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Archives pour 16 février, 2012

Empty quarter, une femme en Afrique – Raymond Depardon – 1985

51.2Identification d’une femme.

   9.5   Il y a à la fois le désir de glisser vers la fiction et le besoin de rester accaparé par le réel. Empty quarter est un tournant dans l’œuvre de Raymond Depardon, un film témoin majeur de l’évolution de son cinéma, de ses quêtes, ses obsessions, ses doutes. C’est un film qui ne ressemble à aucun autre pour plusieurs raisons. Tout d’abord dans son ambition formelle, le cinéaste optant pour des plans qui suggèrent sa présence derrière l’objectif mais qui ne le montrent jamais, apparaissant alors uniquement par l’intermédiaire d’une voix off qui raconte au présent des sensations ou revient sur un instant comme souvenir emblématique d’un passé réel.

     Contrairement aux tous précédents travaux du cinéaste, de Reporters à San Clemente, Empty quarter est un film joué, c’est aussi un film scénarisé. Il y a pourtant un doute qui subsiste dans les premiers instants du film, un doute lié davantage à ce questionnement perpétuel du narrateur plutôt qu’à la mise en scène de ce corps féminin qui erre dans chaque plan. Cette errance est sublime au passage, ça devient l’occupation corporelle d’un plan, avec une volupté et une grâce déconcertantes. Ce corps c’est celui de Françoise Prenant, la monteuse des films de Raymond Depardon depuis Faits divers. Mais le cinéaste narrateur en parle vraiment comme si c’était une vraie rencontre, que c’était elle et personne d’autres. C’est très troublant. Et cela rejoint cette ambition de faire du réel dans la fiction. Raymond Depardon avoue hors film avoir vécu cette histoire de manière vaguement semblable à Saigon il y a quelques années. Empty quarter devient un film important pour lui, accoucher sur pellicule non pas quelque chose dont il ferait la découverte au présent, mais une sensation plus intime, une obsession qui le hante.

     La question de la bonne distance est présente dans chacun de ses films, il se la pose systématiquement. Il se demande si ceci filmé ainsi n’est pas vulgaire, si ceci filmé comme ça n’est pas voyeur. Rappelons-nous ces plans limites de Faits divers où il débarquait aux côtés de la police chez une femme qui venait de faire une attaque, il filme sa mort sans que ce soit prémédité puis filme le chagrin de son mari. C’était très gênant, très embarrassant et pourtant on sentait un soin apporté à cette question de la distance, une manière de filmer, de se mettre en retrait, de couper au bon moment. Dans Empty quarter, la question est de savoir comment filmer ce corps féminin à bonne distance et mettre en scène les mots de cet homme qui recouvrent tout, comment faire partager ce regard que l’on porte sur elle, comment érotiser sans vulgariser, c’est une question nouvelle chez Depardon.

     C’est un film d’amour, une obsession, c’est aussi une grande douleur, le film le plus radical de Raymond Depardon. Et ce qui fait sa force reste son ancrage dans le réel, ce parcours impossible dans le film qui fut le même lors du tournage. Bien sur, le cinéaste n’est pas dupe, le film aurait pu être fait entre quatre murs à Djibouti, mais ça ne l’intéressait pas, il fallait sentir cette progression, ce voyage à travers l’Afrique, comme un parcours chaotique, entre agacement et grâce. Les différences de lumière selon les lieux. Et surtout continuer de filmer l’extérieur pour que ça ne soit pas seulement un décor. Empty quarter est donc un grand voyage. Le voyage d’une obsession d’un homme pour une femme, d’une réciprocité qui ne s’établira jamais, au travers d’un continent, une Afrique aride et magnifique.

New York N.Y. – Raymond Depardon – 1986

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Barrière de la ville.  

