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Archives pour décembre 2012

Oslo, 31 août (Oslo, 31. august) – Joachim Trier – 2012

06_-oslo-31-aout-joachim-trierNorwegian wood.

   8.5   Nouvelle adaptation du roman Le feu follet de Pierre Drieu La Rochelle. On a parfaitement en tête le très beau film de Louis Malle donc Joachim Trier doit aussi bien éviter l’écueil de la redite que celui du film construit autour de son issue. En effet, Le feu follet se suffit déjà à lui-même et l’on sait en adaptant ce récit que le personnage central finira par mettre un terme à ses jours. Bel exemple du film qui doit se détacher de sa référence et exister pour lui seul en se fondant dans sa propre époque. Ces inquiétudes une fois balayées, je dois reconnaître que le film norvégien est venu me cueillir, progressivement, avec cet état spleenétique latent, sa tendresse infinie, son élégance, son amour de l’errance et ces dialogues de retrouvailles, finalement archaïques, puisqu’ils sont coincés entre deux temporalités distinctes.

     Anders, en cure de désintoxication, sort provisoirement, une journée, afin de se rendre à un entretien d’embauche en prévision de sa réinsertion imminente. L’occasion de retrouver Oslo et dans le même temps d’aller rendre visite à des proches. Dans son viseur : sa sœur et son meilleur ami.

     Le film s’ouvre sur des plans de la ville d’Oslo, détachés au point d’en réduire le format de l’image, comme si on avait voulu convoquer des souvenirs à travers un petit film amateur. Plusieurs voix, chacune leur tour, parlent de quelqu’un, en lui attribuant une action qu’il aimait faire. Fouler les rues piétonnes, manger une glace la nuit, courir sans but. Parlent-elles d’Anders ? A cet instant du film – sorte de prologue – nous ne l’avons toujours pas vu, on peut donc considérer que ce sont les voix de tout le monde, les voix d’Oslo, qui résonnent et rendent hommage à des proches qui ne sont plus – un peu à la manière de ces interludes inventifs dans Les amours imaginaires où Xavier Dolan mettait en scène des monologues face caméra de personnages lambdas qui n’étaient pas dans le film, évoquant chaque fois leurs déceptions amoureuses.

     Le film se termine comme il avait commencé. Mais les voix ont disparus, ne reste que ce lourd silence qui envahit Oslo – clin d’œil à L’éclipse de Antonioni – à travers des lieux que l’on a traversé aux côtés d’Anders durant tout le film. Anders a disparu, la vie aussi. Et les plans remontent le film en son entier pour se terminer sur la vue de cette chambre qui ouvrait le dernier jour d’Anders, post prologue. Mais sans lui cette fois, sans cette silhouette qui s’étire en observant le balai autoroutier.

     La première fois, au cinéma, j’avais trouvé le film un peu trop séducteur, aussi bien dans certains choix utilisés pour peupler cette errance que dans son utilisation musicale ou des effets stylistiques un peu arty. En fait, je pense que la mise en scène s’adapte parfaitement à son personnage et à ceux qui gravitent autour de lui, cette tendresse naïve. C’est une captation de trajectoires filmée comme on écouterait une petite musique funèbre mais sous une humeur hypnotique et solaire. On se croirait plongé dans un album de Joy Division et le parallèle est tellement flagrant que, hasard ou non, j’ai beaucoup réécouté les galettes Unknown pleasures et Closer ces derniers jours. Et si les films de Joachim Trier tiraient leurs ambiances de la musique ? New Order dans son premier long-métrage Nouvelle donne et Les Smiths, dit-il, dans son prochain. Ici, par exemple, j’aime beaucoup l’équipée nocturne, avec cette inconnue, justement parce que le film semble s’être perdu avec Anders, semble avoir si bien fait corps avec lui qu’il en a oublié les desseins primordiaux de cette première journée dehors. Le film a glissé. Il aurait dû s’avérer bavard (au vu de la première retrouvaille, avec son meilleur ami) au contact de la petite sœur (on ne saura pas s’il s’agit de sa sœur aînée ou cadette, mais il a cette manière d’en parler en protecteur déchu que je trouve absolument bouleversant et m’amène à penser qu’il est le grand frère) mais la soirée se terminera de façon étrange sur le bord d’une piscine déserte (prête à la vidange) après avoir fait résonner les cris sur une place réputée pour son puissant écho. Je reconnais que le film est parfois envahi de symboles pas toujours des plus subtils mais dans le même temps je trouve ça tellement beau et le film m’emporte. En moins réussi, il y a la scène de la cafétéria, où Anders écoute les discussions des autres, tente peut-être de saisir un peu de leur vie. C’est son dernier jour, il se permet tout. Dommage que dans un élan moins mémorable Joachim Trier glisse dans ce brouhaha choisi une discussion d’adolescentes sur le suicide d’un homme.

