La petite mort.
8.0 Werner Herzog s’attèle à un remake du chef-d’œuvre de Murnau et réalise une merveille. C’est à la fois un hommage fidèle et une pierre supplémentaire dans l’édifice Herzogien, au sens où ce film là, qui a tout pour être le plus impersonnel du monde, se retrouve dans la continuité de son œuvre et se cale logiquement entre Aguirre et Fitzcarraldo. C’est un peu trivial de le dire ainsi mais c’est à ce type de réussites que l’on reconnaît les grands.
Je ne m’attendais pourtant à rien de plus qu’à un bel hommage, un film musée en somme. Les premières images sont déjà épatantes, glaçantes. Caméra à l’épaule qui se déplace dans une sorte de caverne (prémisses de la grotte Chauvet ?) et filme des corps momifiées, quasi intacts, comme s’ils venaient de mourir sur-le-champ – l’une d’elles a encore ses bottines et on ne serait pas surpris d’en voir une autre bouger. C’est à la fois beau et menaçant. C’est même terrifiant de constater qu’elles nous sont présentées du plus jeune au plus âgé. En réalité ce sont de véritables momies, des corps de victimes d’une épidémie de choléra que l’on peut visiter au musée des momies à Guanajuato. Comme entrée en matière (car le générique continue de défiler pendant ce temps) d’un film d’épouvante, centré sur les vampires et la peste, difficile de trouver meilleure idée. C’est déjà de la mise en scène pure. Ce morceau de film en guise d’intro n’apporte rien au récit, il existe simplement pour aiguiller l’atmosphère lourde qui planera tout du long. Cette première séquence est présentée comme un cauchemar puisque Lucy (Isabelle Adjani) se réveille ensuite en criant.
Comme dans le film original de Murnau, qui est lui-même une adaptation libre de Dracula, le roman de Bram Stocker, le scénario de base convoque un jeune homme qui voyage pour effectuer la vente d’une maison avec le comte Dracula, lequel après avoir fait connaissance de la femme du jeune homme, sur un simple pendentif, décide de rejoindre la ville de Wismar (Wisborg chez Murnau) afin d’y transmettre la peste et d’y boire le sang de la belle.
Or, et c’est là qu’il serait dommage de réduire le film d’Herzog à un simple remake, ce sont les cheminements auxquels s’intéressent le cinéaste qui sont magnifiques. Le voyage est et restera ce qui intéresse avant tout Herzog. C’est donc sous l’Or du Rhin de Richard Wagner (le plus beau prélude au monde ?) que Jonathan Harker (Bruno Ganz) part dans les Carpates et marche plusieurs jours entre chemins, roches et rivières espérant trouver le fameux château du comte dont on lui a pourtant, dans un village où il fera escale, défendu d’y mettre les pieds. De même, le voyage inverse de Dracula (Klaus Kinski), accompagné de rats dans des cercueils, à bord d’un voilier, rentre parfaitement dans la thématique du voyage hypnotique que l’on retrouve régulièrement chez Herzog. C’est dans ces moments mais pas seulement que le film libère une picturalité inouïe. C’est peut-être, avec le jeu tout en grimaces de Kinski, ce qui reste du cinéma expressionniste de Murnau, à la différence qu’ici, Herzog peut davantage travailler ombres et contrastes, profondeurs et lignes de fuites. Je dis pas seulement car toute la dernière partie au village est absolument sidérante de beauté, un défilé de tableaux et d’ambiance mortifère.