Fenêtre sur cour.
7.5 Dans la première scène du film, une petite famille pose en photo. Il est demandé au mari, ou à celui qui le joue, de sourire davantage. C’est déjà un mauvais présage. Ces personnages, nous ne les verrons plus ensuite, en tout cas pas en mouvement, puisqu’ils orneront un immense panneau publicitaire vantant la béatitude d’un nouveau quartier résidentiel. Le plan se gèle sur leur sourire pour effectuer un mouvement de grue quittant la pancarte pour se glisser dans le village. Véritable polder comme en émergeront de nombreux autres dans les Pays-Bas des années 60, alors à la conquête de ses côtes marécageuses.
C’est un monde ne ressemblant à aucun autre qui s’ouvre sous nos yeux, décor en carton-pâte, avec ces petits appartements rectangulaires qui se ressemblent tous, cette unique rue de sable qui sillonne cette petite ville loin des villes, qui a poussé là dans le désert. Devantures et vitres ont elles aussi un cachet inquiétant, ouvertes les unes sur les autres, laissant peu de place à l’intimité. Personnages lego ? Pas vraiment. Et c’est là que le cinéma de Warmerdam est puissant. Il y a ceux qui épient et ceux qui sont épiés. Il y a un décalage entre ce petit monde extravagant et cette ambiance architecturale rectiligne. Le puritanisme imaginé n’est pas celui que l’on retrouve dans ces maisons. Exemple de ce boucher, qui doit affronter son hypersexualité tandis que sa femme s’est juré abstinence ; il se résout parfois à cueillir une cliente et l’embarquer dans les cuisines débarrassées de ces baies vitrées donc de la curiosité de l’entourage. Ou encore cette femme obsédée par l’envie que son garde-chasse de mari, particulièrement zélé, lui fasse un enfant, l’observant à répétition, désarmée, fuir le sexe à la moindre gêne – une fumée noire dans le bois ou quelques mots doux le déstabilisant que sa femme peut lui prononcer durant l’acte. Et puis il y a ce petit garçon, qui n’a d’admiration que pour Lumumba, combattant en guerre au Congo, allant jusqu’à se barbouiller de noir pour lui ressembler ; il fera bientôt une belle découverte dans la forêt, fille angélique créature des bois qui l’attirera dans les méandres du fantasme. Avant que tout ne dérape violemment…
Le premier film de Warmerdam, Abel, m’avait un peu laissé à quai, cela même si j’entrevoyais une personnalité forte. Les habitants est un très beau film, poétique, fascinant, avec une gestion monumentale de l’espace et de l’absurde. Je pense que le cinéma du Hollandais a besoin de place, qu’un appartement ne lui suffit pas. J’aime beaucoup cette manière de filmer ce village paumé comme un ranch du Far West, abandonné de tout, on dirait presque même parfois un ancien lieu d’essais nucléaires. Et puis cette forêt, pas loin, à la construction hyper géométrique (Je pense que Wes Anderson doit beaucoup à Alex Van Warmerdam) bien plus intéressante et sujette à rêverie que celle créée par Burton dans son insipide Alice que je venais de découvrir.