     Il y a aussi tous ces dialogues, il faut en parler. Le premier tient une place importante et j’adore sa construction car là où le cinéaste aurait pu enfermer ses personnages et ennuyer, il déconstruit le déplacement et découpe à l’ellipse. Ainsi, la retrouvaille s’effectue d’abord dans l’appartement de son ami, aux côtés de sa femme et sa fille. Puis il y a un exil invisible dans un bureau ou une chambre, où l’ami sera finalement sollicité pour retrouver un citron siliconé pour les dents du bébé. Plus tard, la conversation se poursuivra dans un parc, sur un banc, et une fois que le plan changera ce sera un autre banc, avant que l’on atteigne les marches d’une ruelle, sans qu’on ait eu réellement la sensation d’une scission dans la discussion. Le film permet au spectateur d’apprivoiser la perte de repère générale d’Anders. Et le dialogue, in fine, aura lui aussi glissé, d’une prise de connaissance mutuelle du devenu de chacun, il évoquera l’idée que l’on se fait du bonheur des autres, le désespoir inébranlable et la possibilité du suicide. Il y a cette impossibilité à comprendre les choix de chacun, comme lorsque Anders refuse la pitié de son ami et son hypocrisie de même que les mots qu’il utilise pour espérer qu’il se ressaisisse. « Regarde ma vie, j’ai 34 ans et j’ai rien. Et je n’ai pas le courage de tout recommencer » dit Anders. « On ne fait plus l’amour, on en profite pour jouer à Battleship sur console, quand la petite s’en va dormir » lui répond son ami. Il n’y a pas de bonheur, que des satisfactions. Quand Anders dit qu’il aimerait ressentir ce bonheur qui traverse la vie de son ami et ce dernier de lui répondre qu’il pourrait avoir ça lui aussi s’il s’en donnait les moyens, Anders lui avoue que cette situation (marié, un enfant) qui fait le bonheur de son ami, ne ferait pas le sien. Le film est très fort pour faire entrer en collision des états d’âmes qui ne peuvent fusionner.

     Plus brève mais sans doute plus surprenante, et surtout plus émouvante est la discussion avec cette jeune femme, qu’Anders semble bien connaître (à moins qu’il ne soit l’ami de son mari qui restera intégralement hors champ, pensons-nous au départ), lors de cette soirée festive (un anniversaire ?) où son meilleur ami (que l’on ne verra pas à la fête) l’avait invité. Le dialogue est distant. Anders prend des nouvelles. La jeune femme n’ose pas vraiment lui dire qu’elle est heureuse avec son homme. Puis elle évoque ces couples qui autour d’eux font tour à tour des gosses, mettant en avant son refus d’entraver à ce point sa liberté conjugale avant que l’on ne comprenne que cet enfant se fait attendre, qu’il prend son temps et que le poids des enfants des autres est trop fort moralement pour surmonter cette attente. C’est finalement Anders qui remonte le moral de cette amie. Le temps d’une phrase, on aura compris qu’il a partagé la vie de cette femme, quelque temps, par le passé. Il y a aura un baiser, un dernier baiser. Tellement inattendu qu’il mettra court par sa gêne à cette discussion de retrouvaille. C’est une séquence absolument sidérante.

     Le film n’agit pas toujours de façon aussi floue mais il prend le parti de considérer le spectateur comme celui des vingt-quatre dernières heures de la vie d’Anders, ni plus ni moins. Sans lui offrir de repères simplistes ni alourdir le vécu de chacun des personnages. On apprend d’eux seulement s’ils font partie intégrante de l’image (le meilleur ami est l’exemple le plus évident) ou s’ils sont relayés par un intermédiaire (l’amie de la sœur d’Anders) mais dans certains cas, leur absence les laisseront dans l’ombre, aussi bien le personnage en question que le rapport qu’entretient Anders avec. C’est le cas d’Iselin, une jeune femme qu’il tente de joindre par téléphone à plusieurs reprises. Ses messages vocaux laissent penser qu’il s’agissait de sa dernière relation amoureuse, avant qu’il ne sombre dans la drogue. Même ce rapport à la drogue est particulièrement opaque. On ne sait pas si Anders a fait de la prison ou s’il est uniquement parti en cure de désintoxication, s’il dealait ou si seulement il se droguait.

     Oslo, 31 août est une errance sans espoir, mais à la recherche d’un miracle. Miracle qui n’arrivera évidemment pas, dont on se demande si quelque soit la rencontre (et quelque soit son dessin) et son issue, l’une d’elles aurait pu sauver Anders de cette appropriation inéluctable qui l’habite depuis les premiers instants (tentative de noyade) jusqu’au crépuscule de cette journée dont on attendait rien sinon un sursaut impossible.

Main dans la main – Valérie Donzelli – 2012

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Déséquilibre.

