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Archives pour septembre 2012

Wrong – Quentin Dupieux – 2012

Wrong - Quentin Dupieux - 2012 dans Quentin Dupieux wrong_dupieux-300x165Le saut dans le vide.

   6.5   Le plus enthousiasmant dans le cinéma de Dupieux c’est sa faculté d’invention de mondes parallèles. Steak était un monde à lui tout seul où tout était réel et réinventé, drôle et troublant, un burlesque déstabilisant, fusion parfaite entre le duo de comiques français le plus insondable, avec son langage, sa propre délimitation du rire, son monde à lui, et ce qui se fait de plus barré et de plus indépendamment prolifique en matière d’électro : Mr Oizo. Il y a l’esquisse d’une réalité alternative dans Wrong. Réalité alternative qui engendre une étrangeté elle aussi alternative. C’est ce qui fait à la fois la verve comique de ce cinéma là et sa mélancolie.

     Il pleut des cordes dans un bureau, doté pourtant d’un toit, cela semble ne choquer personne. Un détective fouille dans la mémoire d’une merde de chien. Une hôtesse de pizzeria nymphomane ne fait pas la différence entre Jack Plotnck et Eric Judor. Un chien s’appelle Paul, son maître se prénomme Dolph. La première scène du film montre la voie : une camionnette a brûlé, ne reste qu’une épave et un épais nuage de fumées ; à ses côtés, des pompiers présents viennent apparemment de la sortir des flammes, ils sont en train de manger ; et au milieu de tout ça l’un d’eux baisse son pantalon et chie sur le bitume.

     Wrong c’est l’histoire d’un homme qui cherche son chien. L’homme se réveille un matin, il est 7h60 et l’animal a disparu. En face, le voisin fait mine que tout va bien pourtant, calmement, il s’apprête à partir définitivement de chez lui pour sillonner le désert. Un jardinier s’étonne de voir qu’un palmier s’est transformé en sapin. Une multitude d’autres personnages viennent aussi se greffer à Dolph (jeu de mot repris aussi dans le film), cet homme qui fait le tour du pâté de maison avec un pouet-pouet avant d’engager un détective aux méthodes scatologiques puis de se faire alpaguer par un gourou, qui se fait appeler Maître Chang (maître chien ?) dont il comprend que celui-ci kidnappe les animaux domestiques à leurs maîtres afin d’anticiper le moment où ils ne s’en occupent plus, afin d’apprendre aux victimes (choisies au hasard, lui dira t-il) à entrer en communication télépathique avec leur animal, afin que l’amour éprouvé pour lui au moment de leur rendre en soit réinitialisé.

     Si le film était plus simple et reposerait moins sur des artifices gentiment absurdes et répétitifs que sur des idées nouvelles, sans cesse renouvelées, qu’elles soient en rapport à la mise en scène ou à de simples gimmicks ajoutés, ce serait beau, peut-être même bouleversant. On a malheureusement l’impression que Dupieux cultive sa petite étrangeté, en restant dans la lignée de Steak et dans son balisage. En gros, je trouve ça quelque peu suffisant. Heureusement, il y a parfois des trouées, par exemple je ne cesse de repenser à ce voisin, les deux scènes qu’ils ont en commun me fascinent.

     En l’état, il me manque quelque chose. C’est beaucoup mieux que Rubber mais ça n’atteint pourtant jamais la poésie délurée de Steak alors que le potentiel tragi-comique est nettement plus présent. Il lui manque sans doute une gestion du temps et de l’espace. Un langage cinématographique qui lui est propre. En rapport peut-être avec Tati, je ne sais pas. Ou même, instinctivement je pense à The Party de Blake Edwards et je me dis que Dupieux pourrait réussir quelque chose de très beau dans cette veine là, où il combinerait cette fois le tempo de ses séquences et le rythme entier de son film. J’adore Steak pourtant on en percevait déjà les lacunes.

     Il y a autre chose que je retiens du cinéma de Quentin Dupieux, c’est la légère inquiétude qu’il véhicule. Un absurde dans lequel on se sent bien mais avec par moment une certaine anxiété tout de même. Ce détective par exemple : c’est à peine s’il fait rire tant ses réactions et son ton monocorde perturbent notre axe de pensée et participent plus à créer une angoisse qu’un fou rire. Car l’on sent bien que Dupieux, sous ses airs d’auteur cool et absurde à son paroxysme, est angoissé par quelque chose. Le néant, peut-être. Ou peur de ne pas l’accepter.

