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Archives pour juillet 2012

Holy motors – Leos Carax – 2012

Holy motors - Leos Carax - 2012 dans Leos Carax Holy-Motors
Revivre.

     8.0   Dans la première séquence du film, c’est Léos Carax lui-même, en pyjama qui s’extirpe péniblement de son lit, traverse la pièce d’un pas fatigué, presque zombifié. Il a dormi longtemps Léos, il était temps de se réveiller, il était temps que le cinéma récupère l’un de ses génies. Il ne faut pas long pour que déjà le film soit lancé, qu’il nous saisisse en trois plans, trois sons. L’océan, le bruit des mouettes puis la corne de brume. Nous sommes sur un bateau ? Carax longe une fenêtre, qui laisse entrevoir une ville, un aéroport. Cette disjonction est déjà saisissante. Puis une forêt sur un papier peint, il se glisse entre les arbres. Un trou dans le mur, tel Norman Bates il regarde au travers, alors qu’auparavant le film s’était ouvert sur l’image en mouvement d’un homme en pleine gymnastique, film de Jules Etienne de Marey. Carax utilise son « doigt clé » pour ouvrir une serrure cachée puis enfonce cette partie du mur qui s’effondre, formellement cela rappelle le cinéma de Cocteau. Le sang du poète Léos s’apprête à couler à nouveau. Un long couloir, des néons rouges. Il ouvre une porte et se retrouve dans un cinéma, sur la partie haute, surplombant le public. La salle est pleine, les spectateurs sont plongés dans l’obscurité, ils dorment ou attendent patiemment, silencieusement, ou ils regardent les chronophotographies de Marey. Carax retrouve enfin Le cinéma. Il fait son testament. Il observe en contre-bas et aperçoit une petite fille dans une allée. Au plan suivant, elle s’est transformée en dogue allemand. Carax s’apprête à lâcher les chiens. Soudain, cassure, dernière corne de brume et un lent travelling panoramique qui laisse apparaître une grande propriété, maison blanche, qui prend l’apparence d’un paquebot. Le film laisse alors place à Denis Lavant. Nous n’avions pas vu d’introduction cinématographique aussi excitante depuis extrêmement longtemps…

Denis Lavant est un homme important, un banquier on l’apprendra plus tard. Il monte dans une limousine et son chauffeur, sublime Edith Scob, lui annonce qu’il a neuf rendez-vous pour la journée. Neuf personnages à camper, neuf tenues à endosser. En fait, il n’est pas plus banquier qu’il ne sera mendiante ou tueur à gage, il est acteur. Il est Léos Carax et ce que ce dernier a trouvé pour mettre en scène sa vie, ses aspirations, ses échecs, ses tourments. C’est Carax à travers Lavant. Des rendez-vous s’apparentant à ceux de chez Jarmusch (The limits of control) mais sans fil conducteur visible, sans objectif précis autre que celui de les réaliser dans la journée. Pas de boite d’allumettes à échanger, seulement des transformations physiques ayant pour dessein une séquence en particulier, détachée de toute linéarité pré-établie.

     Saints moteurs. De la part de Carax cela sonne comme une résurrection. Tourner avant tout. Il est inquiet de voir le cinéma mourir et le dit via son alter ego de toujours Denis Lavant, qui s’offusque de voir que les caméras disparaissent « avant elles étaient plus grandes que nous, maintenant elles font la taille de notre cerveau ». Mort de l’acteur. Carax réalise son film sur les acteurs, comme Cassavetes avec Opening night. On pense beaucoup à Rivette aussi, L’amour par-terre ou La bande des quatre. Là aussi on introduit la nuit et l’on s’y engouffre. L’acteur est dans sa loge, il s’agit de l’arrière d’une limousine. Il enfile les costumes comme on le ferait dans une troupe de théâtre ou de danseurs, sans temps mort, à peine le temps de lire les scénarios et de manger un morceau. Les moteurs sont lancés, la limousine ne s’arrête pas. Sa fragilité existe bel et bien puisqu’il faut parfois la réparer, Edith Scob doit le temps d’une scène mettre le nez dans le moteur. L’action se répète. Passer d’une séquence à une autre, d’un masque à un autre. Depuis le départ on sent qu’il ne faut pas traîner pour réaliser ces neuf missions. En lisant un scénario de mission, monsieur Oscar s’écrire « Merde ! » comme s’il se trompait de page, de rôle à endosser et aussitôt le voilà qu’il ouvre une valise avec un masque qui nous est familier, il est alors plongé dans la peau de Monsieur Merde, qui n’est plus à Tokyo ce qui ne l’empêche pas de manger japonais. Il y a comme cela une approche très Godardienne de la scène où tout fait sens, rien n’est compliqué mais tout est complexe et chaque plan, mouvement recèle une idée aussi ludique, absurde, délirant voire déchirant.