   4.0   On pourrait réduire ce faux pas à la simple présence de Valérie Lemercier, qu’on ne serait pas totalement à côté de la plaque, mais je pense que c’est plus compliqué que cela. Quand je dis Valérie Lemercier j’entends actrice bankable, Lemercier en elle-même n’y est pour rien. Oui, on peut se dire que Valérie Donzelli a perdu de sa superbe et donc de son énergie cinématographique en canalisant sans doute davantage d’attention sur la partie la plus onéreuse de son projet. Mais le principal problème réside dans la différence de problématique au sein de son récit en rapport avec ses précédents et essentiellement la place qu’elle-même, Valérie Donzelli, s’y offrait à l’intérieur. Le rôle du contraire de Joachim (Jérémie Elkaïm) à savoir cette professeur de danse à l’opéra Garnier ne pouvait pas lui échoir et en parallèle il y a le rôle de la sœur qui semble au contraire avoir été écrit pour elle. Le film est donc déséquilibré et moins fuyant. L’équilibre c’était La guerre est déclarée. Equilibre entre drôlerie et gravité parce que l’énergie imposée (avec une idée incroyable par seconde) l’emportait. La fuite c’était La reine des pommes, film fauché, au culot, qui se redéfinissait toutes les deux minutes. Au contraire de ce qu’elle revendique, je pense sincèrement que Main dans la main n’est pas plus singulier que ces deux réussites. Il y a bien entendu un matériau beaucoup plus absurde, mais ce qu’elle en fait est paradoxalement très sage, très carré, attendu. Prenons l’exemple de la rencontre fortuite entre Elena et Joachim : il y a une bonne idée, une seule, c’est la rencontre justement, peut-être le plus difficile. Et Valérie Donzelli crée quelque chose d’hyper artificiel, en tout cas anti-naturaliste, qui lui correspond à merveille – c’est à peu près la même scène que les cacahuètes dans son précédent film avec ce premier échange improbable « Juliette. – Roméo. – C’est une plaisanterie ? ». L’idée du sortilège plutôt que d’un désir sexuel soudain est finalement plus surprenant. Problème est que ce qui suit se révèle terriblement éculé et répétitif. La scène au commissariat de police est consternante. On dirait presque du Dany Boon. Alors d’accord, j’adore Valérie Donzelli, ce petit bout de femme pétillant et passionnant, qui lancée ne s’arrête plus de parler, avec le sourire jusqu’aux oreilles. J’aime sa façon de travailler – le monteur-son devient tel personnage, la figurante d’un de ses films devient scripte sur celui d’après etc…- et sa conception du cinéma. Mais son dernier film n’est pas bon, surtout au regard de ses précédents travaux. Il n’y a pas cette fusion miraculeuse. Ce n’est ni honteux ni désagréable évidemment, simplement ça reste au stade de l’anecdotique et j’en ai presque de la peine de le dire ainsi. Avec un peu d’indulgence on peut dire que son petit manège fonctionne un quart d’heure, ensuite qu’il devient maladroit. On peut aussi être touché par le sujet puisque une fois encore Valérie Donzelli réalise un film sur Jérémie Elkaïm (à qui elle semble lui faire une déclaration d’amour perpétuelle) et sur l’impossibilité de rompre (rappelons qu’il est le père de son fils mais qu’ils sont séparés à la ville) et cette simple idée me bouleversait déjà dans La guerre est déclarée. Et il faut voir le film pour Jérémie Elkaïm, justement, il est génial, comme toujours. Concernant Donzelli, elle reviendra sans doute avec de meilleures idées le prochain coup, je ne m’affole pas.

Les beaux gosses – Riad Sattouf – 2009

31_-les-beaux-gosses-riad-sattouf-2009Chaussette !

   8.5   Web Screwball discussion avec un ami :

Moi : Confirmation, après ce quatrième visionnage, que je suis fan absolu.

Tom : Pareil, je l’ai revu deux fois cet été et c’est absolument hilarant.

Moi : J’ai revu le film spécialement parce que je suis en pleine lecture de La vie secrète des jeunes III au moins aussi génial que les deux précédents tomes.

Tom : « On dirait le personnage, là, le petit Grégory »

Moi : « Kamel a choisi Jean-Luc Reichman. Manque de pertinence quant à l’importance historique. Huit ».

Tom : « Ta mère voulait t’appeler Yannick, à cause de Yannick Noah »

Moi : « Attends, on pourrait nous voir » Hervé tirant le rideau quand sa mère l’enlace devant la fenêtre.

Tom : « Bien fait pour ta gueule ! »

Moi : « ça c’est pour nous, ça c’est pour nous ! Chaussette ! »

Tom : «  L’itinéraire trash et tourmenté d’un professeur de français de collège dans le milieu gay breton underground » Le prof de français est fabuleux.

Moi : C’est le meilleur. « Hervé qui nous fait son exposé sur un athlète rappeur américain, cinquante cent. C’était mal parti puis la conclusion apporte un tout nouvel éclairage à l’ensemble, on est sous le charme. Douze »

Tom : Mes cinq personnages préférés : Le prof de français, Kamel/Hervé impossible de les dissocier, Le prof de sport, La mère d’Hervé, Le père d’Hervé.

Moi : Oh c’est compliqué un top 5 personnages.

Tom : « Hé mais t’as deux coudes ? Oh putain de bordel, t’as deux coudes ! Oh bordel de bite à queue d’putain ! Oh la la »

Moi : « Alors on fait quoi ? – Bah on va aux toilettes et j’te suce ! – Ah ouai ? – Non mais t’as vu ta gueule ?! »

Tom : « Vous n’en avez qu’un ? – Oh mais il est multiple cet enfant là. – Ah oui et vous aussi vous êtes multiples ? – Non moi j’suis en dépression »

Moi : « Mahmoud il a dû faire des trucs graves dans une vie antérieure tellement il est puni. Il a dû massacré des innocents… »

Tom : « Hé mais vous êtes pas au courant ? Vous êtes dans le futur, on vous a décongelée »

Moi : « Non mais elle c’était pas pareil tu vois, c’était la femme de ma vie et puis voilà j’ai raté le train, il est passé, j’ai raté ma vie, j’ai plus qu’à me suicider »

Tom : « Tes grands-parents ils sont morts toi ? – Ouai, un accident de voiture, écrabouillés, les quatre d’un coup »

Moi : « Non mais tes grands-parents ils sont vieux vieux ou moyen vieux ? – Moyen vieux. – Moyen vieux, non mais ils vont jamais mourir alors, enfin si, mais non »

Tom : « Laura, ça va ? – Ta gueule toi, boudin ! »

Moi : Il faudrait retrouver la réplique des micros particules qui arrivent dans la bite quand on est dans le bus car c’est absolument sensationnel.