     Le répétitif sert ici d’attestation d’une réalité comme banalité de manière à ce que le monde entrepris de montrer par Dupieux se substitut à notre regard comme un monde jamais absurde, juste différent. Une banalité nouvelle.

     Dans la nouvelle réalité de Dupieux on peut encore perdre son chien, c’est l’élément extraordinaire du film pourtant rendu normal à nos yeux dans la mesure où l’on peut le comprendre, le vivre, à la différence d’un palmier changé en sapin, d’un mort qui réapparaît le lendemain, d’une pluie dans un bureau, ou d’un réveil qui annonce chaque jour 7h60. Et l’on peut aussi être déprimé par la vie, ses enchaînements banals, puisque dans ce monde ils sont banals, c’est le cas du voisin d’en face, qui sature, commence à refuser son quotidien et veut à la différence de Dolph faire l’expérience du néant.

Cigarettes et bas nylon – Fabrice Cazeneuve – 2011

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   5.5   Voilà un film où il manque clairement une mise en scène, ou plutôt un chef opérateur, un film bourré de défauts mais aussi de très bonnes intentions. C’est un téléfilm et tout de même, de fictions télés si soignées on en voit peu. Le problème réside peut-être dans la lumière, tant tout respire le studio alors que l’attention portée à l’environnement est paradoxalement intéressante. Le film est divisé en deux parties et comme souvent l’une d’elles est surprenante, la première, quand l’autre, bien qu’attachante, est plus attendue, plus mélancolique. Cigarettes et bas nylon semble avant tout raconter l’histoire de trois femmes françaises qui se côtoient dans une base militaire américaine en fin de seconde guerre mondiale, avant de s’envoler pour l’Amérique, parce qu’elles ont en commun de s’être mariées avec un soldat américain. La première partie raconte ces quatre jours dans un camp cigarettes en Normandie, où prêtent à conquérir l’american dream, ces filles se plient aux enseignements rapides de la langue, de l’hymne et des bonnes manières outre-atlantiques. Fabrice Cazeneuve réussit à filmer le groupe, même si l’on se dit qu’un Bonello (L’Apollonide) aurait fait quelque chose d’incroyable, vivant et ambiancé. Là, on exagère les bons mots bien écrits, l’humour, la vie circule dans l’image mais presque jamais hors-champ, c’est dommage. Malgré tout, j’y suis attaché à cette première partie. Même si au bout de quarante minutes, alors qu’elle s’achève et que le film choisit de quitter le groupe pour se concentrer uniquement sur cette femme dont on lui apprend qu’elle ne part plus puisque son américain est mort, je sais que le film va s’essouffler. Pourtant, il naît des liens très forts entre ces nouvelles mariées et la deuxième partie, beaucoup plus épistolaire, est plutôt réussie. Et j’aime beaucoup la fin, j’en avais pourtant peur. L’idée même de finir sous forme de happy end me terrifiait. Mais c’est un happy end contourné, où l’on ne dit pas que le rêve américain est impossible (il l’est si la femme est réduite à l’état d’objet, voire celles de 1918 qui ont « réussi ») mais qu’il est souvent modifié, qu’il peut fonctionner là où on ne l’attend pas. Il ne prend pas la forme d’une famille bourgeoise et d’un drapeau étoilé à la fenêtre mais d’un grand sourire arboré, balles de jonglages en main. Cette deuxième partie de film est passionnante dans la jalousie que la jeune femme au centre se voit affublé. Elle y croit encore à ce rêve américain, puisqu’il n’est encore qu’illusion, il n’est pas concret. Et lorsqu’elle quitte le sol français dans l’espoir de le conquérir directement là-bas, la réalité lui éclate à la figure. Le happy end ne sert pas à grand chose sinon à prouver que l’Amérique n’est pas plus une terre d’accueil qu’ailleurs, comme les femmes de 40 l’imaginaient, mais qu’elle recèle aussi, comme en France, comme partout, de rencontres, de surprises.

Ennemis intimes (Mein liebster Feind, Klaus Kinski) – Werner Herzog – 1999

WernerHerzog-EnnemisIntimes1-LepasseurcritiqueLes fous normaux.

