et un plan central d’une rue piétonne. Il a été choisi le noir et blanc comme pour souligner son inaccessibilité, son intemporalité, une ville si puissante qu’on n’ose lui mettre de couleur. A la manière du News from Home de Chantal Akerman, ce film témoigne d’un passage en ce lieu, trop fort pour le cinéma à chaque fois puisque dans l’un ce n’était pas le format qui dépareillait mais l’utilisation des mots, cette parole quasi inaudible, qui lisait des lettres envoyées en France mais se perdaient dans le bruit de la ville. New York N.Y. dit finalement beaucoup de ce que recherche Depardon par le cinéma, qui existe en écho à cet autre court métrage qu’est Dix minutes de silence pour John Lennon, dans lequel se produit exactement l’inverse, quelque chose germe, une sensation, une ambiance, une symbiose qui rend compte de la force de l’instant. Cette force là, Depardon ne l’aura trouvée qu’à Central Park, ce jour-là si précis. En l’absence d’un événement prémédité (rappelons qu’il avait aussi filmé la minute de silence pour Ian Palach à Prague) cette force, cette magie du cinéma n’ont pas séduit l’auteur, la grande pomme n’a rien voulu lui partager.

Dix minutes de silence pour John Lennon – Raymond Depardon – 1980

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Ballet mutique et immobile.

   8.0   Le pari est spontané. Le cinéaste est aux Etats-Unis et apprend que l’on donne dix minutes de silence dans Central Park à la suite de l’assassinat de John Lennon la veille. Il avait fait la minute pour Ian Palach, mais dix c’est autre chose. Il se prostre alors au milieu de la foule et commence à filmer. De quelque chose d’un peu banal à première vue, presque télévisuelle dans son approche (gros plans sur des visages) commence à éclore peu à peu un truc incroyable, une respiration, un climat, l’impression que dix minutes filmées de cette manière là, à savoir en un seul plan-séquence, la caméra s’arrêtant sur un visage (ou plusieurs) puis se déplaçant vers un autre, deviennent uniques dans leur représentation de ce moment bien précis, un truc que l’on ne verra plus. C’est un silence qui pèse, longtemps, des visages marqués, certains en larmes, d’autres aux regards vers le sol, vers le ciel, dans le vide. Des positions singulières entre ceux qui restent debout sans bouger, ceux assis dans l’herbe, d’autres encore allongés, voire même quelques-uns uns perchés dans les arbres. Ça devient une chorégraphie de l’immobilité et du silence, tellement beau et harmonieux, singulier et cinégénique qu’on se demande comment cela a pu être possible sans organisation bien précise. La prise de son, évidemment délaissée, a malgré tout son importance sur deux points : un bruit d’hélicoptère qui couvre ces minutes en tournant autour du parc puis le retentissement d’Imagine de John Lennon en guise d’applaudissements à l’événement. J’ai trouvé ça incroyable. Ça dure dix minutes et c’est bouleversant.

Louise Wimmer – Cyril Mennegun – 2012

50.2Le dernier combat.