     Carax n’est pas, à proprement parlé, un visionnaire. Il l’est en tout cas moins que romantique. C’est un grand romantique. Un romantique déchirée, explosif. L’énergie de la romance est implantée dès ses premiers films, souvenons-nous de ce travelling fou où Alex courait à s’en déchirer jambes et poumons. Carax vire mélancolique, il a passé la cinquantaine cela dit. Une mélancolie qui regarde et constate fatalement ce qu’elle a manqué et dieu sait si Carax en a manqué des choses. Refaire le même parcours, revivre, chante Manset. Holy motors c’est aussi la mélancolie de Carax face au cinéma, qui en somme fut son tombeau. Car on sait combien les échecs de ses deux précédents longs métrages (il y a quatorze et vingt et un an) ont achevés de rendre Léos Carax poète maudit. Dans le monde du futur de Carax, chaque séquence n’a rien de futuriste, au sens matériel puisque la vie semble être celle d’aujourd’hui, il n’y a ni objets ni procédés évidents qui le prête à penser, c’est le tout qui l’est. C’est un tout futuriste. Faire de la science-fiction sans les moyens, reste donc plus que la métaphore. Ne reste que le cinéma, toutes ses possibilités. Dans ce monde, hommes et machines sont au bord de l’extinction. Disparition des moteurs, disparition de l’action. Le cinéma se virtualise, il ne laisse plus la place à l’expérience, au tournage. Dans la séquence de la motion capture, l’homme s’essouffle puis trébuche du tapis roulant, trop rapide pour lui, il est déjà en sursis. Un peu comme les limousines, on les rabiboche chez Carax ou elles meurent avec le monde chez Cronenberg. Ou alors se parlent-elles, craignant qu’on les bazarde. La limousine est la machine qui a séduit Carax, c’est vrai qu’elle dégage une étrangeté paradoxale, entre le pouvoir et la mort, l’argent et la solitude, elle fait aussi bien festive que corbillard. Carax dit qu’il voyait en ses machines de longs vaisseaux qui transporteraient les hommes dans leur dernier voyage. Ce n’est pas tant que le cinéma se meurt, c’est une crainte de ne pas s’adapter au temps. Carax n’est pas visionnaire au sens où il n’accepte pas que son environnement (le cinéma) change autour de lui sans l’attendre. C’est, je crois, ce qu’il y a de plus terrifiant là-dedans en fin de compte, cette idée qu’un monde ne nous a pas attendu pour changer. La scène finale avec Edith Scob illustre parfaitement cela. Elle était ce chauffeur parfait, clean, à peine souriait-elle, et valdinguait sans scrupules d’une mission à une autre avec son acteur, avant qu’elle ne finisse par enfiler ce masque de la soumission, qu’elle portait déjà dans Les yeux sans visage.

     La démesure du cinéma de Léos Carax a encore frappé, porté dans un souffle incroyable, même pas fait de ses fulgurances habituelles, puisque les séquences prisent individuellement sont parfois relativement faibles au regard du segment « Merde » utilisé pour le film collectif Tokyo, ou de scènes de bravoure croisées dans les précédents films de Léos Carax, je pense au feu d’artifice des Amants du Pont-Neuf, au concert de musique expérimentalo-industrielle en entrepôt dirigé par Sharunas Bartas dans Pola X, ou plus simplement de l’ouverture mémorable de Holy Motors, ou de la séquence clé du film à la Samaritaine. Scène que l’on peut par ailleurs ne pas considérer comme une séquence/mission dans la mesure où elle ne fait pas intervenir de costumes, sinon celui du prochain rendez-vous. Monsieur Oscar y croise Kylie Minogue, déguisée en Jean Seberg. C’est la seule scène, détachée du reste, où Lavant n’a plus de rôle masqué à jouer sinon celui de Carax, qui rêve et cauchemarde. Une Samartaine dévastée où le cinéaste fait aussi bien revivre sa propre femme (Katerina Golubeva, muse du cinéaste lituanien cité un peu plus haut, qui campait Isabelle dans Pola X, disparue pendant le tournage, à qui il dédie le film, accolant sa photo en pré-générique final) que Les parapluies de Cherbourg. Le cri de Lavant lorsqu’il découvre Kylie Minogue (le rôle devait prioritairement échouée à Juliette Binoche) défénestrée c’est celui de Carax. Il y a deux séquences assez limitées (classiques) cinématographiquement mais que je trouve très belle pour ce qu’elles tentent de raconter. Il y a celle où cet homme se meurt (curieusement costumé comme le Carax de l’ouverture) et sa nièce vient le veiller à son chevet. On y retrouve même le dogue allemand. J’aime son mystère, je ne sais pas où le cinéaste veut en venir, ça me fascine et j’aime la manière dont elle s’achève où vieil homme et nièce redeviennent soudainement acteurs assumés et se disent à une prochaine. Scène en écho, dans son registre intimiste, à celle du père qui vient chercher sa fille à une boum. Il n’y a pas de mère, on n’en parle même pas, pourtant on y pense, alors que la scène de la Samaritaine n’est pas encore passée. C’est un beau dialogue père/fille centré sur la timidité et le mensonge. Il se dégage de tout ça une espèce de mal aise, qui ne tarde pas à être bouleversant. Puis il y a trois séquences que j’aime beaucoup : C’est d’une part celle du retour au bercail sur fond de Manset, chanson magnifique. Scène mission qui révèle que l’acteur ne dort jamais, qu’il est condamné à travailler jour et nuit, jouer un rôle en permanence. C’est le monde imaginé par Carax. Il passe la nuit dans cette famille de singes comme il avait passé la nuit dans ce villa paquebot en tant que banquier. Rien ne change, tout est différent. Il y a aussi cet entracte en forme de mission accordéon dans une église. Le spectateur se retrouve plongé en plein Kusturica alors que même durant les entractes l’acteur continue de tourner. Puis la scène de la motion capture au bruit charnel du cuir qui s’enchevêtre. Grande pièce sombre illuminée de capteurs. Mr Oscar se retrouve à courir sur un tapis roulant, mitraillette en main, le cadrage de cette course effrénée rappelle inévitablement Mauvais sang. Et cette caméra virevoltante, surtout lorsque les deux corps se chevauchent, font mine de faire l’amour, qui vient saisir les frottements de cuir avant de prolonger son mouvement sur le résultat virtuel de cette performance capture.

     Carax se permet absolument tout, aussi bien dans le sublime, l’absurde et le grotesque. C’est une mention « visitez mon website » en lieu et place de l’habituel nom du défunt sur les pierres tombales au cimetière du Père Lachaise. C’est un tableau dingue, quasi sorti du Visage de Tsaï Ming-Liang, quand Eva Mendes, assise dans les égouts, habillée d’une burka accueille monsieur Merde allongé, nu, en érection, sur ses genoux, et lui chantonne « All the pretty little horses ». Il ne reste plus qu’une berceuse pour que le versant immonde de Carax puisse s’endormir. Il nous refait La belle et la bête. Et bien entendu de faire parler des limousines dans une scène finale qui fera date. Holy motors est le film de cette année qui se rapproche le plus de celui de Sophie Letourneur, Le marin masqué, éthiquement parlant. Ce n’est pas la même urgence, ni la même ambition néanmoins il y a cette nécessité en commun de faire du cinéma, de le réinventer et de créer une dynamique qui ne soucie guère des alentours du cinéma.