   8.0   Klaus Kinski tient un papillon dans le creux de sa main qui se met à remuer les ailes puis voltiger autour de lui, avant de se reposer sur sa peau et l’acteur sourire béat, doux comme un agneau qui fixe la caméra de sa fierté habituelle et d’une jovialité nouvelle. C’est la fin du film, ses dernières images. Herzog raconte, non sans une émotion retenue, que ce sont ces instants qu’ils souhaitent garder – ce même si sa raison s’y oppose – de l’homme fou allié et acteur incroyable, son ami lointain, son ennemi intime. Cette raison, ce sont ces cheveux blancs qui envahissent peu à peu son crâne, qui, dira t-il un peu plus tôt dans le film, portent tous le nom de Kinski. Le film est à la fois un documentaire sur cette relation pas banale, entre haine et admiration et un semblant de making-off des cinq tournages effectués ensemble.

     Le cinéaste parle de l’acteur comme on évoquerait un génie tout en admettant qu’il fut systématiquement le problème de tous ses tournages. Les plus périlleux du monde. Et ce ne sont pas des mots en l’air, c’est vraiment impressionnant ! A se demander comment un type comme Gilliam a pu être autant maudit dans tout ce qu’il entreprenait tandis qu’un mec comme Herzog, mégalomane en puissance, a pu terminer des projets aussi fous que Fitzcarraldo avec un acteur principal que l’on pourrait qualifier de tout sauf de bonne patte. On parle de Brando ou Nicholsson mais je pense sincèrement que c’est de la gnognotte comparé à cet allemand au regard halluciné, tout en fureur et gestes désordonnés qui se prenait ni plus ni moins pour Jésus. Un comble génial quand un type comme lui vient se greffer à des films comme Aguirre. C’est probablement l’acteur le plus dingue qui a existé, capable aussi bien de partager une séquence impossible sur un bateau dans un rapide, au risque même de se noyer, tout en refusant d’en tourner une autre pour une petite invasion de moustiques. Capable d’investir son rôle au point de blesser un figurant à l’épée. Capable aussi, hors cinéma, puisque Herzog et Kinski auront vécu quelques mois dans le même appartement, de s’enfermer quarante-huit heures dans une salle de bain pour tout casser. Capable de refuser de tourner une scène parce qu’il n’y est pas le centre d’intérêt – l’ouverture magistrale d’Aguirre.

     Mais l’acteur c’est celui que l’on voit, il ne peut se cacher derrière une caméra, or je pense que Herzog était (il s’est sans doute calmé) aussi fou que lui, différemment. Quand le cinéaste désavoue avoir menacer Kinski au revolver (comme celui-ci le revendique dans son autobiographie, évoquant l’instant où il voulait quitter prématurément le tournage d’un des films) il avoue lui avoir dit que s’il s’en allait, il le tuerait et se tuerait ensuite, et Herzog de dire d’une nonchalance désopilante, que son acolyte a eu raison de rebrousser chemin. Kinski est mort prématurément, seul chez lui. Herzog dira qu’il avait gaspillé son énergie. Quoi qu’il en soit, il laisse derrière lui cette fructueuse collaboration (au moins deux chefs d’œuvre) dans laquelle l’interprétation n’aura jamais, à travers l’histoire du cinéma, été autant adéquate à la réalisation, comme s’ils s’étaient tous deux retrouvés pour le pire et le meilleur, au service du cinématographe, afin de défier l’irréalisable. Ennemis intimes raconte donc cette singulière rencontre, entre témoignages, extraits de films et accrochages divers.

Nosferatu, fantôme de la nuit (Nosferatu, Phantom der Nacht) – Werner Herzog – 1979

30.3La petite mort.

   8.0   Werner Herzog s’attèle à un remake du chef-d’œuvre de Murnau et réalise une merveille. C’est à la fois un hommage fidèle et une pierre supplémentaire dans l’édifice Herzogien, au sens où ce film là, qui a tout pour être le plus impersonnel du monde, se retrouve dans la continuité de son œuvre et se cale logiquement entre Aguirre et Fitzcarraldo. C’est un peu trivial de le dire ainsi mais c’est à ce type de réussites que l’on reconnaît les grands.