   6.5   Louise Wimmer est le portrait d’une combattante, post cinéma des Dardenne. Louise Wimmer comme Rosetta ou Lorna. Le film mise beaucoup sur l’interprétation. A ce titre Corinne Masiero est stupéfiante. Elle est le corps du film. Et la mise en scène accentue cette présence corporelle si bien qu’elle masque le récit. Le passé de Louise n’est que zones d’ombres et si petit à petit il se découvre, rien n’est évident non plus. Cette séparation d’avec son mari, cette fierté (ou cette honte ?) qui la pousse au secret même face à sa fille, ces nombreuses dettes dont elle est affublée, tout n’est qu’illustration d’une carapace solide, dont on imagine à aucun moment qu’elle s’apprête à rompre alors que pour un autre c’eut été le cas. La réussite majeure du film est qu’il évite les plus gros écueils : Il ne croule jamais sur une quelconque surcharge théorique et symbolique. L’emploi musical du Sinnerman de Nina Simone en est la plus fidèle représentation. Le morceau fait partie intégrante du récit, il est à l’intérieur, jamais utilisé comme une possible rampe de lancement ou le thème répétitif de la survie ou encore celui du cercle sans fin. Il est un peu tout ça. Dans la voiture de Louise l’autoradio est cassé, enfin il semble cassé, elle n’a apparemment pas le choix d’écouter ou non la musique. A première vue on peut imaginer qu’il lui sauve la mise, qu’il est le coup de fouet. Mais pas du tout, ce morceau l’énerve. Exploit : Sinnerman arrive à agacer. Il faudra se débarrasser de ce poids et une nouvelle fois cette étape n’apparaît pas comme un tournant fondamental. Louise se met à danser, dans une transe compulsive, puis stoppe définitivement le morceau en jetant l’autoradio. L’image pourrait être énorme mais Cyril Mennegun arrive systématiquement à s’en sortir, à privilégier le récit au symbole. L’autre force c’est la présence de la sexualité. Le statut de Louise ne la prive jamais de cet abandon sexuel qu’elle semble s’offrir systématiquement avec le même homme. Elle ne dégage aucune sensualité, jusqu’à être la propre artisane de ce corps d’apparence repoussoir, puisqu’elle refuse toute aide, tout cadeau de l’extérieur. Elle couche avec cet homme (dont on ne saura jamais rien, le film préférant rester rivé sur Louise et non sur les autres auxquelles elle refuse la parole) mais ne profite pas de cela pour dormir sous un toit ce qui ne l’empêche pas de déclarer à l’assistante sociale habiter chez un ami qui l’héberge. Tout n’est pas forcément bien dessiné autour (le gérant de l’hôtel (trop chargé), le comparatif entre la première assistante sociale (sorcière sans âme) et la seconde (divine providence)) mais le film évite malgré tout les facilités, et ces maigres facilités, si elles existent, apportent un contrepoint au récit, visant à atteindre une certaine angoisse. La peur qu’elle perde son travail, que sa voiture rende l’âme, qu’elle ne trouve pas d’appartement. Le film dure quatre-vingt minutes, pas une de plus et heureusement tant il devient oppressant, épuisant. Mais à l’image de cette danse dont je me souviendrais longtemps on a plus vite fait de lâcher prise intégralement (acceptation de la fin, que rien ne rentrera jamais plus dans l’ordre) tandis que Louise sait y mettre un terme définitif. La fin paraît détachée de tout, lorgnant presque vers l’utopie, mais une fois encore Cyril Mennegun ne tombe pas dans le happy-end grossier, ni pédagogique, cette renaissance semble être le fruit providentiel d’un retour miracle comme ça aurait pu être l’inverse et on se prend à penser que le film ne raconte pas long temporellement, qu’il se situe dans cet état de retour/non-retour dont seul un miracle peut en être l’épilogue. C’est la même fin que dans le dernier film des frères Dardenne, Le gamin au vélo. On y croit sans y croire, ça n’a plus d’importance, c’est au-delà du réel. C’est donc à la fois très anxiogène autant que c’est un beau manifeste de survie. Reste qu’on en revient toujours au personnage, le film n’existe pas sans elle : ce corps imposant, ce physique de fer, le film est le portrait de la crise mais aussi celui d’une force de la nature parmi les laissés pour compte.

Take shelter – Jeff Nichols – 2012

Take shelter - Jeff Nichols - 2012 dans Jeff Nichols Take-Shelter   8.5   La dernière séquence du film contient l’échange de regard le plus beau vu depuis longtemps.

Pour moi il n’y a pas d’ambiguïté concernant la véracité de la catastrophe pour deux raisons : l’enfant et la fenêtre. C’est le regard d’Hannah qui saisit en premier la menace présente dans le ciel. Puis, lorsque Samantha sort les rejoindre, nous découvrons le reflet de cette menace dans la fenêtre. L’homme est en état de perdition telle que le visible, se substituant à la vision, ne peut s’effectuer uniquement via un procédé extérieur à l’œil adulte : l’innocence enfantine et la réalité en miroir.