Faust – Aleksandr Sokurov – 2012

Mostra-de-Venise-2011-Sokourov-repart-avec-le-Lion-d-Or_image_article_paysage_newA l’origine.

   6.0   Ci et là, j’entrevois le Faust que j’aurais adoré voir. Je pense à l’ouverture, aux vingt dernières minutes ou à quelques séquences éparses où nombreuses idées viennent s’inscrire dans le voyage non pas comme des morceaux de bravoure mais comme des notes qui me paraissent plus judicieuses que le reste. Toutes les scènes d’eau en font partie : bains de femmes, rivière apaisante, lac à l’ondée magique et geyser divin. Cette attention exaltante avec laquelle Sokurov s’attarde sur ces éléments me sidèrent, cette manière de filmer leur puissance en douceur. Un peu comme lorsqu’il tient le plan sur le visage de Marguerite, qu’une lumière aveuglante vient blanchir les traits jusqu’à l’immaculer. Ce plan final de Faust courant au travers des pierres pour rejoindre cette montagne cristalline est aussi un très grand moment.

     Dans le site Independancia, une analyse du film dit : « C’est aussi un mouvement d’épuration qui s’avance sur cette boucle. Les premiers quarts d’heures fourmillent de personnages et de paroles. L’image et les sons encombrent les sens. Pas à pas, le film se purge à mesure que le héros se damne. Le spectateur avance main dans la main avec Faust, du fourmillement vers l’image purifiée ». Cette sensation d’encombrement m’a rarement quitté, je n’ai donc pas vraiment reçu cette évolution formelle. Le problème ne réside aucunement dans ce voyage ni dans l’agencement séquentiel, quant au récit je le trouve passionnant d’un bout à l’autre, si tant est cela dit qu’il soit un peu moins bavard. Les bonnes idées en accueillent des mauvaises : Ce fourmillement de personnages entraîne une saturation sonore, de même qu’une saturation par le cadre (la première moitié du film se déroule dans des lieux extrêmement fermés entre pièces exigus et couloirs, caves et tunnels) qui n’excuse à mon sens jamais le parti pris d’interrompre le plan rapidement, de façon systématique. Au début, il n’y a pas un plan qui ne dure plus de trois secondes. C’est à dire que cette frénésie (ou ce fourmillement) est avant tout provoqué par cette découpe au montage. Alors, tout y passe : Anamorphose, oblique, distorsions. Bande sonore chargée, douloureuse. Formellement je trouve cela affreusement démonstratif, tout en admettant que le film est par ailleurs très cohérent dans sa mise en scène puisqu’il fait intervenir un monde de viscères, glauque, presque puant à l’image. Comme symbole ultime cette séquence de l’homoncule tombé se dépêtrant parmi les bouts de verres cassés. Sokurov filme les corps, leur morbidité, ce qu’ils ont de répugnant, jusqu’à certaines grimaces dans des gros plans de mauvais goût. Etat de putréfaction atteint dès le premier plan qui démarre dans les nuages pour s’achever dans les entrailles d’un cadavre. Là, ça me plait car on accélère pas le découpage pour créer la saturation.

     N’est pas Tarkovski qui veut. C’est un film plein qui veut prendre l’apparence d’un film trop plein et y parvient par le montage. Pourtant, la caméra de Sokurov est en mouvement, sans cesse. Elle se glisse par là, saisit un visage, des pieds, suit en passant au travers, s’envole mais jamais elle ne prend l’option de faire durer son mouvement et choisit de le remplacer par un autre mouvement. Et pourtant, je me sens plutôt bien dans ce film. C’est étrange parce que j’y reste totalement extérieur mais je regarde cela avec un oeil mi-déçu, mi-fasciné. J’ai trouvé le voyage long mais j’ai beaucoup aimé certaines escales, je m’y sentais bien, je découvrais un monde. Mais le Sokurov que j’aime, celui de Mère et fils, je ne l’ai pas retrouvé. Reste que je ne suis pas un grand connaisseur de l’oeuvre de Goethe et que le film dans son propos et ce voyage central de Faust aux côtés de Méphistophélès m’a fasciné sur bien des aspects. Ce n’est peut-être pas le résultat que j’espérais mais sa richesse et sa démesure sont loin de me laisser indifférent. La tétralogie du pouvoir (entamée avec Moloch (Hitler), Taurus (Lénine) puis Le soleil (Hirohito) prend donc fin avec ce quatrième volet, sorte de préquel : Faust ou les origines du mal. Ne serait-ce que pour cette ambition là, il faut aller se faire son avis en salle.

Das boot – Wolfgang Petersen – 1982

imagesLQCRY48CDérive mortelle.

   9.0   La durée est la particularité de Das Boot, film fleuve de plus de cinq heures, relatant le quotidien d’un sous-marin allemand en mission dans l’Atlantique pour couler des destroyers britanniques, durant la seconde guerre mondiale.

     Une position de plusieurs jours qui verra le bateau dériver entre La Rochelle et le détroit de Gibraltar. Le cinéaste choisit de condenser cette vie à l’intérieur de ce monstre marin fait d’acier, de créer une multitude de personnages avec leurs craintes, doutes, folies, s’intéresser à la fois aux silences de cette mission dans ses moments de vide sans négliger les scènes de batailles de la répétition inévitable qu’elles suggèrent. L’originalité c’est que le film se paie le luxe de nous ennuyer poliment justement aux instants qui auraient été ailleurs des morceaux de bravoure. Le film ne cherche jamais à surprendre dans ses enchaînements et ses rebondissements, entre morts impromptus ou héroïsme lourd, gageur des films de guerre ou catastrophe. Il recherche constamment le réel, le drame par l’absurde. Le plus beau moment est justement une longue séquence silencieuse où le sous-marin venant d’échapper de peu aux tirs alliés se retrouve coincé dans les profondeurs, où la pression est immensément dangereuse, sur un banc de sable providentiel.