     Je ne m’attendais pourtant à rien de plus qu’à un bel hommage, un film musée en somme. Les premières images sont déjà épatantes, glaçantes. Caméra à l’épaule qui se déplace dans une sorte de caverne (prémisses de la grotte Chauvet ?) et filme des corps momifiées, quasi intacts, comme s’ils venaient de mourir sur-le-champ – l’une d’elles a encore ses bottines et on ne serait pas surpris d’en voir une autre bouger. C’est à la fois beau et menaçant. C’est même terrifiant de constater qu’elles nous sont présentées du plus jeune au plus âgé. En réalité ce sont de véritables momies, des corps de victimes d’une épidémie de choléra que l’on peut visiter au musée des momies à Guanajuato. Comme entrée en matière (car le générique continue de défiler pendant ce temps) d’un film d’épouvante, centré sur les vampires et la peste, difficile de trouver meilleure idée. C’est déjà de la mise en scène pure. Ce morceau de film en guise d’intro n’apporte rien au récit, il existe simplement pour aiguiller l’atmosphère lourde qui planera tout du long. Cette première séquence est présentée comme un cauchemar puisque Lucy (Isabelle Adjani) se réveille ensuite en criant.

     Comme dans le film original de Murnau, qui est lui-même une adaptation libre de Dracula, le roman de Bram Stocker, le scénario de base convoque un jeune homme qui voyage pour effectuer la vente d’une maison avec le comte Dracula, lequel après avoir fait connaissance de la femme du jeune homme, sur un simple pendentif, décide de rejoindre la ville de Wismar (Wisborg chez Murnau) afin d’y transmettre la peste et d’y boire le sang de la belle.

     Or, et c’est là qu’il serait dommage de réduire le film d’Herzog à un simple remake, ce sont les cheminements auxquels s’intéressent le cinéaste qui sont magnifiques. Le voyage est et restera ce qui intéresse avant tout Herzog. C’est donc sous l’Or du Rhin de Richard Wagner (le plus beau prélude au monde ?) que Jonathan Harker (Bruno Ganz) part dans les Carpates et marche plusieurs jours entre chemins, roches et rivières espérant trouver le fameux château du comte dont on lui a pourtant, dans un village où il fera escale, défendu d’y mettre les pieds. De même, le voyage inverse de Dracula (Klaus Kinski), accompagné de rats dans des cercueils, à bord d’un voilier, rentre parfaitement dans la thématique du voyage hypnotique que l’on retrouve régulièrement chez Herzog. C’est dans ces moments mais pas seulement que le film libère une picturalité inouïe. C’est peut-être, avec le jeu tout en grimaces de Kinski, ce qui reste du cinéma expressionniste de Murnau, à la différence qu’ici, Herzog peut davantage travailler ombres et contrastes, profondeurs et lignes de fuites. Je dis pas seulement car toute la dernière partie au village est absolument sidérante de beauté, un défilé de tableaux et d’ambiance mortifère.

À perdre la raison – Joachim Lafosse – 2012

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Massacre domestique.   

   3.0   C’est Le septième continent à la sauce Audiard – Arestrup et Rahim, on prend les mêmes et on recommence ! La déliquescence d’une femme jusqu’à l’impensable et les rapports de dominations qui engendrent la tragédie. Partir d’une situation de bonheur ultime (la rencontre amoureuse) pour en arriver à son extrême opposé (le meurtre). C’est déjà binaire. Ici, on part d’un fait divers qui a secoué la Belgique il y a quelques années, un quadruple infanticide. Le film abat ses cartes d’emblée puisque les premières images montrent quatre petits cercueils prenant l’avion en partance pour le Maroc, après que la maman, sur un lit d’hopital, ait demandé qu’on les y enterre. Un accident ? Pas vraiment étant donné ce que suggère le titre du film et la séquence suivante, cassure elliptique évidente (pas de « dix ans plus tôt » ni de générique transitoire) pour dire qu’au sein du couple, avant la tragédie dont on ne perçoit que pleurs et cercueils, il y a eu le bonheur.

Le sujet est fort et vaste autant qu’il est casse-gueule puisqu’on comprend rapidement que l’objectif de Joachim Lafosse est moins de se concentrer sur le drame ultime ni de créer l’angoisse jusqu’au terrassement final (façon La cérémonie) que de comprendre comment un couple si souriant (ce sont les premières images récurrentes que l’on voit d’eux) peut en arriver jusque là. Exercice périlleux. Ce pourrait être tranchant, déchirant que si le film acceptait de jouer sur le terrain de la banalité, que s’il refusait cet aspect best of d’une descente aux enfers. Pour cela, il y a le récit, mais essentiellement la mise en scène. Akerman l’avait bien compris. Les quelques bonnes idées de A perdre la raison relèvent du scénario : une djellaba que l’on ne lâche plus, la question de l’avortement pour le quatrième enfant, l’évasion éventuelle de l’autre côté de la méditerranée. Dès qu’il s’agit de mise en scène ça se gâte, comme c’est le cas dans cette séquence de pure performance, en plan fixe latéral insupportable, où Emilie Dequenne chante Femmes je vous aime, au volant de son véhicule en pleurant toutes les larmes de son corps. C’est d’ailleurs curieux car cela semble être une scène pivot, dans la mesure où le comportement de la jeune femme paraît viré vraiment au noir à cet instant là, à croire que Julien Clerc y est pour quelque chose.