Tom : « Collision en plein vol entre Hervé et mon keuss ! »

Tom : « Mais attends, les classements c’est la vie, les forts ils doivent écraser les nuls ! »

Tom : « Mais genre tu vois, j’arrive dans l’bus, j’m’accroche à la barre et là, piooouuu, j’ai une gaule de ouf et tout. – Mais c’est les ondes électromagnétiques qui font bander, c’est tout à fait connu. En fait, dans la bite, si tu veux t’as des récepteurs qui euh, qui réagissent aux ondes des moteurs. Les ondes dilatent les veines dans la bite et le sang lui il monte comme s’il sortait de ta bite et hop t’as une gaule d’enfer. C’est un gros problème sur les chantiers, les mecs tu vois qui conduisent des tracteurs, imagine la galère, grosse teub dressée toute la journée et tout. – J’aimerais bien conduire des engins comme ça moi ! »

Moi : Fantastique ! Merci.

Moi : « Mate sur le canapé ! Page 320, La redoute 1986 »

Tom : « Oh, tu aimes les tétons épais et soyeux, comme tes cheveux ! »

Moi : « On a niqué derrière un buisson, ambiance sado-maso mon gars. Mais non t’es con »

Tom : « Non mais c’est quoi ça ?! » quand le prof de science-physiques chope Hervé avec le doigt dans la bouche de Kamel.

Moi : « Et la langue, ça coule pas sur les côtés, ça fait pas des coulaisons ? »

Tom : « Monsieur, moi je l’savais qu’y avait contrôle »

Moi : « Kamel je viens de me lever et quand j’vous vois j’ai envie de me recoucher »

Tom : « Putain j’ai sais pas combien j’ai eu de belles mères mais là j’sens que je vais en avoir une autre. Tu sais comment on l’appelle mon père ? La bite humaine. – C’est normal aussi, il est trop beau ! »

Moi : « Le truc complètement à la tunisienne »

Tom : «  je viens de le revoir et c’est toujours aussi hilarant.

Nico : Bon scénar mais mauvaise mise en scène, selon moi.

Tom : «  Hitler, est-ce que je vais rouler une pelle à Laura pendant la fête, ou même la niquer ? – T R O P A. – Trop bizarre qu’Hitler réponde trop pas »

Moi : Je ne suis pas d’accord Nico. Certes ce n’est pas une réa de haute volée mais elle colle parfaitement aux personnages et aux situations. Et puis Sattouf vient de la bande-dessinée donc que le film soit construit en vignettes (si c’est ce que tu lui reproches ?) correspond assez bien à ce qu’on est en droit d’attendre de lui et d’un teen movie comique de manière générale. Ce film là n’a à mon sens rien à envier aux meilleurs films de Hugues ou de Apatow. Et puis je trouve le film tordant, 1h20 durant, sans baisse de régime et cerise sur le gâteau la fin est absolument magnifique et pour le coup superbement mise en scène – Un plan. Les visages ont changé, on se check le matin, une nouvelle année et The Vaselines.

Moi : J’adore le « ou même la niquer »

Moi : « Fais chier les La redoute. On peut pas prendre un vrai truc de cul pour une fois ? »

Tom : La fin est pas mal, oui. Big up aux piques punk de Kamel.

Les bêtes du sud sauvage (Beasts of the southern wild) – Benh Zeitlin – 2012

24_-les-betes-du-sud-sauvage-beasts-of-the-southern-wild-benh-zeitlin-2012Calvaire dans le bayou.

   1.5   J’avais écrit ceci en sortant : « C’est insupportable d’un bout à l’autre. Une grosse boursouflure sundance. Le scoubidou de l’année » Bref, de l’argumentation de bas étage, je dois le reconnaître, mais circonstances atténuantes, j’étais énervé. Dorénavant reposé, je vais essayer d’y revenir mais je préviens : ça me coûte !

Je vois ça comme un croisement entre Miyazaki, Max et les maximonstres, Le roi lion et Kusturica. Une bonne bouillabaisse pas fraîche. Mais de Miyazaki je n’en vois que l’esquisse.

C’est la page blanche d’un Miyazaki remplie par la plume de Kusturica. Ça se veut plein de folie mais ce n’est que folie pour faire genre, cinéma inoffensif. De Kusturica je trouve cela nettement plus proche de Promets-moi, cet assourdissante bêtise que de cette merveille qu’est Le temps des gitans, qui trouve à mes yeux une grâce et un équilibre inattendus. On entend parler de Malick également, pour moi c’est de la caricature malickienne comme il y en a des dizaines par an, où on filme les éléments en tremblotant sous musique et voix off.

Une de mes connaissances qui l’a aimé modérément le rapprochait de Little miss sunshine, The descendants, Winter’s bone avec cette galerie de personnages gimmicks, cet esprit sundance. Je le rejoins entièrement puisque c’est un esprit qu’aujourd’hui je déteste. Que je déteste presque autant que l’esprit Les petits mouchoirs en fin de compte. Sorte de standardisation du drame sympa, qui fait rire et pleurer. Je ne veux plus voir ça, jamais.

Et aussi, c’est un cinéma qui se veut lyrique et distant, pour ne pas faire trop hermétique ni trop aimable. La caméra qui bouge tout le temps. Le côté grotesque des rebondissements inutiles. Les pauvres avec un coeur gros comme ça. L’enfant courage. Passage à l’âge adulte. Le package complet !

La seule chose que je sauve c’est l’idée qu’il a eu de placer l’aventure du simple point de vue de l’enfant. C’est tout.