     Le film joue donc forcément sur un principe de répétition, entre attente et mouvement immédiat pour le combat. Lorsqu’un navire ou un avion se rapproche, le sous-marin rentre sa longue vue et plonge afin de résister aux explosions provoquées par les bombes qui lui sont lâchées. J’aime cette façon de montrer ce jeu du chat et de la souris, d’une part car le film se contentera de ce huis clos, se permettant des plans extérieurs seulement lorsque ses occupants investissent la passerelle ou à travers la jumelle. Mais surtout le film se veut essentiellement immersif et n’explique donc jamais les termes extrêmement techniques employés à l’intérieur du sous-marin, un peu à la manière du vaisseau spatial dans le Sunshine de Boyle, ou plus récemment dans cette tour de la finance dans le film Margin call de J.C. Chandor. On apprend donc à connaître cette carlingue, son langage, en même temps que l’on apprend à distinguer chaque personnage, qui devient peu à peu une entité à part entière, avec une histoire à lui, au même titre que le sous-marin, monstre d’apnée, face aux oiseaux bombardiers ou aux destroyers émergés. Petersen ne fait ni héros, ni romance, ni psychologie lourde. Son film n’est que survie, à un degré différent suivant le personnage, que l’un tienne un journal quotidien lu en voix off, que l’autre envoie du courrier à sa petite amie.

     Das boot c’est le côté allemand, donc nazi, mais rien de ressort de ça, on ne distingue plus ni patrie, ni hommes-courage. On détruit un destroyer parce que c’est l’ennemi et que c’est le seul moyen de survivre. On ne va pas au secours de blessés plongés dans l’eau glacée parce que c’est l’ennemi et que pour survivre dans un sous-marin il y a un quota d’hommes à ne pas dépasser. C’est la peur des uns contre la folie des autres. La fin, détachée et brève, cruelle alors qu’elle prenait la forme d’un happy-end (pas du point de vue de la guerre, uniquement du point de vue de ce groupe de personnes que l’on a appris à connaître) est l’unique ressort un peu spectaculaire du film où le retour du sous-marin, en dérive jusqu’à La Rochelle, puisque complètement lesté de carburant, est anéanti par le bombardement sans sommations des alliés et où tous les occupants du bateau périssent finalement sur la terre ferme. Peu de montées émotionnelles, pas de suspense. Le film renvoie la guerre à sa surprenante cruauté plutôt qu’à sa sauvagerie sensationnelle.

L’été de Giacomo (L’estate di Giacomo) – Alessandro Comodin – 2012

L'été de Giacomo (L'estate di Giacomo) - Alessandro Comodin - 2012 dans * 2012 : Top 10

Béatitude.

   8.5   Le cinéaste, dont c’est le premier long métrage, prend le parti de ne jamais situer temporellement cette balade à deux, la rendant suspendue, hors du temps, hors de tout. On ne reconnaît pas plus l’Italie que l’on ne sait ce qui anime avant cela cette relation. Dans les premiers plans, qui constituent une longue marche en forêt, pieds dans la boue en évitant ronces et pierres, Giacomo et Stefania pourrait très bien être amants comme frères et soeurs. La bonne idée du film est de ne jamais répondre à cette question autrement que par leurs gestes et leurs mouvements. Ce n’est que cela qui guide cette journée. D’abord au plein coeur d’une nature insituable, entre jungle Fidjienne et étendues d’eau Ardéchoise, avec à la clé plongeons et batailles de sable, puis dans une pièce inconnue (une maison ? Le chalet croisé quelques temps plus tôt ?) où une pulsion désordonnée de chants et de batteries vient créer un courant d’énergie fascinant, ou plus tard dans une fête foraine (chaises volantes) qui devient champêtre (danse improvisée sur de la variétoche) avant de s’achever en feu d’artifice. La même journée ? On ne sait pas non plus. Le lendemain, cette errance exaltante se poursuit : on fait du baseball avec un bâton et des châtaignes, la roue au milieu d’un champ, avant de crier dans des champignonnières délabrées puis c’est le retour à ce point d’eau idyllique, lac bleu turquoise. Ce sont Les naufragés de l’île de la tortue mais à deux, quelque part entre Blissfully yours et Un amour de jeunesse. Puis une discussion, la première, sérieuse, qui vient casser ce climat d’insouciance, de joie hystérique, de rires et de chamailleries. Stefania reproche à Giacomo son insatisfaction, lui dit que le bonheur se trouve dans les petites choses. Le film pourrait tout à coup s’alourdir, on le craint. Mais il repart. Une fuite sur un vélo et on croit que le film se termine. Au plan suivant, des lieux pas familiers mais ressemblants, Giacomo et une autre fille, Barbara. Alessandro Comodin a confiance en son cinéma, il n’y a pas de gras, pas de facilités, tout est à construire, à imaginer. La force du film est de ne pas faire de la surdité de Giacomo un thème ou un point d’ancrage, c’est juste une esquisse, quelque chose qui fait partie du personnage et qui apparaît subtilement dans cette balade insouciante. Au début, Giacomo est sourd, Stefania ne l’est pas. A la fin, il semble guéri, c’est Barbara qui est sourde. Cela pourrait être une charge symbolique sur appuyée mais ce n’est seulement qu’un croisement entre la fiction et le documentaire. Giacomo et Stefania c’est la fiction, la déambulation amoureuse singulière, maladroite, ludique, innocente comme l’entend le cinéaste. Les dix dernières minutes avec Barbara c’est le réel, tournée beaucoup plus tard, une fois que Giacomo a subi une intervention lui permettant de recouvrer son ouïe. Dans chaque cas, une idée de cinéma qui répond à l’autre : une fuite en vélo silencieuse et musicale puis le monologue en off d’une voix féminine qui dit profiter de ces moments avant qu’ils ne disparaissent. A l’image de cette immaturité qui nourrit chaque scène ou même de façon plus marquée ces essais de batterie anarchiques, le film se concentre sur la fuite, sur la suspension, il ne s’intéresse ni à l’avant ni à l’après, mais est conscient de ce qu’il raconte, de sa fragilité, sa parenthèse éphémère.