On sent parfois que Lafosse tente d’aller débusquer des banalités, se faire naturaliste mais son schéma initial est bien trop programmatique (une scène de demande en mariage, une scène de mariage, un voyage de noces, une scène d’accouchement, une autre grossesse etc…) pour que l’on soit happé par un dispositif plus immédiat, spontané. Tant est si bien que lorsqu’une séquence d’apparence anodine s’étire un peu on s’attend à un mini-désastre – démonstration quand la plus grande des filles tombe dans les escaliers. Rien ne fonctionne. Toutes les séquences restent alors des étapes importantes d’une vie, de celles que l’on note six mois plus tôt sur un calendrier. Autrement dit que tout ce qui est montré doit être utile, utile pour comprendre la chute. Il me semble que le film aurait gagné à davantage resserré sa mise en scène sur des détails plutôt que ce dispositif ô combien mécanique. La dernière demi-heure est tout de même meilleure par ailleurs, puisque Lafosse se permet des choses, il se permet de ne mettre qu’au centre son personnage féminin, il se permet de faire sortir provisoirement puis intégralement le mari du cadre pour ne garder que la présence du mal, le beau-père, tout en gentillesse et misogynie incarnées, aussi prévoyant que menaçant. Mais ça ne grimpe jamais non plus, la faute aussi à ce parti pris de départ consistant à limiter le poids du drame en le libérant de son effet de surprise. Problème est qu’on y pense durant tout le film et que l’anxiété grimpe davantage au moment de la quatrième grossesse. Sans compter que l’on force les sourires et les moments de gaîtés au début, pour montrer qu’ils appartiennent à un temps de paix, puis on gonfle les grimaces et les pleurs à mesure que le mal s’immisce. Au début, c’est comme si le rire était déjà triste. Les scènes à l’école – la femme est enseignante – en sont la plus fidèle illustration binaire et appuyée tant les sourires forcés (avec une classe de collège parfaitement sympathique et perspicace) cèdent donc la place aux mines déconfites et à des enfants terribles.

Lafosse fait du travail de bon élève. D’élève libre, comme clamait son précédent film. L’auteur en vogue. On ne déborde jamais, on ne surprend jamais. Tout est tellement maîtrisé d’un bout à l’autre, pas d’incarnation. Le film est vide alors qu’il a tout pour être plein. Ça pourrait grimper comme du Chabrol mais ça s’effondre comme du Ursula Meier. La déception est à la hauteur de ce que j’attendais d’un cinéaste dont j’avais adoré le premier film, Nue propriété, autrement plus subtil (dans les rapports fraternels notamment) que cette charge à Césars.

La vie sans principe (夺命金) – Johnnie To – 2012

la-vie-sans-principe-2   1.5   Quand un film relève à ce point de l’anecdote il faut au moins qu’il porte en lui matière à jubilation. Tarantino l’avait compris. Quand Johnnie To réalise son Pulp Fiction version crise il le vide de sa substance jouissive pour n’en garder que l’ennui ou au mieux un divertissement sérieux bâclé. Aucune idée de mise en scène. Aucun sens du rythme. Après le très bon Vengeance on était en droit d’attendre davantage que cette boursouflure dont on met partout en avant qu’elle représente un virage dans la filmo du cinéaste Hongkongais, mais dont on ne garde finalement que paresse lorgnant vers le foutage de gueule. Le pire étant les seconds rôles mafieux, ersatz pathétiques et caricaturaux que l’on s’était habitués à croiser dans les dernières merdes de Kitano. Quelques séquences surnagent tout de même, To est loin d’être manchot, mais c’est tellement infime et pauvre à côté de ce que l’on attend de ce cinéaste que ça ne sauve jamais le film du ridicule.

The chaser (추격자) – Na Hong-jin – 2009

arton2957-1450x800-cSensations fortes.