Et puis la musique ! Bon dieu, cette musique. Elle aussi se trouve au milieu de tout. Mi-fédératrice, mi-lacrymale, mi-guerrière, mi-apocalyptique. Brouhaha désagréable. Tout est réducteur, tout est surligné, tout est lourd. J’ai franchement eu l’impression d’être agressé tout du long. J’ai du mal à en parler tant ce fut une séance calvaire (la pire de l’année sans doute).

Malec aéronaute (The Balloonatic) – Buster Keaton & Edward F. Cline – 1923

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Les fous volants.

   6.0   Pourquoi parler de ce Keaton/Malec là plutôt que d’un autre ? On sait que la série de court-métrage vouée à ce personnage fantasque est éclectique et compte des réussites plus évidentes. L’envie d’écrire sur Balloonatic provient justement du fait que ce court là ne ressemble pas entièrement à ceux que j’ai vu avant – Malec forgeron, La voisine de Malec, Malec l’insaisissable qui jouaient tous trois sur des gags de répétition liés à un environnement quasi inamovibles, les allées de deux appartements dans le second par exemple. Le gag lui-même n’a pas non plus une saveur similaire. Je ne sais pas ce qu’avait fumé Keaton, aussi bien pendant le tournage de ces minis séquences qui ne s’agencent pas forcément bien ensemble, que dans ces choix de montage, loin d’être audacieux, mais ça devait être de la bonne ! Au départ, Malec ère dans un parc d’attractions, il fuit une maison hantée et se prend une veste en dragouillant dans un voyage en pirogue. Ensuite il se retrouve malgré lui sur la partie gonflable d’une montgolfière qui décolle sans qu’il ne s’en aperçoive. Le ballon explose, il échoue au bord d’une rivière, il tente de survivre en allant à la pêche aux poissons mais son panier est troué et plus tard il met le feu à sa barque. Heureusement, le voilà qu’il rencontre une jolie demoiselle, certes un peu violemment : il nageait tranquillement dans la rivière quand elle lui a plongé sur la figure. Il recroisera son chemin plus tard alors qu’elle s’apprêtait à lui venir en aide quand elle le vit se dépêtrer à l’envers dans sa barque, bataillant contre courant. Ils vont tous deux reconstruire cette barque, n’omettant pas de l’orner d’un beau plafond en toile de montgolfière. Lorsqu’ils navigueront amoureusement sur les rapides, elle aux anges de l’entendre lui chantonner un petit air romantique, ils seront surpris par une cascade géante dans laquelle ils n’auraient pu survivre si le plafond de leur braque ne s’était pas à nouveau transformé en ballon. Une barque dans le ciel, deux amoureux au septième ciel. C’est évidemment mignon comme tout, ça va dans tous les sens, on part quand même d’un homme surpris par les monstres d’une maison hantée pour finir amoureux dans une barque volante, tout cela en vingt minutes à peine. La fumette, quoi.

Retour en Normandie – Nicolas Philibert – 2007

17_-retour-en-normandie-nicolas-philibert-2007Que reste t-il ?

   7.0   L’origine du projet est un film des années 70 réalisé par René Allio : Moi Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère. A l’époque, Nicolas Philibert était assistant de mise en scène sur le tournage du film d’Allio. Ce retour dans la région, trente ans plus tard, a plusieurs vocations. C’est à la fois revenir sur l’histoire du film, sa genèse, son déroulement autant qu’établir des correspondances avec le présent, rencontrer les personnes qui ont été au cœur du projet, entendre leur souvenir et s’intéresser à ce qu’ils sont devenu. Le film s’ouvre sur un quotidien d’élevage de cochons. Ce quotidien c’est celui de Joseph, paysan qui jouait le rôle du père Rivière dans le film d’Allio. Philibert raconte qu’il n’y avait que des acteurs non professionnels dans le projet, même le jeune Rivière avait été recruté sous le manteau. Et la plupart jouaient quasiment leur propre rôle puisqu’ils étaient les voisins d’untel, comme dans la vie. A l’image de cette séquence inaugurale, et un peu à la manière de Raymond Depardon, Nicolas Philibert approche le quotidien de paysans qu’il observe puis questionne. C’est aussi réinvestir les lieux. Les lieux d’un film qui fut pour lui fondateur mais aussi les lieux d’un drame du XIXe siècle, puisque Allio, à l’époque, avait choisi de tourner non loin des vrais lieux du drame. Retour en Normandie agit donc à la fois en tant qu’approche en décalage temporel, mais aussi en tant qu’hommage à Moi, Pierre Rivière, dont il pourrait être non pas le making-off (très peu de photos d’époque, aucun instantané de tournage) mais un document parallèle offrant un nouvel axe de lecture. Le film reprend par ailleurs nombreuses séquences de son modèle. Il ne les commente pas, ne justifie pas leur existence, elles se glissent naturellement dans ce récit au présent. On apprend beaucoup des difficultés de tournage et de distribution. Moi, Pierre Rivière est un film incroyablement amputé. Amputations nécessaires, autrement il ne serait jamais sorti. Après ça, René Allio ne fera plus beaucoup de cinéma, les acteurs éphémères non plus – mais ce n’est pas faute d’espérer recroiser un éventuel tournage, dira dans une séquence très drôle un paysan, qui jouait aussi dans le film d’Allio. Pierre Rivière, alias Claude Hébert, disparaît sans laisser de trace, puis réapparaît au chevet du cinéaste, mourrant, vingt ans plus tard, puis disparaît à nouveau, selon les mots de Nicolas Philibert. Retour en Normandie se termine sur l’explication d’une double recherche, l’une attendue, à savoir ce come-back de Claude Hébert dans la région, très émouvante, mais surtout, sans doute la plus belle idée du film (ainsi que de se terminer là-dessus), la recherche d’une image du père. Non pas celui de Pierre Rivière, ni celui de René Allio, mais celui de Nicolas Philibert, qui jouait un minuscule rôle (il était juriste je crois) dans le film, séquence faisant partie de ces innombrables coupures du montage final. Tenter de débusquer cette chute, cette image perdue. Une image de mon père, dira Philibert d’une humilité bouleversante. Le film se termine comme ça : par cette courte scène, muette, où ce père semble dire quelque chose. Des mots étouffés par un silence de mort.