My blueberry nights – Wong Kar-Waï – 2007

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   0.5   Ridicule. De paresse, d’ineptie, de maniérisme. L’effet de style tendance clipo-meringué est la marque de fabrique du cinéaste Hongkongais, d’accord, mais rendu à tel point d’inutilité ici sinon celui de se palucher sur chaque ralenti, plan filtré rouge, puis jaune, pris dans l’embrasure d’une porte ou derrière une fenêtre que ça en devient risible à souhait. Sauf que le film n’accepte jamais sa décomplexion et force chaque trait pensant qu’il réinvente tranquillement la rom’com tragique. Sommet de narcissisme dégoulinant et de fierté accompli atteint vers le quart du film lorsque façon clip – le film répétant inlassablement le même procédé à intervalles quasi réguliers – la petite musique récurrente de In the mood for love retentit sous un tempo nettement plus piano. Avant de revenir in extremis durant le générique final. C’est dire la prise de risque et l’humilité de la chose. Je ne me souvenais plus que le film avait été en compétition au festival de Cannes, cela montre à quel point cette programmation est un désastre, tant d’une part un film comme celui-ci n’y apparaîtrait jamais s’il n’était signé d’un réalisateur jadis auréolé, mais surtout qu’il est d’une faiblesse sans nom, d’un vide édifiant, au regard d’une sélection qui recherche systématiquement le film qui bouscule, dans le bon comme dans le mauvais sens du terme. A la rigueur une ouverture de festival, mais c’est tout, ça ne mérite pas mieux. J’étais pas loin d’éteindre au bout de vingt minutes mais je n’avais toujours pas vu Natalie Portman, alors j’ai attendu. Le film est toujours mauvais quand elle fait sa première apparition, mais nettement moins désagréable, comme si Wong reconnaissait que ses chichis horripilants de cinéaste suffisant étaient alors inutiles, laissant libre cours au jeu de Portman pour orner sa bluette neuneu. A la place de Norah Jones, je l’aurais eu mauvaise. Voilà longtemps que je n’avais pas vu un truc aussi insupportable, surtout venant d’un cinéaste qui aura au moins déjà fait un bon film.

Les larmes amères de Petra Von Kant (Die Bitteren Tränen der Petra von Kant) – Rainer Werner Fassbinder – 1974

31.4Rapports préfabriqués.

   9.0   Fassbinder prouve avec ce film, en adaptant une pièce de théâtre, qui plus est ici sa propre pièce écrite, que le cinéma n’a rien à voir avec le théâtre. Huis clos étouffant se déroulant intégralement dans une même pièce, Les larmes amères de Petra Von Kant dévoile des idées de mise en scène incroyables et une utilisation judicieuse de ce petit espace, variant les focales, enfermant les visages, jouant sur le second plan, l’angle de vue à tel point que l’on investit l’espace de cette chambre comme jamais je n’avais pu le ressentir dans de précédents huis clos de cinéma. Le film se découpe en quatre longues séquences portant chaque fois une écriture indéniable mise au service d’un réalisme social Fassbinderien habituel, ainsi qu’une gestion des gestes et du mouvement en général – personnages comme caméra – qui rend le film passionnant à tous les niveaux.

     Petra Von Kant est une styliste de mode de renom et semble noyer son quotidien dans cette carrière qui est toute sa vie. Le film va suivre le rapport qu’elle va entretenir avec cinq femmes – aucun homme dans le film, aucune apparition j’entends, puisqu’ils sont maintes fois évoqués – qui vont graviter régulièrement ou hasardement autour d’elle. Sa maîtresse de maison, bonne à tout faire, qui pourrait aussi être une ancienne conquête, est dévouée jusqu’à l’humiliation. Il y a aussi cette cousine avec qui elle partage ses sentiments et lui raconte sa vie conjugale qui a volé en éclat. Il y a ensuite cette jeune demoiselle, amie de la cousine, qu’elle rencontre inopinément et qui sera par la suite son obsession à s’en rendre malade. Et plus tard les arrivées pour son anniversaire de sa fille puis de sa mère. Ce ne sont jamais des entrées théâtrales. Fassbinder joue énormément de l’ellipse et l’on ne sait guère vraiment le temps qui s’écoule entre chaque longue séquence, à l’image de sa rencontre avec Karin qui s’éteint en fondu pour qu’on les retrouve au plan suivant dans une vie de couple au bord de la crise. Concernant les gestes importants, ils rendent compte de la banalité des rapports comme s’ils étaient pris au hasard dans la mosaïque, accentuant l’idée que la scène est commencée à l’instant où le film nous la propose et qu’elle se prolongera lorsque le film nous l’enlèvera. Ces gestes ce peut être par exemple une Petra qui se maquille tout en discutant avec sa cousine. Le maquillage est si minutieux qu’il occupe quasiment toute la séquence. Ce peut aussi être l’écoute d’un vinyle que Petra semble mettre par simple envie, afin de se mouvoir dans ses souvenirs, ou simplement se lever pour se servir du gin, mouvement qui s’amplifiera avec la durée du film.