Avec le recul je me rends d’ailleurs compte que j’ai pu éprouver une certaine ambiguïté dans la scène de la première tempête, dès l’instant que l’on restait à l’intérieur de l’abri. L’enfant est généralement un révélateur parlant dans les films catastrophe, mais ici il est atteint de surdité, c’est donc un langage des signes en permanence, son point de vue est plus difficile à discerner. Quant à la femme, elle peut très bien jouer le jeu par empathie pour son mari ou simplement pour qu’il guérisse, on peut même se dire que dans un autre film cette scène aurait pu être une mise en scène. Dans un autre film. Jeff Nichols est un réalisateur très intelligent, d’une part car ces deux séquences de tempête ne sont pas filmées de la même manière, l’une devenant celle de la guérison, l’autre de l’union. L’hypothèse de l’énième rêve demeure mais me paraît peu plausible.

Mais surtout parce que ce n’est pas ce qui l’intéresse à Jeff Nichols, l’ambiguïté. Take shelter, c’est la tourmente, la folie, un personnage, une famille, un abri. L’héroïsme se borne au cercle familial, Curtis construit un abri pour sa femme et sa fille – sa première idée est de l’agrandir – autour plus rien ne vit. On confie le chien au frangin, on s’inquiète de son état mental en interrogeant une mère folle depuis le même âge, on se sépare d’avec son collègue. C’est un effet gangrène. Et le film est tout sauf sympathique (il n’y a pas une empathie forcée) à ce sujet là, en tout cas pas avec le personnage masculin alors qu’il prend le parti d’être son point de vue tout le film durant, du moins jusqu’à l’ouverture de l’abri, après la tempête sans conséquences.

Jeff Nicols parvient à créer un personnage à part entière : la caméra. Donc l’œil spectateur. Détaché de Curtis sans l’être trop et trop proche de lui pour accepter le point de vue de Samantha. Illustration à merveille dans l’abri puisque je considère alors tellement Curtis comme un prophète que je suis surpris par l’attitude de Samantha, qui joue d’abord le jeu (les masques à gaz) avant de reconsidérer la situation (la fin de la tempête). Du coup, chaque personnage existe à l’écran et ne se substitue pas au point de vue du spectateur, d’où la possible ambiguïté finale, s’il en est.

Auparavant, ce sont les rêves quotidiens de Curtis que nous suivons. Le film s’ouvre même sur l’un d’eux. Et la mise en scène fait l’inverse de ce à quoi on a l’habitude de s’attendre, un mélange d’angoisse et de douceur. Le premier plan est une contre-plongée sur le haut d’un arbre, une légère brise chatouille son feuillage, c’est apaisant. Le second c’est le personnage devant sa maison, protecteur, les yeux levés vers le ciel, c’est déjà une menace mais le rythme – cadre et musique – crée le paradoxe. Le troisième c’est le dos tourné au premier plan et cette menace impressionnante dans le ciel. Le suivant c’est le visage de l’angoisse. Le suivant encore, une main ouverte qui reçoit les gouttes d’une pluie couleur huile. Ces rêves auront cette teneur, entre douceur et violence, si bien qu’à chaque basculement elliptique il est difficile de savoir si l’on se trouve dans le réel ou dans les cauchemars de Curtis. Le film aura donc installé cette angoisse très vite, il la gardera deux heures durant. Quand un tonnerre gronde dans un ciel bleu ça me tétanise. Quand on a droit à une scène de repas de famille j’angoisse. Et pas loin de me cacher les yeux quand je vois Samantha trempée, dans la cuisine, zombifiée, avec un couteau tout près. On est avec Curtis, on suffoque avec lui.

