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Archives pour 13 juillet, 2012

Les larmes amères de Petra Von Kant (Die Bitteren Tränen der Petra von Kant) – Rainer Werner Fassbinder – 1974

31.4Rapports préfabriqués.

   9.0   Fassbinder prouve avec ce film, en adaptant une pièce de théâtre, qui plus est ici sa propre pièce écrite, que le cinéma n’a rien à voir avec le théâtre. Huis clos étouffant se déroulant intégralement dans une même pièce, Les larmes amères de Petra Von Kant dévoile des idées de mise en scène incroyables et une utilisation judicieuse de ce petit espace, variant les focales, enfermant les visages, jouant sur le second plan, l’angle de vue à tel point que l’on investit l’espace de cette chambre comme jamais je n’avais pu le ressentir dans de précédents huis clos de cinéma. Le film se découpe en quatre longues séquences portant chaque fois une écriture indéniable mise au service d’un réalisme social Fassbinderien habituel, ainsi qu’une gestion des gestes et du mouvement en général – personnages comme caméra – qui rend le film passionnant à tous les niveaux.

     Petra Von Kant est une styliste de mode de renom et semble noyer son quotidien dans cette carrière qui est toute sa vie. Le film va suivre le rapport qu’elle va entretenir avec cinq femmes – aucun homme dans le film, aucune apparition j’entends, puisqu’ils sont maintes fois évoqués – qui vont graviter régulièrement ou hasardement autour d’elle. Sa maîtresse de maison, bonne à tout faire, qui pourrait aussi être une ancienne conquête, est dévouée jusqu’à l’humiliation. Il y a aussi cette cousine avec qui elle partage ses sentiments et lui raconte sa vie conjugale qui a volé en éclat. Il y a ensuite cette jeune demoiselle, amie de la cousine, qu’elle rencontre inopinément et qui sera par la suite son obsession à s’en rendre malade. Et plus tard les arrivées pour son anniversaire de sa fille puis de sa mère. Ce ne sont jamais des entrées théâtrales. Fassbinder joue énormément de l’ellipse et l’on ne sait guère vraiment le temps qui s’écoule entre chaque longue séquence, à l’image de sa rencontre avec Karin qui s’éteint en fondu pour qu’on les retrouve au plan suivant dans une vie de couple au bord de la crise. Concernant les gestes importants, ils rendent compte de la banalité des rapports comme s’ils étaient pris au hasard dans la mosaïque, accentuant l’idée que la scène est commencée à l’instant où le film nous la propose et qu’elle se prolongera lorsque le film nous l’enlèvera. Ces gestes ce peut être par exemple une Petra qui se maquille tout en discutant avec sa cousine. Le maquillage est si minutieux qu’il occupe quasiment toute la séquence. Ce peut aussi être l’écoute d’un vinyle que Petra semble mettre par simple envie, afin de se mouvoir dans ses souvenirs, ou simplement se lever pour se servir du gin, mouvement qui s’amplifiera avec la durée du film.

     Il y a une attention portée aux objets là aussi, au décor, aux meubles. Fassbinder sait mettre en avant ce qui est immobile autour de ses personnages. C’est un tableau de Poussin, représentant Midas et Bacchus, un tapis aux longs poils blancs, un bar dans le fond de la pièce et de superbes costumes, avec un travail évident sur les couleurs. Une poutre coupe un plan et lui donne une signification, un miroir reflète le visage d’une silhouette que l’on ne voit que de dos ou même le film sait apprivoiser le point de vue de Marlene, la bonne, qui capte les discussions dans l’embrasure d’une porte ou observe cachée à travers une vitre. Il y a une scène sensationnelle, un plan de génie, où le cinéaste suit la discussion entre Petra et sa cousine, concernant la déliquescence des rapports avec son mari et dans le fond la caméra capte soudainement le regard de Marlene, en train de dessiner pour sa maîtresse, tandis que l’on ne sait pas vraiment depuis quand elle la regarde, mais ce visage a quelque chose de bouleversant, clinique, d’une tristesse sans nom, le plan se rapproche donc de ce visage, sortant le visage de Petra qui parle, se rapproche jusqu’à ce que ce visage soit le plan, puis devienne flou et dans le même plan, la caméra effectue un léger déplacement vers Petra venant saisir nettement son visage.

     Les larmes amères de Petra Von Kant n’est rien d’autre que la mise en scène cinématographique d’un mélodrame terrible, à savoir des différentes forces qui régissent un rapport amoureux, systématiquement parasité par cette loi du plus fort. Marlene est la servante de Petra. Pourtant elles vivent toutes deux la même humiliation amoureuse. Petra envers Karin, deuxième partie du film. Marlene envers Petra elle-même. Chaque fois, cette humiliation se caractérise par une dévotion à ne devenir qu’absorption de cet amour. C’est beau autant que c’est terrifiant et traversé de fulgurances exaltantes.


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silencio


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