Into the abyss – Werner Herzog – 2012

32_-into-the-abyss-werner-herzog-2012L’arène du meurtre.

   8.0   Werner Herzog s’intéresse à un fait tragique bien particulier : un triple meurtre pour une Camaro rouge, survenu dans l’Etat du Texas, courant 2001. Une mère de famille est tuée avant que son fils et un ami de son fils subissent le même sort sans aucun autre mobile apparent que le vol de leur voiture de sport. Jason Burkett et Michael Perry sont reconnus coupables et condamnés à quarante ans de prison ferme pour le premier, à la peine de mort pour le second.

     Le cinéaste s’intéressant à la folie et aux orientations malveillantes de la nature humaine ce n’est pas nouveau. Plus récemment, son cinéma s’est quasi définitivement orienté vers le documentaire, citons Encounters at the end of the world ou La grotte des rêves perdus, autant de films marqués (déjà suggéré par leur titre) par l’expérience humaine extrême, le retranchement absolu. Une station en Antarctique. La grotte Chauvet. Inutile de revenir sur ses fictions qui nombreuses portaient déjà le sceau de cette démesure, un appétit du vertige, la volonté de sonder l’âme humaine dans son caractère excessif. Et maintenant : Into the abyss. Titre on ne peut plus Herzogien. Ce sont les abîmes du meurtre, de l’incarcération, de la perte et de la peine capitale dans lesquels le cinéaste va (nous) plonger. L’abîme suprême en somme.

     Il entreprend de rencontrer et de questionner plusieurs personnes, liées au fait divers en question, ou en rapport au système carcéral ou les proches des victimes ainsi que ceux de leurs bourreaux. Les témoignages seront brefs mais surtout relativement peu éparpillés. Le film s’ouvrira sur la parole d’un révérend. Il y aura aussi plus tard un ancien chargé d’exécution. Et un enquêteur. Les autres seront directement liés au triple crime : Jason Burkett et Michael Perry, évidemment, tous deux interrogés dans un box vitré, mais aussi le père Burkett ainsi que la petite amie de Jason, et le frère du garçon assassiné ou encore la fille et sœur des deux autres victimes. Personne d’autre. Et pourtant, cela suffit à proposer un éventail d’analyse passionnant, incomplet certes mais riche, sur la place des Hommes dans la société américaine aujourd’hui, l’hyper individualisme (Aguirre ou Nosferatu en étaient déjà les sujets) et la description d’un monde reclus.

     La construction du film mêle interviews face caméra, vidéos de scène de crimes d’archives de la police (C’est entre parenthèses incroyable qu’on ait le droit, dans un Etat aussi répressif que le Texas, d’utiliser ce genre d’images) et quelques plans détachés de la chambre d’exécution, de la résidence pavillonnaire où avait eu lieu le crime dix ans plus tôt, de la ville de Conroe, du champ de pierres tombales numérotées représentant les condamnés exécutés. Sa force réside aussi dans son montage, gage de distance importante quant au sujet qu’il traite. En effet, je pense que la difficulté de ce genre de documentaire c’est la question de la distance que l’on va mettre entre le cinéaste et ses cibles interrogées ainsi que celle qui existe entre le spectateur et l’écran de cinéma. Herzog a les bons mots, il ne manipule personne. Lorsque Perry se trouve en face de lui, il y va au culot, espérant qu’il gardera toute son attention, lui avouant que l’absurdité de la peine de mort n’excuse en rien le geste qui l’a poussé à commettre ce crime. Il n’a pas de sympathie pour lui mais il le considère en tant qu’humain. Herzog ne fait pas un film pour débusquer les coupables (l’intérêt n’est pas de fustiger le déni ni d’accentuer les culpabilités)  il s’intéresse aux ignobles faits mis en cause : le crime gratuit et la condamnation à mort. Il ne cherche pas à en rajouter sur les destins tragiques ou meurtris des personnes qu’il rencontre, son cinéma est fait de chairs et de fantômes, il ne naît pas par les larmes mais par les tripes.

