L’éternité au musée.
8.0 L’âme d’un homme se retrouve propulsée dans le château de l’Ermitage à St Pétersbourg, sans explication aucune il se met à virevolter au gré des pièces à travers l’Histoire russe. D’époques en époques, guidé par sa curiosité et celle d’un autre homme dont il fait la rencontre, lui aussi happé dans une trouée temporelle, le personnage/caméra subjective qui regroupe à la fois le cinéaste, le spectateur et le témoin du temps – ou la fusion des deux premiers – voyage en esprit, observant à la fois l’apogée d’un monde, ses modifications et son extinction.
L’idée est aussi originale et géniale que saugrenue d’autant qu’elle est traitée de manière très légère, selon une auto-dérision qui permet au film de s’affranchir à la fois du poids de l’éventuelle pédagogie de commande – ce qu’il n’ait à aucun moment par ailleurs – et de cette fierté patriotique, cet amour de l’art russe. On sait Sokurov attaché à ses racines mais cet attachement ne trahit aucunement une visée politique aux tendances propagandistes au sens où Eisenstein le faisait, lui aussi par l’intermédiaire du cinéma, il y a presque un siècle. C’est l’amour de l’âme russe. De la terre russe.
Le film a une particularité importante : il est construit selon un unique plan-séquence. L’idée est de rester du point de vue de cet homme, avec cette voix qui parfois murmure quelques mots, entre la première et la dernière seconde d’un film qui compte 96 minutes. Malgré cette imposante restriction formelle (aucun montage, inéluctablement) les trouvailles sont nombreuses. Sa garantie première c’est son mouvement. C’est un film en perpétuel mouvement, qui virevolte je le disais précédemment, un film qui rejoint le passé mais pas une temporalité en particulier, c’est trois siècles de l’histoire russe.
Un lieu puis un autre, toujours au sein de l’Ermitage, entre les grands chefs-d’oeuvre picturaux, les sculptures, les visiteurs d’aujourd’hui ou les personnages des tableaux vivants d’antan. C’est aussi cela L’arche russe, ce pari fou : faire revivre les tableaux, faire revivre le passé. C’est la vocation première du cinéma de faire revivre les fantômes. Cette caméra subjective se meut alors au travers de ces reconstitutions comme la cérémonie de rencontre entre le Shah de Perse et le tsar Nicholas 1er, une représentation de théâtre pour Catherine II et croise aussi Pierre Le Grand ou Alexandre Pouchkine, s’immisce dans un dîner de famille ou plus discrètement une discussion entre trois conservateurs du musée qui se félicitent de leur place qu’ils tiennent dans ce relais de l’histoire de l’art ou encore cette irruption dans une pièce délabrée où un homme s’occupe de la restauration d’objets d’art abîmés, poussières de la seconde guerre.
C’est un magnifique voyage, hors du temps et d’autant plus suspendu dans une salle de cinéma. La descente d’escaliers finale ou la scène du bal, pour ne citer qu’elles, sont deux séquences absolument impossibles et remarquables.