Vengeance intime.
7.0 Tout le cinéma de Tarantino est affaire de paradoxe. Et tout ce que l’on éprouve devant son cinéma l’est aussi. Dimension à la fois parodique et premier degré, bien plus encore depuis Inglourious basterds. Le souillon et l’hommage. La jubilation défoulatoire et l’envergure narrative. Et c’est justement depuis qu’il s’attaque à l’Histoire que l’esprit spaghetti s’est décuplé, tantôt matérialisé par l’incendie d’un cinéma dans lequel se retrouvaient coincés tous les pontes nazis, tantôt par le nettoyage explosif d’une famille d’esclavagistes. La vengeance a sans cesse marquée le cinéma de Tarantino mais toujours par delà le petit polar, les règlements de compte de petites frappes ou dans l’intimité d’un couple. Vengeance de la femme, aussi : épouse meurtrie ou groupes de nénettes. Mais jamais au travers de la grande Histoire, aussi uchronique fusse t-elle adaptée.
Il y a deux forces qui traversent ce cinéma, l’une est formelle quand l’autre tient du scénario. Sans cette absolue confiance dans les possibilités que cet art lui offre, les films de Tarantino ne seraient pas grand chose, réduits à de simples pastiches des films dont il se réfère, on en aurait vite fait le tour. Il est en effet rare de voir dans ces films de genre de si longues séquences de dialogues et ces séquences chez Tarantino traduisent moins une volonté de jubilation creuse qu’une hypocrisie latente qui rode autour des personnages. Chacun porte son masque et les dupés sont suffisamment intelligents pour retourner la supercherie à leur avantage. Un acteur comme Christopher Waltz est né pour le cinéma de Tarantino, tant il en épouse par sa force tranquille tous les soubresauts d’un montage d’apparence aléatoire mais en fin de compte hyper canalisé. La scène du repas, à rallonge, à la fois douce et tendue, dense et futile, rappelle inévitablement celle du bar en sous-sol dans le film précédent. Le personnage avance chaque fois masqué mais c’est un masque de fortune car en face il y a toujours un œil qui détecte et grippe la machine du mensonge. Ce sont deux idées récurrentes que j’adore : la modification de l’identité et l’étirement de la scène.
Donc, le grand choix, c’est Christopher Waltz, définitivement. Foxx et DiCaprio sont très bons mais éclipsés. Waltz était détestable dans Inglourious basterds, il était génial. Là c’est le samaritain et il le joue aussi à merveille. Et Tarantino traite de cette amitié improbable avec grand sérieux, ne remettant jamais en cause la bonté irrémédiable du dentiste. Il est d’abord un peu question d’un prêté pour un rendu, plutôt pour un soutien, avant que Schultz, touché par l’histoire d’amour de Django, ne l’accompagne, désintéressé personnellement, dans sa volonté vengeresse. Tout part de cette histoire contée un soir au coin du feu où Brumhilda, la belle convoitée par Django, évoque à Schultz l’histoire de Brunehilde et Sigurd. Dès lors, on ressent en lui comme un dévouement inébranlable. C’est très beau.
L’esclavage est traité de manière frontale et relevée et la partie DiCaprio contient quelques séquences quasi insoutenables, mais systématiquement filmées avec la distance nécessaire : hors champ lorsqu’un esclave est jeté aux chiens, en variant les angles lors du très sanguinolent et terrifiant combat d’esclaves. La force principale du film est de savoir passer de ce climat malaisant à une vengeance jubilatoire. Le film choisit le point de vue de Django du début à la fin. Et le cinéaste se permet tout, peut-être encore plus de choses que dans ses films précédents, n’hésitant plus à dériver vers un grotesque niais, parce qu’il croit entièrement en ce qu’il raconte. La séquence Ku Klux Klan en est une tant elle dénote du reste, semble s’être immiscée clandestinement au montage, avec cet humour à rallonge, qui aurait suffit d’un unique gag autosuffisant ailleurs. Et puis la fin, bien sûr, avec cette danse chevaleresque de la victoire.