20 ans d’écart – David Moreau – 2013

39_-20-ans-decart-david-moreau-2013Jeu de piste.   

   6.5   La comédie romantique ne compte pas nombre de réussites notables dans le paysage cinématographique hexagonal, le plus souvent réduite à des étrons en roue libre dans le meilleur des cas, au pire vulgaires ou cul cul la praline. L’arnacoeur et Hors de prix étaient plutôt réussies, attachantes, bien que pas toujours très inspirées, mais suffisamment punchy et dotées de quelques situations hilarantes pour dépareiller de la production. Il manquait néanmoins ce qui fait le sel du genre, à savoir la présence de comédiens gracieux, c’est à dire finement charismatiques pour que l’on croit en leurs personnages et suffisamment discrets et polyvalents pour qu’ils parviennent à créer un décalage. Paradis et Duris ne me font pas fondre. Tautou et Elmaleh encore moins. C’est un problème majeur. Je préfère le duo d’Un heureux événement, Bourgoin et Marmaï, car on tient là une cocasserie dans le langage et une progression atypique de leurs personnages, sauf que ce film là n’était pas de la pure rom’com, jouant sur un mode dépressif qui était parfois entravé de lourdeurs faussement cérébrales. 20 ans d’écart se rapproche dans l’efficacité comique d’un autre film de Rémi Bezançon : Ma vie en l’air, dans la dynamique essentiellement car celui-ci est une comédie déglinguée, pas vraiment romantique, davantage centrée sur l’amitié. Le film de David Moreau est la comédie romantique parfaite, qui n’a rien à envier aux meilleurs du genre outre-atlantique, de celles que l’on voudrait voir tous les dimanches soirs à la télévision. Et justement parce que la mise en scène de Moreau, sobre et enlevée, n’a absolument rien de télévisuelle, toujours à l’affût d’un gag inattendu, d’une absurdité de situation, d’un mouvement atypique. Et surtout ce n’est pas une comédie qui écoute ses blagues, faisant table rase de chaque scène réussie à tous les coups. J’aime le film parce qu’il sait que je sais où il m’emmène pourtant il me surprend par ses trajectoires et ses parti pris. Et j’en viens : on a là deux magnifiques comédiens ! Je ne croyais pas dire ça un jour de Virginie Efira et elle est excellente. Beau personnage de Milf indomptable, au comportement vieux-jeu qui masque une ivresse de vivre provisoirement disparue. Elle a un jeu très Louise Bourgoin d’ailleurs, l’ironie forcée en moins, nettement plus nuancé, c’est vraiment un très beau personnage paradoxal. Aussi bien en journaliste ambitieuse et redoutable qu’en mère paumée par cette nouvelle attention qui la titille. Elle joue très bien le bouleversement. Et elle est tordante avec un pétard de trop, sublime scène de dîner. Mais celui qui porte le film de bout en bout sur ses frêles épaules c’est Pierre Niney, révélation. Délicieux, maladroit, élégant. Bon dans l’emphase, excellent dans la subtilité. Il est aussi bien capable de camper Candide que Dom Juan. J’aime ses hésitations, ses faux airs supérieurs vite balayés et cette naïveté dans le regard. Lorsqu’il se débarrasse d’un livre au titre quelque peu gênant, qu’il quitte un tournage de pub en s’extirpant d’une bulle envahissante ou qu’il explique pourquoi il se trimballe avec une vespa rose Hello Kitty. Et puis cette scène merveilleuse où il tente de se retenir de jouir en récitant les tables de multiplication avant d’imaginer Angela Merkel, Arlette Chabot ou Jean-Luc Melenchon. Mon plus gros fou rire au cinéma depuis très longtemps. Il y a ces deux là mais pas seulement. Le film est servi par une flopée de seconds personnages tous plus géniaux les uns que les autres, des récurrents aux minuscules, tous existent sans faire apparition gadget. Qu’il s’agisse par exemple de Blanche Gardin (sa séquence dure trois minutes mais ça m’a marqué, autant que l’apparition de Alice Belaïdi dans Radiostars) en réalisatrice de pub absolument immonde de beaufitude surexcitée. Et je citerais bien aussi Charles Berling qu’on avait, c’est simple, jamais vu comme ça, aussi fou et aussi à l’aise, dans le rôle du papa, savoureux mélange de gamin mégalo et de quinqua looser. On reste donc dans un schéma traditionnel mais un traditionnel bien fait, souvent drôle. Par exemple il y a cette fin, avec ce retour éternel après la tempête et le baiser langoureux qui s’ensuit. On ne peut faire plus traditionnel. Sauf que David Moreau désamorce le côté solennel et banal lui préférant le comique de situation. Le film sera d’ailleurs à cette image régulièrement, une rupture délicate du conformisme du genre. A la fin, donc, elle se retrouve dans un amphi de faculté où il se trouve pour l’un de ses cours, elle veut le récupérer après l’avoir quelque peu jeter comme une vieille chaussette. Elle se trouve embringuée dans une fâcheuse situation où on l’a prend pour une intervenante prête à animer un débat sur l’économie immobilière. La circonstance n’est pas révolutionnaire mais elle est déjà savoureuse, et le sera encore davantage puisque à la place de lui déclarer directement son amour, de reconnaître sa culpabilité, bref tout le tabloïde attendu, avec musique romantique en accompagnement, elle opte pour le débat, un peu maladroitement, puis métaphoriquement en amalgamant les fondations immobilières à sa relation amoureuse. Une fois de plus, Pierre Niney est formidable, il est impassible mais pas impassible comme quelqu’un qui resterait sur sa défensive, impassible comme quelqu’un sous le choc, subissant une sorte de second coup de foudre. Puis il se prend au jeu : « Est-il possible de reconstruire sur une région sinistrée ? ». A ses côtés, un autre élève la submerge de questions, de façon presque sentencieuse. Il faudra toute l’élégance et la folie du personnage de Pierre Niney pour tenter de le faire taire, poliment d’abord, puis via un ‘Attends, ta gueule’ monumental. La belle idée est donc d’avoir désamorcé le discours final habituel sans pour autant évacuer le final habituel, du coup on se souvient d’une fin comique et non conventionnelle. David Moreau aura donc détourné le genre, de manière tout à fait gracieuse, en lui restituant le plaisir unique du vaudeville jubilatoire. Petit plus : le morceau musical de l’évasion amoureuse, repris deux ou trois fois, est Into the galaxy de Midnight Juggernauts et ça fait du bien.

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