     Il y a une attention portée aux objets là aussi, au décor, aux meubles. Fassbinder sait mettre en avant ce qui est immobile autour de ses personnages. C’est un tableau de Poussin, représentant Midas et Bacchus, un tapis aux longs poils blancs, un bar dans le fond de la pièce et de superbes costumes, avec un travail évident sur les couleurs. Une poutre coupe un plan et lui donne une signification, un miroir reflète le visage d’une silhouette que l’on ne voit que de dos ou même le film sait apprivoiser le point de vue de Marlene, la bonne, qui capte les discussions dans l’embrasure d’une porte ou observe cachée à travers une vitre. Il y a une scène sensationnelle, un plan de génie, où le cinéaste suit la discussion entre Petra et sa cousine, concernant la déliquescence des rapports avec son mari et dans le fond la caméra capte soudainement le regard de Marlene, en train de dessiner pour sa maîtresse, tandis que l’on ne sait pas vraiment depuis quand elle la regarde, mais ce visage a quelque chose de bouleversant, clinique, d’une tristesse sans nom, le plan se rapproche donc de ce visage, sortant le visage de Petra qui parle, se rapproche jusqu’à ce que ce visage soit le plan, puis devienne flou et dans le même plan, la caméra effectue un léger déplacement vers Petra venant saisir nettement son visage.

     Les larmes amères de Petra Von Kant n’est rien d’autre que la mise en scène cinématographique d’un mélodrame terrible, à savoir des différentes forces qui régissent un rapport amoureux, systématiquement parasité par cette loi du plus fort. Marlene est la servante de Petra. Pourtant elles vivent toutes deux la même humiliation amoureuse. Petra envers Karin, deuxième partie du film. Marlene envers Petra elle-même. Chaque fois, cette humiliation se caractérise par une dévotion à ne devenir qu’absorption de cet amour. C’est beau autant que c’est terrifiant et traversé de fulgurances exaltantes.

Journal de France – Raymond Depardon & Claudine Nougaret – 2012

32Raymond en fuite.

   4.5   De belles choses mais qui ne sont pas liées au film lui-même, c’est la première observation négative que l’on peut faire du nouveau film de Raymond Depardon, co-réalisé avec son ingénieur du son attitré depuis 1986, Claudine Nougaret.

Ce film là, très attachant, souffre d’un côté best of. En somme, il est au cinéma de Depardon ce que L’amour en fuite est à la saga Doinel de Truffaut. Depardon revient sur son cinéma, jusqu’à ses débuts photographiques. Si cela avait comme dessein de compléter sa dense filmographie, le film pourrait être passionnant, malheureusement, bien qu’il se nourrissent en majorité de chutes ou d’inédits, à de nombreuses reprises ce sont bien des séquences de films que l’on a déjà vu qui nous sont montrées. 1974, une partie de campagne ; Reporters ; San Clemente ; Empty Quarter ; Fait divers. Sans la moindre connaissance de ces excellents films, ces extraits s’insèrent parfaitement dans la chronologie narrée par Claudine Nougaret, qui agrémente le tout en voix off.

En parallèle à cette rétrospection facile, le Journal de France que j’attendais est plutôt intéressant dans la mesure où il s’intéresse, comme le faisaient ses précédents films, jusqu’aux magnifiques films constituant Profils paysans, aux aspirations du présent de Raymond Depardon. Le cinéaste a en effet choisi l’option de sillonner le territoire français qu’il connaît moins bien que certains pays africains, remarquera t-il à plusieurs reprises. Il décide d’effectuer, au moyen d’une petite fourgonnette, un petit tour de France, voyage dans les lieux inconnus, où il observe tout jusqu’à trouver le bon endroit, la bonne lumière et le bon angle pour prendre une photo à partir d’une chambre photographique. Cette partie de film me touche davantage car elle s’inscrit dans ses doutes et incertitudes qui le hantaient déjà il y a quarante ans quand il se demandait quoi choisir entre la photo et le cinéma.

Alors c’est vrai que l’on pourra reprocher à ce film là son manque de confiance dans l’épure de son cinéma (cette fuite en fourgonnette était pourtant le moyen de refaire un Empty quarter, son meilleur film à ce jour) et cette mécanique has been du montage parallèle, pourtant il se passe quelque chose de non négligeable c’est cette envie que le film procure de se pencher sur l’entière filmographie du cinéaste. Journal de France aura au moins ce mérite là. C’est la qualité de sa faiblesse, c’est presque publicitaire : il est destiné à celui qui n’a pas idée de l’importance de ce cinéma, voire qui ignore son existence…

Scum – Alan Clarke – 1980

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Violence en mosaïque.

   8.5   Superbe et traumatisant, bien que je fus très déçu de constater que Dog Pound, le dernier film de Kim Chapiron que j’avais (donc forcément) trouvé excellent, en était le remake quasi exact. Une légère différence dans la forme (monochrome chez Clarke, frénétique chez Chapiron) et deux/trois partis pris comme l’absence dans le Chapiron de ce personnage incroyable chez Clarke, végétarien qui refuse de porter du cuir, écrit I am happy sur la peinture fraîche et monologue sur la confiance et l’établissement qui engendre le mal. Scum fonctionne aussi à l’énergie mais se remplit davantage de vide au sens où il ne se base pas sur un scénario sensationnel, ce qui intéresse Clarke ce sont les rapports de force au sein d’un mécanisme plein de rage rentrée avant qu’elle n’explose. Il n’y a pas de montage traditionnel. Hormis cet aspect de début (l’arrivée dans le borstal de trois petits nouveaux aux parcours bien eux) et de fin (la mort d’un détenu, le réfectoire saccagé) le film n’égrène que des saynètes sans véritable unité de temps, simple mosaïque de la violence qu’engendre ce système de rétention répressif. C’est impressionnant, c’est un film coup de poing au sens non galvaudé du terme et tout cela sans que le réalisateur n’appuie ou ne s’apitoie. Ni emphase ni sentimentalisme chez Clarke. Chaque détenu, aussi faible ou puissant qu’il soit, s’il prend des gnons justifiera ses bleus en disant qu’il a simplement glissé. Un caïd se fait défoncer, il disparaît. Un autre prend sa place. La fin, similaire dans les deux films, symbolise formellement cette différence qui règne entre l’original et son remake : plus longue d’un côté, démonstrative autant qu’elle est terrifiante tandis qu’elle est plus forte de l’autre, dans son économie et un épilogue à foutre des frissons…). En fait c’est simple, le Clarke me donne l’impression de voir un « 120 journées de Sodome » légal (même si les établissements en question ont été fermés peu de temps après l’action du film) dans lequel les gardiens participeraient moins aux sévices mais feraient en sorte que leurs prisonniers se les fassent entre eux. Le Chapiron a ce côté film hollywoodien édifiant, très écrit, très clean, presque trop formaté. Le Clarke semble avoir été fait en deux temps, il a ce climat que l’on retrouve nul part ailleurs si ce n’est dans les autres films de Clarke bien entendu.

