Tout est pardonné – Mia Hansen-Løve – 2007

Tout est pardonné - Mia Hansen-Løve - 2007 dans * 2007 : Top 10 20.-Tout-est-pardonné-Mia-Hansen-Love-2007-300x211

Les baisers de secours.   

   9.5   L’ellipse est l’élément fondateur de l’œuvre de la réalisatrice Mia Hansen-Love. Elle lui permet à la fois de contourner tout pathos inhérent à ses sujets délicats autant qu’à marquer au fer la cruelle force du temps. Tout est pardonné se découpe en trois parties représentant trois niveaux temporels différents. Les deux premières se rejoignent dans leur continuité temporelle (quelques mois les séparent) mais s’opposent par leur géographie (Vienne puis Paris) tandis que la troisième effectue un saut chronologique de onze ans en avant, déplaçant ainsi le récit centré sur le couple vers leur petite fille devenue grande.

     L’ampleur de la dramaturgie dans le cinéma de Mia Hansen-Love joue beaucoup sur ses bases géographiques et temporelles. Les mouvements dans Le père de mes enfants (déplacement dans la maison de famille en campagne, vacances en Italie, virées sur les tournages) accentuaient cet état d’étouffement lors des retours dans la capitale parisienne. L’envolée détachée à la fin d’Un amour de jeunesse plonge le film dans une mélancolie infinie, entre respiration nouvelle liée à l’espace (volontairement, la dynamique s’essouffle, une jeune demoiselle a grandi) et identification éternelle du passé (souvenirs des lieux). C’est la même chose ici : Vienne, Paris, un Venezuela évoqué, la Corrèze. Une période de onze années. Les films de Mia Hansen-Love portent en eux cette émotion qui traverse le temps, une obsession qui lui permet aussi finalement de s’en affranchir, de faire des films sans véritables unités temporelles, des films intemporels, des films qui lui permettent de traverser le temps, de le suspendre.

     Les cassures en question n’apparaissent pas aux instants où il est coutume de les voir, dans le sens où la cinéaste choisit de ne jamais vraiment se soustraire aux causes/conséquences ultimes de ces déplacements : peu de climax dramatique, d’affrontements de non-retour, de scènes clairement clés. Tout ce que l’on voit se situe entre les lignes. Ce sont des dialogues d’apparences anodines, des errances troublantes, un repas familial, une relation épistolaire. De nombreuses situations qui disent beaucoup de la situation sans jamais tomber dans l’édifiant, le sensationnel. Et même si elle y succombe parfois (l’overdose, la séparation, l’annonce d’une mort) tout est alors enrobé pour l’offrir de la plus pudique des manières. Partant de ce principe, le film n’hésite pas à se séparer de certains personnages, se centrer puis se décentrer, glisser d’un vers un autre, utiliser des personnages intermédiaires.

     C’est un cinéma qui me touche énormément, dans lequel je ressens toutes les douleurs alors qu’elles ne sont jamais ostensibles. Un cinéma qui apprivoise ses personnages par leur corps et leur parole et dont on a la curieuse impression de les voir sortir du scénario. Comme tous ces moments où il nous semble tenir un fil dramatique balisé avant que la mise en scène nous emmène ailleurs. Le plus bel exemple c’est la séquence de fête chez une amie, alors que Pamela vient d’apprendre que son père, qu’elle n’a pas vu depuis onze ans, habite sur Paris tout comme elle. Elle se met à danser et probablement à rêver, il doit s’en passer des choses dans cette tête, il s’en passe aussi dans la notre. C’est La ritournelle, de Sébastien Tellier. Mia Hansen-Love fait tout bien, même ses choix musicaux.

     Les trois parties suggèrent un rythme assez différent. De la gaieté familiale malgré des problèmes encore masqués on en vient à un amour dissolu. La famille unie s’éclate. C’est quelque chose de récurrent dans le cinéma de la jeune réalisatrice. Il y a évidemment la tragédie qui vient casser le bonheur de la petite famille dans Le père de mes enfants, il y a aussi plus discrètement ce couple parent quasi hors champ dans Un amour de jeunesse dont le temps a finalement eu raison. Dans Tout est pardonné, le mouvement à Vienne devient statisme à Paris. Le couple semblait se servir de ses défenses immunitaires de façon imparable (l’idée élégante du film par exemple est de ne jamais faire se prononcer la femme sur la dépendance à la drogue de son mari, comme si elle n’en savait rien, alors qu’elle est clairement au courant de tout) alors que c’est un cancer immuable qui finit par le ronger. Il n’y a plus rien qui tient. C’est le lieu, c’est un tout. Même Pamela, l’enfant, finit reléguée au second plan. Il n’y a plus d’unité. Juste une femme qui sature et un homme qui se perd. La troisième partie pioche sa force dans la retrouvaille père/fille justement parce qu’elle n’est jamais filmée comme telle. On dirait une rencontre. Une rencontre tout en ayant conscience de son aspect retrouvaille. On ne se revoit pas par obligation mais par envie, choix, liberté. Il est moins question d’oublier (ils parleront aussi de ce passé) que de renouer tout naturellement un lien nouveau, délicat, en finesse.

     Il y a cette faculté de ne jamais juger les personnages, de les garder dignes même s’ils sont au fond du trou, même s’ils commettent l’irréparable. Un garçon qui choisit l’aventure entre amis à son idylle amoureuse. Un père de famille, écrivain, qui trouve son réconfort dans la drogue. Un père de famille, encore, dans une situation professionnelle délicate qui opte sur un coup de tête pour le suicide, laissant tout derrière lui. Cette lâcheté n’est jamais pointé du doigt. Qu’ils finissent par réapparaître, qu’ils restent quasiment pour toujours hors champ ou qu’ils disparaissent, ces hommes gardent cette dignité à nos yeux. Ce sont des personnages tiraillés, qui ne font peut-être pas les bons choix, mais de beaux personnages. Le choix fait peur à Mia Hansen-Love, le choix et ses répercussions. Le cinéma lui permet de se projeter temporellement à partir de l’existence de ces choix. C’est aussi de cela dont parle son cinéma : l’importance des choix.

     Mia Hansen-Love attache une importance fondamentale à l’espace dans lequel elle filme. C’est ce qui la rapproche des Rohmer et Rozier, dans le mouvement, la simplicité, le ton. C’est un cinéma très différent, surtout dans son rapport au temps, mais un cinéma qui me donne l’impression que tout ce que l’on voit a une importance fondamentale, tout en restant trivial, ça ne clignote jamais, c’est naturel, miraculeux, ça se rapprocherait pas mal en ce sens du cinéma de Garrel, l’expérimentation formelle en moins. J’aime énormément ce rapport à l’espace. Les racines de la cinéaste sont à Vienne. Commencer le film là pour le poursuivre à Paris, où elle vit, prend alors une valeur émotionnelle et symbolique assez forte. Et il y a bien entendu tous ces moments miraculeux, des moments que l’on peut voir aussi dans ses deux autres films magnifiques. Une séquence sur un pont à Vienne. Une scène de retrouvaille tout en regard, en silence. Une enfant qui joue aux raquettes avec son père. Ou plus difficile : un affrontement conjugal violent, un fixe d’héroïne en temps réel. C’est leur clarté et leur simplicité qui font de ces instants des pics émotionnels discrets mais bien réels.

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