   7.0   Le plus hallucinant là-dedans c’est d’apprendre qu’il s’agit d’un premier film tant il peut aisément se confondre avec les plus grands polars asiatiques et occidentaux et qu’il tient un rythme improbable deux heures durant. On ne renouvelle donc pas le genre et c’est sans doute ce que Na Hong-jin fait de mieux : un polar noir, sec et sanguin qui casse tout sur son passage et ne s’embarrasse jamais d’effets de styles ostentatoires et autres pirouettes scénaristiques habituellement propres au genre. J’ai grand espoir en ce cinéaste coréen sans pour autant être certain qu’il fera un jour aussi puissant que ce film là. The murderer, deux ans plus tard, avaient déjà ses faiblesses. Na Hong-jin s’y affirmaient comme excellent metteur en scène du temps réel au détour d’une séquence proprement gigantesque et le film séduisait malgré tout bien que s’embourbant dans un dispositif sinon outrancier un peu trop emphatique. Pour être entièrement honnête, même si à chaud après le visionnage ce n’est pas forcément évident, on pourrait ainsi pointer du doigt le dernier quart d’heure de The chaser, quelque peu mécanique au regard des cent premières minutes qui le précèdent. En fait, la principale qualité du film et il me semble que je pensais sensiblement la même chose dans son second, c’est sa faculté à utiliser les possibilités. A priori rien de bien complexe à suivre un proxénète ancien flic, sur les traces d’un client taré qui fait disparaître ses prostituées. Pourtant, le cinéaste ne ménage pas la progression de son scénario, ne joue jamais de facilités tant tout va extrêmement vite et enchevêtre son récit de données nouvelles, apparitions de personnages, violences trop rapides où l’on se demande au bout d’une demi-heure, comment le film peut en tenir encore trois comme celle-là… J’en suis arrivé à me dire que c’était impossible que tout cela se déroule sur une seule nuit. Mais une nuit à la sauce coréenne : pas de véritable climax et surtout des changements de ton surprenants. Ça ne grimpe pas comme une course poursuite et l’arrivée du jour n’a rien de salvateur, au contraire. Les codes sont systématiquement détournés. L’intrigue s’essouffle volontairement quand on l’attend le moins et la violence refait surface quand on ne l’attend plus. Polar classieux et donc éprouvant, en réponse aux très beaux Memories of murder de Bong Joon-Ho et Zodiac de David Fincher.

The social network – David Fincher – 2010

The social network - David Fincher - 2010 dans * 2010 : Top 10 11.-The-social-network-David-Fincher-2010-300x211Les lois de l’attraction.   

   9.0    Fincher est au cinéma ce qu’Ellis est à la littérature. Son contemporain éternel. M’entendre aujourd’hui comparer ces deux auteurs et reconnaître Fincher maître étalon du cinéma américain moderne relève presque du miracle, au moins d’une totale remise en question tant je me sentais encore il y a peu très éloigné de son cinéma qui me paraissait plus fashion que pertinent.

     Le cinéaste réitère donc ce qu’il avait magistralement réussi dans Zodiac (dont il m’a là aussi fallu apprécier tout le fruit seulement à partir du deuxième visionnage) à savoir sortir intégralement de ces archétypes hollywoodiens, qu’il propose des films de genre qui n’en sont pas vraiment puisque chacun de ses films semble être un remake du précédent. Fincher fait toujours le même film, au moins depuis peu. Je ne dis pas que ce n’est pas ce qu’il faisait avant, à l’époque de Fight club et Alien 3, que je classe à part, mais il n’y avait à mon sens pas ce refus total – spectacle, action, famille, love story – qu’il y avait dans le très beau Zodiac, et donc ce Social network (oui tiens, pourquoi ne pas avoir banni le The ?), film sur la bombe Facebook. C’est un peu ce que l’on entend partout : The social network le film sur Facebook, de Fincher le réalisateur de Seven. Hormis les thèmes chers au cinéaste que l’on retrouve systématiquement dans chacun de ses films, comme la solitude, l’avidité de pouvoir et le besoin d’appartenance à une entité, il n’y a plus rien de Seven dans ce nouveau film, qui sonne comme une maturité supplémentaire aussi paradoxale que ça puisse paraître car il traite d’un sujet d’actualité qui touche tout le monde, en particulier les jeunes.