     Les témoignages prennent parfois une dimension métaphysique surprenante, au détour d’un dispositif mise en scénique ou de la direction d’un dialogue. Un révérend s’effondre en larmes en parlant d’un écureuil qu’il avait failli écrasé sur un terrain de golf, ravi de l’avoir manqué, puis se taisant en réalisant qu’il accompagnera le soir même les derniers instants d’un condamné à mort. Un moment, les contours du visage d’Herzog épousent ceux de Michael Perry à travers le plexiglas comme s’il voulait entrer dans son esprit. Plus tard, une femme accablée par la double perte de sa mère et son frère, raconte qu’elle a presque perdu toute sa famille en l’espace de six années, entre accident de voiture et crise d’anévrisme, meurtres et suicides. La rencontre avec le père de l’un des meurtriers est très forte aussi puisqu’elle est réalisée en prison étant donné que le père est lui aussi condamné, mais à perpétuité et nous raconte que son deuxième fils est lui aussi en prison. Il dit qu’il s’est même retrouvé exceptionnellement pour fêter Thanksgiving en leur compagnie à tous les deux, entre quatre murs, il ne comprend pas comment il a pu tomber si bas, lui, père de famille et ses fils qu’ils tenaient dans ses bras bébés il y a longtemps, s’effondrant en racontant que Jason a subi jusque l’âge de cinq ans de multiples opérations pour ne pas mourir. Lorsqu’il évoque la date de sortie de prison éventuelle de son fils, il se trompe d’un siècle, il n’a plus de repères temporels, il s’en remet aux valeurs humaines et familiales et préfère prendre la culpabilité de son fils, exonérant ses actes en encaissant tous les torts. Il y a encore ce dialogue avec cet ancien capitaine, qui aura par le passé assisté à cent vingt-cinq exécutions alors qu’il était un fervent défenseur de la peine capitale, qui avoue avoir eu une illumination spirituelle quant à l’absurdité de cette procédure lorsqu’il assistait aux dernières heures de la vie d’une femme condamnée qui le remercia pour l’accompagner à ses côtés jusqu’au bout. Il faudrait impérativement aller voir le film ne serait-ce que pour ce témoignage là et pour l’évocation de l’écureuil.

Swans – Concert Le trabendo – 19/11/2012

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(Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas de cinéma dont je parlerai aujourd’hui. Mais ça me démangeait de partager cette expérience extrême…)

Chronique d’un uppercut.

Fin de la première partie. Le temps de sortir fumer une cigarette. Franck est toujours introuvable. Une légère appréhension quant à mes capacités d’encaissement auditif jaillit à nouveau, mon oreille gauche qui se trouvait non loin de l’enceinte pendant la performance de Richard Bishop me met en garde : le mec était seul et tout à l’heure ils seront six et ne joueront pas comme s’ils étaient dans leur salon. Comme s’il avait parcouru mes pensées, Fred se demande s’il ne faut pas mieux choisir une place un peu plus stratégique que celle que nous avions lors de la première partie. C’est décidé : ce sera dans la fosse mais judicieusement placé à distance équitable des deux plus grosses enceintes. Si on doit être sourd, autant l’être des deux oreilles. Nous nous frayons un chemin, sans difficulté, tout en jetant encore un œil aux alentours afin de détecter l’éventuelle présence de Franck, en vain. Une place parfaite, ne reste plus qu’à attendre. On parle musique, on parle ciné, au milieu d’un brouhaha général.

Les membres du groupe s’installent sur la scène, je discerne ce que je peux discerner, tentant de glisser mon regard entre une épaule et une tête. Thor Harris est déjà torse nu. Phil Puleo, pas encore. Michael Gira n’a pas de chapeau, il arbore une longue chevelure poivre et sel. Les premières notes se font entendre, elles se meuvent au travers de la salle comme autant d’effluves vampiriques. L’oreille n’est pas encore malmenée, c’est déjà fort certes, mais comme une vague qui pénètre l’ouïe avec amour, sorte de ressac qui s’abat contre le bord d’une falaise. Les instruments ne s’accumulent pas encore, la guitare est absente. Quel est donc ce morceau d’intro ? Ne connaissant que leurs deux derniers albums j’espère en mon for intérieur qu’ils joueront un maximum de morceaux qui ne me sont pas étrangers, une manière sans doute de me rassurer car malgré tout je ne suis pas vraiment confiant, je pourrais même dire que depuis que je me suis résolu à ne pas endosser de bouchons d’oreilles, je suis terrifié. Je ne le sais pas encore mais je ne vais pas avoir beaucoup plus le temps de cogiter. Je l’apprendrais le lendemain, le morceau en question se nomme To be kind, apparemment c’est une nouvelle chanson, non enregistrée. Michael Gira donne de la voix, le son des instruments s’intensifie derrière lui. Ce ne sont pas ces derniers qui perturbent provisoirement mon champ auditif mais bien cette voix, entêtante, hypnotique qui vient transpercer mes tympans et se frayer un tunnel dans mon cerveau. A mes côtés, un garçon plaque ses mains sur ses oreilles. En un sens je suis rassuré. La voix s’installe définitivement, je plane déjà. Sa présence garantie cette ivresse agréable, c’est quand elle disparaît que l’inquiétude refait surface, un peu comme lorsque l’on est dans le wagon d’une montagne russe : il y a l’adrénaline de la montée, cet état si singulier où convergent toutes les sensations puis il y a cet entre-deux, lorsque l’on ne peut grimper plus haut, qu’il ne reste qu’à descendre et c’est imminent. C’est ce que j’ai ressenti à l’extinction de cette voix, certes au niveau sonore extrêmement élevé mais qui me préservait finalement de la décharge qui allait suivre. Première déflagration : tous les instruments ensemble comme un cri, venu d’outre-tombe. Mes jambes se raidissent, le sol tremble. Il me faut lutter pour ne pas me laisser convaincre de reculer d’un mètre. Quelqu’un devant moi, sans doute un poil plus surpris, effectue ce pas de recul et marche sur mes chaussures et s’en excuse. Je vois de la peur sur son visage. Je dois avoir sensiblement le même. Quinze, vingt déflagrations suivront celle-ci, toutes précédées d’une nappe sonore decrescendo qui envahit la salle. Gira commande chaque détonation. Le rocker effectue un mouvement en avant comme un bûcheron hachant ses bûches. Puis il se relève, marche un peu, nage dans le remous qu’il provoque pour le reproduire ad eternam. L’avantage de ce premier morceau c’est qu’on est déjà à bloc, il n’y a pas eu de round d’observation. Ce n’est pas ce qu’on va entendre ce soir de plus fou ni de plus éprouvant mais c’est déjà ce qu’on aura de plus fort. En gros, après To be kind, les tympans sont immunisés.