   8.0   Durant le premier plan, voyage téléphérique de jour entre les rues et gratte-ciel de la ville, la voix off, celle de Raymond Depardon lui-même, souligne son incapacité à s’accaparer de ce lieu, à filmer son énergie, son unité, à faire un film sur New York. Il dit avoir filmé un peu chaque jour durant quelques mois en ayant l’impression continue de le faire inutilement, de faire quelque chose qui irait à l’encontre de ce qu’il cherche, à savoir le film comme un reflet. Ces quelques mots qui accompagnent les premières secondes de ce non-film prennent alors une valeur tragique, désespérée. La ville est trop forte pour la filmer. Sa magie est telle que le cinéaste est obligé de capituler. Il rentre à Paris. De ce projet de long-métrage sur New York, Raymond Depardon gardera trois plans et en gardera le geste de celui qui reconnaît son impuissance, un court métrage de neuf minutes. Trois plans : un aller et un retour, en miroir, dans le téléphérique de la ville, le jour puis la nuit. Et un plan central d’une rue piétonne. Il a été choisi le noir et blanc comme pour souligner son inaccessibilité, son intemporalité, une ville si puissante qu’on n’ose lui mettre de couleur. A la manière du News from Home de Chantal Akerman, ce film témoigne d’un passage en ce lieu, trop fort pour le cinéma à chaque fois puisque dans l’un ce n’était pas le format qui dépareillait mais l’utilisation des mots, cette parole quasi inaudible, qui lisait des lettres envoyées en France mais se perdaient dans le bruit de la ville. New York N.Y. dit finalement beaucoup de ce que recherche Depardon par le cinéma, qui existe en écho à cet autre court métrage qu’est Dix minutes de silence pour John Lennon, dans lequel se produit exactement l’inverse, quelque chose germe, une sensation, une ambiance, une symbiose qui rend compte de la force de l’instant. Cette force là, Depardon ne l’aura trouvée qu’à Central Park, ce jour-là si précis. En l’absence d’un événement prémédité (rappelons qu’il avait aussi filmé la minute de silence pour Ian Palach à Prague) cette force, cette magie du cinéma n’ont pas séduit l’auteur, la grande pomme n’a rien voulu lui partager.

Dix minutes de silence pour John Lennon – Raymond Depardon – 1980

Dix minutes de silence pour John Lennon - Raymond Depardon - 1980 dans Raymond Depardon 03.-10-minutes-de-silence-pour-John-Lennon-Raymond-Depardon-1980-300x220

Ballet mutique et immobile.

   8.0   Le pari est spontané. Le cinéaste est aux Etats-Unis et apprend que l’on donne dix minutes de silence dans Central Park à la suite de l’assassinat de John Lennon la veille. Il avait fait la minute pour Ian Palach, mais dix c’est autre chose. Il se prostre alors au milieu de la foule et commence à filmer. De quelque chose d’un peu banal à première vue, presque télévisuelle dans son approche (gros plans sur des visages) commence à éclore peu à peu un truc incroyable, une respiration, un climat, l’impression que dix minutes filmées de cette manière là, à savoir en un seul plan-séquence, la caméra s’arrêtant sur un visage (ou plusieurs) puis se déplaçant vers un autre, deviennent uniques dans leur représentation de ce moment bien précis, un truc que l’on ne verra plus. C’est un silence qui pèse, longtemps, des visages marqués, certains en larmes, d’autres aux regards vers le sol, vers le ciel, dans le vide. Des positions singulières entre ceux qui restent debout sans bouger, ceux assis dans l’herbe, d’autres encore allongés, voire même quelques-uns uns perchés dans les arbres. Ça devient une chorégraphie de l’immobilité et du silence, tellement beau et harmonieux, singulier et cinégénique qu’on se demande comment cela a pu être possible sans organisation bien précise. La prise de son, évidemment délaissée, a malgré tout son importance sur deux points : un bruit d’hélicoptère qui couvre ces minutes en tournant autour du parc puis le retentissement d’Imagine de John Lennon en guise d’applaudissements à l’événement. J’ai trouvé ça incroyable. Ça dure dix minutes et c’est bouleversant.


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silencio


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