Le film n’est d’ailleurs pas manipulateur, il n’est pas question de faire angoisser le spectateur plus que Curtis lui-même. De profiter que l’on ne sache pas s’il s’agit d’un rêve ou non par exemple. Curtis ne distingue pas non plus cette limite. Il peut tout aussi bien éprouver ces visions dans un cauchemar nocturne ou lors d’une vision en plein jour. Le film place donc le spectateur entièrement à ses côtés, lui fait apprivoiser ses doutes et le tout est de s’inquiéter sur cet état, tout comme lui (il en a conscience, il consulte très vite un médecin) se demander s’il s’agit d’atouts prophétiques ou de schizophrénie paranoïaque. Le film trouve un juste équilibre. C’est le propre des grands films sur la paranoïa. Le dernier film en date qui m’avait autant malmené c’était Black swan. Pourtant je n’arrive pas à me dire que Take shelter est un film paranoïaque. Comme je ne pense pas non plus que ce soit un film sur la crise, la fin du monde. Il en est question, pas de doute, mais tout me semble loin de films comme La guerre des mondes ou Phénomènes. Tout est vécu de l’intérieur, dans l’intimité la plus simple et les visions auront leurs déçus. Point d’images de fin du monde, mais une simple tempête, un ciel assombris et quelques signes avant-coureurs comme cette pluie de chauve-souris. Même la fin est déceptive à ce compte là.

C’était pourtant la plus belle fin que Take shelter pouvait nous offrir. Elle prolonge la véritable identité du film, son centre c’est le couple, rien d’autre. Elargi jusqu’à l’enfant c’est la famille. Comment sauver sa famille ? Et la perspective d’union que le personnage recherche constamment trouve un aboutissement bouleversant dans la scène finale. Le couple n’aura eu de cesse durant tout le film de ne jamais prendre la vague ensemble et la plus belle idée injectée par Jeff Nichols est d’avoir paradoxalement crée une bulle qui détruit cette inquiétude. Le couple pourrait être menacé mais on ne ressent pas cette menace. Quand Curtis demande à Samantha si elle va le quitter, elle ne lui répond même pas, elle a peur pour lui, s’inquiète jusqu’à s’effondrer en larmes mais ne le stigmatise jamais à coup d’ultimatums, menaces ou chantages. Take shelter ne peut pas parler d’autre chose, les plus belles scènes du film sont celles qu’ils ont en commun, celle où elle se heurte à son mari qui lui avoue qu’il n’y a rien à expliquer, celle de l’aveu et l’échange final. Il y a une scène importante aussi qui permet de comprendre à la fois la démarche de Nichols dans sa mise en scène et celle de Curtis dans son obsession à être le père de famille sauveur, qui craint de perdre ce bonheur qui lui échappe – se rappeler les premières scènes lorsqu’il arrive encore à surmonter ces délires cauchemardesques. C’est le repas au Lions club. Après la rixe et le pétage de plomb de Curtis qui s’est donné en spectacle, Samantha pourrait prendre peur, partir au galop, le gifler, le mépriser, tout est envisageable tant c’est la première fois qu’on le voit réagir ainsi en public, qui plus est dans un lieu dans lequel elle l’a attiré, pour retrouver, dit-elle, un peu de cette normalité qui tend à lui échapper. Cette scène est à l’image du film : Samantha tente tout pour le sauver, l’engueuler, le gifler ou rester muette n’ont jamais vocation de l’abandonner, bien au contraire. A la fin de cette scène, il se met à pleurer, elle le prend dans ses bras, tous les voisins autour d’eux n’ont pas bougé d’un pouce, probablement tétanisés eux-aussi, mais ils sont maintenant dans le flou. La mise en scène ne se concentre désormais plus que sur le simple couple, enfin sur la famille. C’est l’union, l’accord entre eux qui peut sauver le monde. Lorsque leurs regards se croisent dans la dernière scène ça ne montre ni résignation ni approbation sur la clairvoyance de Curtis. C’est un couple qui regarde dans la même direction, un couple uni dans la mort, c’est l’union qui est le plus important, pas la mort. Qu’il s’agisse du réel ou d’un énième rêve, la fin signifie la même chose : la réunion dans la disparition. Best happy-end fin-du-mondesque ever !

Le chocolat (Chocolat) – Lasse Hallström – 2001

Le chocolat (Chocolat) - Lasse Hallström - 2001 dans Lasse Hallström 02.-Le-chocolat-Lasse-Hallstrom-2001-300x249

Binoche et la chocolaterie.