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Ma découverte de Swans n’a qu’un mois. Une écoute de The seer, le dernier album, un lundi matin ne faisait qu’entamer de longues heures d’écoute, de longs voyages violents et sensoriels. Voilà donc seulement quelques semaines que je ne peux me passer de Swans, The seer tout particulièrement et à l’intérieur de The seer, ce fut avant tout de l’ouverture, Lunacy, dont il me fallait ma dose quotidienne, en sortant du boulot, essentiellement, où ces sept intenses minutes participaient à ce lâcher prise et me faisait entrer en transe. Puis ce fut Avatar, puis le morceau qui porte le nom de l’album. Aujourd’hui c’est The apostate. Ce morceau me dévaste à chaque fois, il est d’une richesse colossale. C’est un monstre. Mais un album tout propre que l’on écoute au casque et une prestation scénique n’ont absolument rien à voir, m’avait-on prévenu. Confirmation. Exit les balades country, la reposante voix de Karen O ou les ambiances hypnotiques de crépitement d’un feu de bois ou les ruptures nettes de ton. Les si importantes interludes échappées de l’album ont disparu, ne reste qu’un concert à l’énergie, au forceps. La tracklist révélée le lendemain du concert laisse entrevoir huit morceaux, j’ai l’impression d’en avoir entendu seulement cinq, peut-être que certains ont fusionné ? Il m’avait bien semblé reconnaître The seer et The apostate, mais de façon tellement étirée et transcendée – sans compter l’état dans lequel j’étais plongé – que je n’étais plus sûr de rien, j’en avais perdu mes repères. Le dernier morceau qui doit être une sorte de Mother of the world fondu dans The apostate m’a littéralement anesthésié. Quarante-cinq minutes ? Une heure ? Je ne sais pas sur combien de temps il s’est étiré. Les mecs ne se sont pas foutu de notre gueule. Evoquer le concert dans son intégralité, soit deux heures et demie, est mission impossible. Dans ces moments là on est loin, trop loin pour distinguer l’écoulement du temps et pour l’installer durablement dans notre mémoire, c’est un trip, un trip total, sur l’instant, un voyage dans une autre sphère, le paradis ou l’enfer, je ne suis plus sûr de rien, un état proche de l’absolu.

J’ai pourtant eu une période de doute (traduit par un mal de hanche phénoménal) et je crois que mon point de rattrapage fut de regarder Thor Harris. Jusqu’ici, sans doute qu’une tête m’empêchait de l’observer aisément. A cet instant je me souviens qu’il était le centre vers lequel gravitait mon champ de vision. J’avais mal et le morceau me terrifiait, par sa durée, ses baisses de rythme qui n’en finissaient pas de rebondir. J’ai bloqué sur Harris. J’étais fasciné par ses grimaces, sa manière de bouger et de manipuler ses planches et ses cylindres. La transe totale s’est emparée de moi à nouveau.

Et un mot sur le final, enfin disons l’après concert, lorsque chacun s’est levé pour saluer la salle. Six silhouettes rincées, dont deux le torse nu, ou tatoués, ou poilus, cheveux en bataille, barbe luisante, tels de vieux taulards dégoulinant de sueur qui lèvent les bras et secouent les mains au-dessus de leur tête juste avant de saluer. C’était très émouvant et chaque fois suivi d’une denrée d’applaudissements supplémentaires. Ils ont répété le mouvement à plusieurs reprises, cela devenait presque inquiétant, je me demandais s’ils allaient saluer comme ils jouaient, jusqu’à saturation ? Et puis Michael Gira a remercié le public en anglais d’abord, puis en français ensuite avant de nous convier au stand de Cd et T-shirt où il serait dix minutes plus tard. Six mecs de tout âge, plutôt costauds mais qui donnent une apparence de nounours, là, alignés devant nos yeux ébahis, esprits lessivés. C’était beau. Et extraordinaire de voir le regard de Gira, adouci, avec le sourire, alors qu’il donnait auparavant l’impression, cent cinquante minutes durant, qu’il voulait liquider toute la salle, engueulant parfois les membres du groupe à la sortie d’un son qu’il ne souhaitait pas, menaçant une personne dans le public qui abusait de l’appareil photo ou se crachant dessus à répétition dans la transe éternelle du morceau final. Et pourtant, paraît-il qu’il a par le passé été bien pire. Quelqu’un dans la salle a crié, à la fin du deuxième morceau : « You’re fucking sexy Michael ! » Il a ri, ça a dû le détendre. Pas moi. Ce rire discret, quasi diabolique, sur ce visage marqué par cette prestation de guerrier m’a fait plus flipper qu’autre chose.

C’était puissant. Je croyais m’être suffisamment préparé psychologiquement, je pensais qu’en imaginant le pire, en me projetant souffrant le martyr l’expérience passerait plus facilement justement parce que je n’avais pas négligé sa force. Mais non, c’était encore au-dessus de ça. C’était un voyage cosmique. Ou plutôt dirais-je, un voyage limbesque. A la fois purgatoire sonore, tourbillon orgasmique, danse terrifiante et ascensions apocalyptiques. Et j’ai survécu.

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