     Il y a deux ans j’émettais quelques réserves sur certains parti prix du film, à savoir son bavardage et son accent procédurier. C’était passer à côté des enjeux du film, de ses thématiques, du film lui-même. Le la est donnée dès la première séquence, vécue moins comme un procès justement que comme un lynchage, où Mark Zuckerberg, futur créateur du réseau Facebook, se fait larguer comme un malpropre par sa copine dans un bar. C’est une séquence monstrueuse. Cinq minutes pleines d’un débit de paroles effrénées. Facebook n’a pas encore vu le jour mais l’idée plane autour de cette dispute. Mieux vaut que l’on reste ami, remarque l’une quand l’autre lui répond fièrement qu’ils ne pourront jamais l’être. C’est déjà presque une affaire de clics.

     La mise en scène de la parole devient donc essentiellement montage en adoptant un rythme proprement hallucinant. Il y a très peu de respiration dans The social network, les personnages m’apparaissent non comme des personnages vivants mais comme de simples concepts (le film va jusqu’à nous montrer deux jumeaux en procès contre Zuckerberg, quasi-sosies de William d’Angleterre). Les acteurs ne sont pas mauvais (au contraire ils sont excellents) mais c’est cette façon si désintéressée de les filmer qui peut gêner, qui installe donc un défilé d’avatars pseudos avec statuts quotidiens. « Facebook-moi et allons boire un verre! » Ou encore « Pourquoi tu dis que tu es célibataire sur ton mur ? » C’est donc un mal pour un bien nous diront-nous étant donné qu’il s’agit aussi de développer une forme de conflit permanent par les mots : chaque personnage a raison, ou bien a raison de croire qu’il a raison (ou bien personne n’a tort dit lui-même Fincher) et chaque personnage (Zuckerberg évidemment en tête) évolue au sein de sa propre bulle, et seulement là-dedans, dans ses propres connaissances de nerd névrosé. Marrant de parler de névrose (en même temps il s’agit aussi de cela, voir la sublime scène de fin) parce que quelque part j’ai pensé à Woody Allen. Qu’est-ce que faisait Allen, dans le débit de dialogue je veux dire ? C’est la respiration, les réflexions, la gestion du temps, sans parler de ces interventions fantaisistes ou absurdes. Il y a quelque chose de fascinant qui est différent dans The social network, enfoui, inaccessible. L’homme est devenu machine, capable de piratages et d’algorithmes, incapable de maîtriser une relation, amoureuse bien sûr mais aussi amicale, puisque les deux co-fondateurs du réseau s’affrontent aussi plus tard en procès, que l’on vit en parallèle, en même temps que l’ascension du réseau.

     Aujourd’hui je trouve ce film immense. Je pense même que c’est le meilleur film de son réalisateur. La raison ? C’est que je le conseillerais difficilement. Il ne s’embarrasse tellement pas d’un éventuel capital séduction que l’on peut parfois trouver dans son cinéma que je trouve ça extraordinaire. Aucun compromis, aucune trajectoire facile, le film suit une ligne claire et ne s’en extrait jamais. Et l’on arrive à cette séquence finale, bouleversante, qui symbolise à elle seule tout le cinéma de Fincher : le piège qu’engendre le pouvoir ici remis à une demande d’ajout à une liste d’ami et à un clic d’actualisation sans fin.

Nuit et brouillard – Alain Resnais – 1955

29La douleur.

