Chronique d’une désynchronisation.
10.0 Elle s’appelle Catherine. Il s’appelle Jean. Six ans de passion, d’engueulades, de séparations, de réconciliations. Le film s’immisce dans la vie de ce couple comme une faucheuse ou un œil indiscret, à ce moment ci parce que le titre le porte déjà en lui, cette passion en dilettante est sur le point de disparaître. S’immiscer, c’est bien le terme adéquat, tant la situation conjugale ne sera jamais situable dans un but accrocheur et les contours de cette relation apparaîtront par petites touches, bouleversantes. La première séquence raconte déjà beaucoup, mais elle ne souligne rien, n’explique rien en faveur du déroulement du récit. Tous deux sont dans un lit, au réveil, après l’amour, on ne situe pas bien. Ses yeux à elle parcourent la pièce, les siens à lui sont plongés dans l’oreiller. Le premier désaccord que le film nous offre concerne l’atmosphère d’une maison, celle de son père à lui, elle ne s’y sent pas à son aise, lui répond qu’elle n’a pas toujours dit cela. La temporalité ne cessera d’être marquée de cette manière, dans la façon qu’a le dialogue de glisser, il n’y a aura jamais de date, jamais d’accompagnement temporel aux ellipses évidentes. Les séquences se répondront les unes aux autres sans aucun repère autre que les propres soubresauts, tons et humeurs des personnages. A maintes reprises, la relation se brise, aussi violente que définitive, en apparences seulement. On les retrouve au plan suivant pour une nouvelle retrouvaille, affectueuse, délicate ou parfois pour une nouvelle altercation, sans que la retrouvaille n’ait le temps d’éclore. Un moment donné, elle l’invite à la rejoindre chez sa grand mère, c’est reparti comme avant, dit-elle. Jean est une boule de colère, capable de lui débiter les pires méchancetés (il y a par exemple un fameux monologue dans une voiture, absolument terrifiant) quand il ne lève pas la main sur elle, mais il revient toujours, doux comme un agneau. Dans cette énième retrouvaille programmée, il attend son retour et passe la soirée avec la vieille, Catherine n’arrivera pas. Si, à cinq heures du matin. Il ne le supporte pas, la gifle violemment et fourre sa main dans sa culotte pour voir si elle a passé la nuit avec un autre. Nous ne vieillirons pas ensemble me fait penser au Mépris, via son personnage féminin. Toutes deux sont des filles solaires, rêveuses, à côté de la plaque ou indifférentes et toutes deux accèderont à ce stade irréversible du regard méprisant sur l’autre, assumant enfin leur superficialité. Le paradoxe dans le film de Pialat vient justement du fait que cette prise de conscience qu’elle n’aime plus – et pour le coup, même s’il y aura d’autres fluctuations, on sent qu’il y a dans son regard quelque chose de véritablement cassé – naît dès l’instant qu’il se dégoûte lui-même, la demandant en mariage, pour se racheter, pour s’excuser et parce qu’au fond il ne peut pas vivre sans elle. Pialat fait le portrait d’un personnage exécrable mais affectueux, amoureux transi, amoureux maladroit. Le plus beau là-dedans c’est que ce personnage là c’est lui-même, Maurice Pialat, campé par Jean Yanne. Loin d’être tendre avec sa propre personnalité, il tente de sonder la sensibilité qu’il y a en lui, les fondements d’un tel comportement, ses contradictions, ses doutes, comme il brossait le portrait délicat et complexe de cet enfant dans L’enfance nue. Nous ne vieillirons pas ensemble, titre élégiaque, est donc une succession de séquences de ruptures et de réconciliations, une variation sur une même scène, à l’infini. L’image fragmente systématiquement l’espace où évoluent les personnages, soit directement, par l’intermédiaire d’une voiture régulièrement, symbole de fuite, de réunion comme de solitude ; ou alors au moyen d’éléments brouillant le cadre et son atmosphère, interférant dans le dialogue ou les silences, comme c’est le cas ici avec ce sèche cheveux, là avec le vent. Au-delà de ce dispositif volontiers électrique il y a parfois des échappées inattendues où Pialat filme un monde comme il filmait la Camargue dans l’un de ses courts métrages des années soixante, dans sa trivialité et son lyrisme. Là c’est Jean qui rend visite à son père, il le force à trinquer avec lui avant de lui demander la bague de sa maman, afin de l’offrir à Catherine en guise de bague de fiançailles. Plus tard c’est la visite qu’il rend aux parents de Catherine : on sent cette maman ravie que cette histoire brinquebalante se soit enfin terminée, que sa fille ait enfin trouvé un bon parti et dans le même temps elle garde énormément de compassion pour Jean et à ses côtés son mari ne dit rien, et ne dira quasiment rien à chacune de ses apparitions, en retrait il se contente de sortir une bouteille, de servir Jean, de trinquer avec lui, sorte de toast perpétuel, sans époque, sans nom. Et puis il y a ce troisième personnage, Françoise, la femme de Jean. Le film prendra le temps avant de mettre en lumière cette relation pour le moins étrange de couple marié mais séparé, qui continue de se voir, de se soutenir, de se répondre en affection, donnée qui n’a sans doute pas non plus poussé Catherine à rester. Mais voilà, ailleurs, ce personnage aurait été la bouée de secours et la tentation, ici elle le soutient dans son malheur et tente, bien davantage que lui, de panser les plaies, de réactiver cette flamme entre Catherine et Jean qui n’aura cessé d’affronter la tempête. Je me souviens avoir vu le film pour la première fois il y a quelques années, je me souviens d’une expérience douloureuse parce que j’avais trouvé ça extrêmement violent et dans le même temps le film m’avait laissé une impression inédite. Je ne fais jamais ça, pourtant je l’avais revu dans la foulée, quelques jours plus tard et j’en étais tombé littéralement amoureux. Le revoir aujourd’hui n’a fait que confirmer mon enchantement, ce fut un immense moment d’émotion. C’est un film qui me terrasse à maintes reprises, la fin évidemment, dans l’océan, quand la couleur devient noir et blanc mais aussi ailleurs dans des situations plus triviales. Je pense que c’est le chef d’œuvre de Maurice Pialat. Et à mes yeux, c’est l’un des vingt plus beaux films du monde, pas moins.
j’ai hésité longtemps avant de voir ce film , aimant Pialat mais me méfiant de son caractère exécrable autant que celui de Jean Yann. le film est d’un vide mortel , d’un ennui total , des » héros » nuls , des fantoches , une poupée de chiffon unie à un gros chien parfois méchant. Les décors d’une tristesse et d’une médiocrité à couper le souffle ne font qu’accentuer le vide de leur esprit .
je suis très déçue , je regrette vraiment d’avoir vu ce film , ma vision sur Pialat a changé et pourtant je venais de voir 3 jours avant « la maison des bois » qui m’avait enchantée . Vous voyez , je suis exactement le contraire votre opinion , une opinion de cinéphile
d’ailleurs très subjective , en rapport avec le vécu , la sensibilité , les émotions de celui qui regarde
Aie, tant pis.
Et tant mieux, que les sensibilités divergent tant, en un sens.
Pour moi, ce film c’est TOUT Pialat, mais c’est probablement l’autre face de la pièce, on ne retrouve pas grand chose de La maison des bois, en effet. Et c’est justement parce que ces « héros » ne sont pas facilement identifiables ni aimables qu’ils me touchent, même énormément. Quand je vois ce film, je me dis que Marlène Jobert & Jean Yanne sont les plus grands acteurs du monde.