   2.5   Dans la première moitié du film, Binoche vient d’ouvrir sa chocolaterie dans un petit village dans lequel elle vient de s’installer, désireuse de changer – une fois encore – de vie accompagnée de sa fille qui la suit péniblement et aveuglément. Le village est entièrement catholique. L’ouverture d’une boutique comme celle-ci en période de Carême ne lui génère pas que des amis. Un moment, une dame, préalablement réticente à l’idée, rencontre la chocolatière. Elle veut lui raconter sa vie, ses malheurs. Son couple vacille, son mari ne lui fait plus l’amour. Binoche a le don outre de deviner les chocolats préférés de chacun, de leur prescrire un chocolat en fonction de l’humeur et c’est ainsi qu’elle préconise un chocolat bien particulier à cet homme. Reste plus qu’à la femme de jouer. L’idée s’arrêterait ici cela suffirait tant elle est comprise et déjà énorme – le film n’ira jamais à rebrousse poil du personnage de Binoche de toute façon. Montrer plus tard le couple heureux aurait été amplement suffisant. Mais le réalisateur décide d’enfiler ses plus gros sabots : La femme en question rentre chez elle et découvre son mari, affalé sur son sofa, qui ronfle tel un vieux sac. Elle se dit alors tout haut qu’elle rêve beaucoup trop et jette aussitôt les chocolats qui rebondissent sur le bord de la poubelle et terminent sur le sol sans qu’elle ne s’en aperçoive. C’est déjà génial. Alors on se dit que c’est chouette, qu’en plus d’une guérison et bien la femme ne va pas s’y attendre puisqu’elle aura littéralement oublié l’idée. Voilà donc que cette petite histoire peut s’arrêter. Que l’on verra bientôt le couple main dans la main, heureux. Sauf que ça ne s’arrête pas là. L’homme se réveille et bien entendu découvre les chocolats, il avale tout d’une traite, penchant le sac plastique au-dessus de sa bouche, le truc que jamais personne ne ferait. Pourquoi le faire plus beauf qu’il ne l’est déjà ? Qu’importe, la scène suivante est poilante : surexcité (il en transpire à grosses gouttes c’est répugnant) il rejoint sa femme qui est en train de faire le ménage, accroupie par-terre, le cul en l’air. L’échange en restera sur plusieurs plans sur les regards de chacun de façon simultanée. L’envie, la surprise, l’envie, le questionnement, l’envie, l’envie. On dirait du Jeunet puissance dix, c’est à vomir. Le film ne se résume peut-être pas à cette séquence carabinée mais il n’est jamais subtilité et cette complaisance jusqu’au-boutiste est on ne peut plus désagréable. C’est parfois mignon, c’est parfois même un joli petit conte inoffensif, mais certains dessins animés sont à ce niveau-ci nettement plus intéressant.

Le Havre – Aki Kaurismaki – 2011

Le port de l’ennui.Le Havre - Aki Kaurismaki - 2011 dans Aki Kaurismaki 04.-Le-Havre-Aki-Kaurismaki-2011-300x198

   2.0   De Kaurismaki je ne connais à ce jour que Les lumières du faubourg (dont j’étais resté modérément hermétique), L’homme sans passé (que j’aime assez) et donc celui-ci. Un Kaurismaki pur jus, comme on l’attendait, presque un best-of. Cinéma playmobil à son paroxysme, fable « je vous souhaite tout le bonheur du monde » et cinéma figé, éternellement figé que ça en devient sinon désespérant, totalement ennuyant. Le monde du cinéaste finlandais n’est qu’utopie débile et malheurs à en rire. On dit bien ‘havre de paix’ non ? Lui l’a assimilé. Remarquez, il a un monde c’est déjà ça, c’est d’ailleurs ce qui me pousse à la curiosité. C’est un cinéma qui se dit dans l’air du temps (la crise et l’immigration) mais un cinéma figé dans le passé. Certains n’y verront que gags et subtilités en rapport au cinéma et en son cinéma (Le même Marcel Marx que dans la vie de bohème, Arletty etc…) alors que je n’y vois qu’une impossibilité à se renouveler et d’ailleurs un film extrêmement pauvre en idées. Le cinéma utopique était une nouvelle fois de sortie cette année en France (Les femmes du 6e étage, Les neiges du Kilimandjaro : un bon film et un autre excellent) mais du cinéma utopico-réac neu-neu, ça tombe bien, il n’y en avait pas encore.

 


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