   9.5   Comment réactiver les mémoires, donc lutter contre l’oubli en naviguant entre l’expérimentation et la pédagogie cinématographiques ? L’holocauste nazie n’a pas dix ans que l’on se doit d’en rendre déjà compte en images, le plus vite possible, c’est sans doute ce que se sont dits Alain Resnais et Jean Cayrol (auteur du texte de Nuit et brouillard). C’est un document. Peut-on le qualifier de film de cinéma ? Cannes l’avait d’ailleurs refusé de son festival. C’est faire un mauvais amalgame entre la dureté du propos et l’expérience de cinéma. Nuit et brouillard est un document, un ovni donc (Comme on pourrait en dire autant de La jetée, Schizophrenia ou Holy motors ?) ? C’est à s’y perdre. Si le cinéma fait renaître les fantômes, Nuit et brouillard est le cinéma pur, et par la cruauté de son évocation, ni plus ni moins la plus grande catastrophe humaine du XX° siècle, et par ses partis prix de cinéma, flirtant tour à tour entre l’évocation de lieux du passé au présent, images d’archives insoutenables et texte monocorde, pas systématiquement relié à l’image de façon coordonnée. Nuit et brouillard est un film incomplet. Il suffit de voir ce que Lanzmann a fait cinématographiquement de la Shoah, soit tout autre chose, de dispositif moins centré sur le montage mais davantage sur la rencontre, dialoguer avec ces victimes et bourreaux de la guerre, recréer la sensation par la lente traversée et les mots sans rien enlever. C’est l’aspect pédagogique du film d’Alain Resnais, sa durée, sa faculté de synthétiser, ce pourquoi on le propose dans les écoles davantage que le film de Claude Lanzmann. A l’image ici, celle du présent, des terrains vagues, le vide, des ruines, beaucoup de ruines et ce qu’elles suggèrent, des lieux ou machines de mort à l’abandon mais dont on s’en méfierait comme de la mort elle-même. Et puis des images du passé, en noir et blanc, essentiellement des photos, ce passé là a cessé de vivre, d’être en mouvement. Un homme mort sur un grillage de barbelés. Un mur à fusillade, protégé contre le ricochet des balles. Les marques d’ongles qui ornent le plafond des chambres à gaz. Un amas de cheveux. Un amas d’os. Des corps calcinés. Des corps transportés à la pelleteuse. Les images sont d’une violence insoutenable. Et le film dans sa rigueur et sa faculté de mettre en relation ce présent, ce texte et ce passé devient le document ultime sur la Shoah, celui que l’on garde sous la main, pour se rappeler que cela est vraiment arrivé, il y a à peine plus d’un demi siècle, pour ne pas oublier, jamais.

Du vent dans mes mollets – Carine Tardieu – 2012

Du vent dans mes mollets - Carine Tardieu - 2012 dans Carine Tardieu du-vent-dans-mes-mollets

La chambre des poupées.   

   5.5   C’est un film aussi enfantin que sympathique qui serait complètement anecdotique s’il n’était pas autant hanté par la mort, ou l’idée qu’on se fait de la mort, à tel point qu’il trouve un second souffle. Et dit au moins quelque chose de bouleversant, par les mots d’un enfant, à savoir que le plus insupportable dans le chagrin qui accompagne la perte c’est de constater que le monde autour ne change pas, ne s’effondre pas comme on peut s’effondrer. Du vent dans mes mollets est un film raté sur bien des aspects mais pas sur ce point là, avec cette charge funeste qui l’accompagne d’un bout à l’autre, à l’école avec cette camarade qui a perdu sa maman, en famille quand les discussions dérivent régulièrement sur la vie en camp de concentration du père orphelin, et bien entendu dans le final brutal et cruel que je ne raconterai pas. Après voilà, dans le comique, Tardieu est – sauf à quelques rares occasions – très limitée, maladroite, ne sait pas comment mettre en scène, ne sait pas si elle doit être subtile ou ostensible. Entre Jeunet et Podalydès, elle semble vraisemblablement et malheureusement choisir le premier. Gimmicks récurrents et lourdingues à nous faire lever les yeux au plafond (il y a forcément des subventions Barbie et Mobalpa là-dedans ! Il y a aussi ce clin d’œil éreintant à La Boum en fil rouge) ou standardisation de l’humour populaire (le film se paie même le luxe de choper les rires improvisés de ses acteurs (une fois Jaoui, une fois Podalydès, grillé de chez grillé), ça me rappellerai presque les promotions des Bronzés 3 et de Bienvenue chez les ch’tis) ou attirance pour le micmac criard formel AméliePoulainesque has been (Saturation de couleurs, sépiacrado pour le passé, super 8 pour des instants détachés, apartés clipesques en veux-tu en voilà, inserts peu inventifs, gros mots en rafale séduction garantie (oui car entendre dire bite, couille, nichon dans la langue d’une enfant de neuf ans c’est rigolo…). Que reste t-il alors ? Ce qu’il restait dans un film comme Polisse et qui manquait cruellement à un film comme Adieu Berthe par exemple : une facilité de séduction qui permet de surprendre du début à la fin et une énergie mal canalisée, comme si le film avait été mal monté. J’aime que le film aille encore plus loin que La boum sur la confrontation de l’enfant avec ce qui le dépasse : crise conjugale parentale et présence de la mort. Car il y a certains tête-à-tête pas loin d’être bouleversants et puis disons que nous n’avions jamais vu Jaoui comme ça, physiquement bien sûr mais surtout en tant qu’actrice. En parlant d’interprétation, la petite qui joue Valérie est épatante.

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silencio


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