Jeu de dupes.
9.0 Pialat effectue une plongée dans une brigade des stups avant de se laisser gagner par son personnage central, inspecteur bourru et meurtri, avec une carapace en inox, qui tombe amoureux de la jeune Noria qu’il avait préalablement charcuté durant un interrogatoire musclé. C’est un film qui sait se défocaliser. Les quarante premières minutes ne sont qu’interrogatoires et déplacements épileptiques. Les bureaux sont tous reliés les uns aux autres, il n’y a pas de mur, que des vitres, des cloisons fines, pourtant cette atmosphère est irrespirable. A l’image de ce premier entretien en champ contre champ, plein de tension et d’hystérie à deux doigts d’éclater, ou de ces nombreux gros plans où il n’est pas rare de voir couler des larmes sur des visages, d’entendre brailler ou de voir des baffes. Les corps se meuvent dans le cadre et hors du cadre tant ils sont impénétrables.
On pourrait d’abord se demander pourquoi Pialat a choisi de tourner ce film là, dans un genre en vogue au début des années 80, un genre séducteur parce qu’il évoque le réel dans le mélodrame. Un film comme La balance, deux années plus tôt, l’avait par exemple très bien compris. Mais Pialat détourne cela, il détourne tout. Et en voyant Police je me suis même demandé si ce n’était pas le plus emblématique des films de Pialat, avec ce climat électrique et cette seconde partie, évasive et déconstruite. Quand Maïwenn réalise Polisse, elle se contente du catalogue, ne glisse pas ou maladroitement et de façon calculée (la fin épouvantable) sans compter l’aspect vignette avec ses répliques écrites alors que beaucoup mettaient en avant l’improvisation. On peut dire cela de Police, oui, tant certains dialogues se perdent dans le néant, gagnés par le rire ou le désarroi. Plus le film avance plus il est écrit, la poésie du drame, le romanesque fictionnelle ont vaincu la banalité du réel. La brute est devenue cœur meurtri. Maïwenn a aussi repris le rôle un peu ingrat de la photographe comme pièce rapportée, une commissaire stagiaire ici, sorte de fantôme sans personnalité qui observe ce balai de violence et de cris, aussi embarrassée qu’absente en tant que personnage.
Cette fameuse frontière flic/voyou n’aura jamais été aussi impénétrable, confondue, faisant de chaque personnage des entités indiscernables. Il y a une inquiétude quant au destin de chacun d’entre eux, aucun ne semble à l’abri de rien, tous survivent miraculeusement dans un quotidien un peu trop imprévisible pour eux. L’idée d’une absence de contre-point, ou partiellement évoquée, dans le camp des truands, permet au spectateur d’apprivoiser le point de vue de l’inspecteur et l’on ne sait plus vraiment s’il est en danger ou non, lorsque par exemple il se retrouve dans un deal l’autre côté pour sauver celle qu’il aime. Flics et truands se ressemblent, dira t-il, un moment donné. Le temps d’un échange il est lui aussi devenu celui qu’il traque, par intérêt personnel mais tout de même. Il y a une belle scène aussi où il croise la route d’un type dont il brisait le nez dans un interrogatoire au début, ils se parlent sans ironie, comme si la première entrevue avait été amicale ou comme si l’environnement conditionnait le rapport. C’est très troublant. C’est un film que j’aime énormément pour sa complexité, sa multiplicité, il me fascine chaque fois davantage et j’en ressors épave, épuisé tant c’est un cinéma extrêmement physique.