Montparnasse – Mikhaël Hers – 2009

Montparnasse - Mikhaël Hers - 2009 dans * 2009 : Top 10 25.-Montparnasse-Mikhaël-Hers-2009-300x168Nocturnorama.

   8.5   Ce troisième moyen métrage est révélateur des aspirations du cinéma de Mikhaël Hers et sa découpe pour la première fois volontairement chapitrale ne fait que renforcer l’idée générale qui règne au sein de ses films, à savoir d’avancer avec le passé, de saisir le moindre fait du présent, une rencontre ou une simple discussion, de saisir des instants charnières qui n’en ont pas l’air, afin de libérer son esprit, non pas d’effacer marques et blessures (pas de réponses, pas de pages qui se tournent définitivement), mais de les utiliser pour repartir autrement. Montparnasse pourrait être un film choral pourtant il se constitue de trois petites histoires qui n’ont en commun que leur lieu et l’heure de la journée, le film étant entièrement nocturne. Ce sont Les rendez-vous de Paris Rohmériens à la sauce Hersienne. Les personnages intervenants dans une histoire n’apparaissent pas dans les deux autres. Malgré tout, ils ont tout en commun. Sandrine pourrait être Aude, autrement, ou Leïla, un autre jour.

     Le film s’ouvre sur Montparnasse et ne cessera d’y revenir de temps à autres, spécialité du cinéma de Mikhaël Hers que de mettre en lumière, en plan fixe, les lieux de ses propres films en insérant ci et là, en quasi suspension, le mouvement de la ville, ses lumières, son horizon, la beauté de son paysage, architectural ou naturel. De cette manière, la ville est elle aussi un personnage autour des personnages centraux interagissant dans chaque histoire. Cela peut-être la femme de l’étage du dessus que l’on entend crier ou encore croiser un vieil ami lors d’une balade ou alors une inconnue qui demande une cigarette. On parle régulièrement des lieux aussi, impressions diverses du présent ou remémoration de souvenirs, Roissy au loin et ces aléas d’avion incessants, une salle de cinéma à Denfert-Rochereau ou bien la simple évocation d’une ville du sud dans laquelle on a passé quelques temps. Et évidemment, le choix du plan-séquence, que Mikhaël Hers utilise beaucoup, renforce la qualité de ces films quant à l’espace utilisé.

     Dans le premier segment, Sandrine s’apprête à accompagner sa soeur au cinéma, mais elles lui préféreront une longue marche dans laquelle s’engagera une discussion qui se terminera dans l’appartement de la seconde. Le personnage joué par Sandrine ressemble beaucoup à celui de Raphaël dans Memory Lane, en plus retenu, sur la brèche mais encore loin, peut-être, de cette saturation terrifiante. Discussion sur la peur de ne pas être à la hauteur, d’avoir cette impression de faire fuir, de ne pas vivre sa vie comme on l’espérait. On ne le dira jamais assez mais la qualité première chez Hers c’est l’écriture et sa manière de la mettre en scène, tant il trouve un équilibre surprenant. Ce segment s’achève sur une séquence aussi hypnotique que déchirante, en musique comme souvent chez le cinéaste. La grande soeur (encore que là-dessus rien n’est précisé) se met à danser, Sandrine la regarde, elle sourit, elle l’admire, l’envie, on ne sait plus trop, puis finalement elle danse à ses côtés et Hers n’hésite pas à étirer cette séquence afin d’accentuer cet état d’hypnose avant de terminer sur le même plan que précédemment de Sandrine, assise, observant sa soeur, donc on ne saura pas si oui ou non elle a réussi à la rejoindre, franchit ce cap de la timidité, fait ce pas en avant qu’elle redoute, permis à ce corps de se libérer entièrement ou si elle rêvait simplement de cette symbiose des corps en mouvement.

     Dans le suivant, ce qui s’apparente d’abord à un dîner entre un père et son fils, se révèle l’échange improbable du croisement occasionnels des uns en mémoire de quelqu’un. Aude. C’est le nom de ce court. On ne verra pas d’Aude. On en parlera beaucoup, parfois au présent, parfois à l’imparfait, ne serait-ce que cette simple idée c’est bouleversant. Un objet devient le vecteur d’un sentiment fort, ce genre de vecteur où il faut se retenir pour ne pas craquer. Un appareil photo, dans lequel s’y trouve l’impression de ces souvenirs, trop importants pour les oublier, trop éprouvant pour en parler. La discussion évoque Aude, parcimonieusement, mais surtout elle se centre sur les destins de chacun, extrapole pour éviter le sujet premier de ce dîner qui n’a rien de banal. Cette partie se termine sur un plan de retrouvaille entre le garçon et Aurélie, la soeur de la fille dont on ne fait que parler et un père qui s’en va de son côté, mais déjà cet ultime plan a quelque chose de plus réconfortant que celui de la première partie.

     Le cinéma est aussi une affaire de sens, de choix du sens, donc de montage. L’inversion des courts dans le moyen métrage aurait sans doute eu un autre impact, plus grave, trop mélancolique, moins lumineux. Mikhaël Hers prend l’option d’achever Montparnasse sur une rencontre, d’une simplicité étonnante. Une rencontre dans un bar, où la jeune femme écoute la musique du garçon, avant que cela ne se poursuive dehors, lors d’une marche sans fin (Les personnages choisissent systématiquement de marcher dans les films de Mikhaël Hers tout en ayant souvent pris d’abord l’option d’aller boire un verre, se poser ou aller au cinéma) puis dans l’appartement de la jeune femme. Regarder Paris, scruter l’horizon et échanger des banalités qui n’ont finalement plus rien de banales. Lorsque le jeune homme demande à la jeune femme s’il peut l’embrasser et que le film s’en va se fermer sur ce baiser, on se dit que ce voyage, bien que souvent éprouvant, gagne en luminosité. Cet équilibre là me fascine énormément dans ce cinéma là. Dans le cinéma d’aujourd’hui, mais à un degré moindre tout de même, seuls deux cinéastes ont réussi à rendre compte de ce double état, il s’agit de Guillaume Brac et de Sophie Letourneur. Mais Hers a quelque chose de plus : cette magie de l’épure saisissante alliée à des dialogues renversants.

Primrose hill – Mikhaël Hers – 2007

31.2Au-delà des collines.

   9.0   Sèvres, Hauts-de-Seine. Quatre amis marchent sur les hauteurs de Paris, immense colline qui surplombe le décor, laisse entrevoir une vallée pleine de vie, une perspective sans fin, jusqu’à la colline d’en face. Un groupe de quatre souvent séparé en deux, accentuant les individualités mais surtout le dialogue à deux. Le groupe n’a jamais été aussi bien filmé que chez Hers. Les protagonistes se croisent, échangent leur place sans que cela ne fasse prémédité. L’un prend du retard derrière parce qu’il s’allume une cigarette. L’autre se détache afin de passer un coup de téléphone. Mais chaque fois le présent se prolonge. Il n’y a pas une focalisation, il y en a plusieurs. Et au détour de quelques séquences, régulièrement saisies en un seul travelling arrière – Hers filme le groupe en sens inverse de celui filmé par Van Sant : de face. Ils avancent, la caméra recule – s’immiscent des idées, apportant à la séquence une cassure ou un choix surprenant, soit dans sa trivialité, soit même parfois selon un penchant plus comique. Un groupe qui marche ensemble, deux garçons qui échangent d’un côté, deux femmes de l’autre. Un chemin pris par les uns tandis que les autres prennent un raccourci. Peut-être font-ils toujours cela, peut-être est-ce la première fois, on ne sait pas. Puis le groupe se reforme quelques secondes plus tard et le plan, car il n’a pas changé, abandonne la discussion des garçons pour s’immiscer dans celle des filles. Une autre fois, alors que l’une constate qu’elle ne parle qu’avec l’un de musique, qu’ils n’engagent pas de conversation autrement que musicale, c’est l’autre, disparu par une grille dans l’arrière plan un peu plus tôt qui ressurgit au-dessus d’eux, par une grande clôture pour leur faire peur gentiment. Cela, c’est le cinéma de Hers, cette façon si singulière et authentique de filmer le groupe. L’écriture est un événement chez Hers, chaque dialogue est magnifique, une alchimie parfaite qui évite à la fois les facilités et la pose, le dialogue ampoulé ou trivial. Ou alors c’est une trivialité intelligente. Mais le cinéma de Hers est aussi traversé d’un courant mélancolique d’une intensité rare. Primrose Hill n’y coupe pas, c’est même par cela qu’il commence. C’est une voix off qui ouvre le film, celle d’une femme. Elle parle du groupe, d’un groupe de cinq alors que nous ne voyons uniquement quatre personnages. Elle évoque une colline londonienne alors qu’il semble que nous nous situons à Paris. Cette voix off revient régulièrement, mais se détache de l’image, elle occupe une place importante sans pour autant étouffer ce présent que l’on a sous nos yeux. Un présent d’une richesse hallucinante qui outre cette balade qui s’achève par une partie de football improvisée, une virée à l’hôpital pour rendre visite à un ami (proche pour les uns, quasi-inconnu pour les autres, mine de rien ce choix là est important) qui vient de sortir de réanimation, une promenade en médiathèque puis plus tard, offre, lorsque le film choisit définitivement ses deux personnages centraux, deux séquences incroyables. La première, une scène de séduction dans une chambre, d’une finesse et d’une pudeur merveilleuse, alors qu’elle dévoile leur nudité à tous les deux. La seconde, un retour chez les parents de l’un d’entre eux, bouleversante discussion père/fils qui met en lumière ce que l’on commençait à se douter concernant ce cinquième personnage fantôme, qui n’apparaissait jusqu’ici qu’en voix off. Je n’avais pas vu de dialogues aussi beaux depuis Rohmer. Et je n’avais encore jamais vu un groupe aussi bien filmé dans ses individualités. C’est un film dont je me sens incroyablement proche et dans lequel je vois énormément de moi-même. Cette colline de Primrose Hill, bien qu’on ne la voie jamais dans le film, tellement bien évoquée dans le journal de la fille disparue, de même que cette photographie, ultime cliché du temps de paix (remplacé dans le dernier plan par une du présent, à quatre) me resteront longtemps en mémoire. Dans Primrose Hill, le poids du passé, ses douleurs comme ses bonheurs inéluctablement engloutis, est systématiquement rattrapé par un présent fragile mais qui vaut le coup d’y survivre. On peut voir le film telle une construction en partition car si la musique y est concrètement prépondérante (elle est régulièrement évoquée, le groupe d’amis semble aussi être un groupe de musiciens pop et surtout cette cinquième voix évoque Primrose Hill comme le voyage vers les terres entonnées dans le refrain d’un certain morceau…) elle intervient aussi formellement, Hers choisissant un début à quatre instruments (longue discussion en balade) avant d’en isoler deux (intimité de la naissance d’un amour) pour conclure avec un seul, le soliste (le retour chez les parents) et donc créer une sorte de mélodie pop aux doux accents de jeunesse envolée et de grandes espérances possibles.

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