8.5 Et si la plus belle adaptation du premier livre de Bret Easton Ellis, Moins que zéro, c’était The bling ring, de Sofia Coppola ? Dans le fond, on a déjà franchi l’errance de cette jeunesse en perdition qui régnait dans ce beau livre, on a même dépassé le suivant, Les lois de l’attraction, tant toute aspiration sentimentalo sexuelle étant ici entièrement évincée au profit du culte absolu du paraître, de la jouissance par le regard, par le glamour, un Glamorama en germe, culte des magazines people, des marques et des stars. Ils appellent Paris Hilton « Paris ». Monde où quand on pénètre dans un pub, on se doit de commander du champagne, en bouteille, porter des fringues hors de prix, adopter des postures, se prendre en photo avant de Facebookiser ou d’Instagramer tout ça. Dans une séquence complètement Ellisienne, le garçon de la bande, le seul entre toutes ces filles, paumé au départ, suiveur par la suite, s’esclaffe en voyant tout près de lui Kirsten Dunst, puis Paris Hilton dans le fond de la salle avant de probablement finir la soirée avec des producteurs de la série Entourage. Et si le jeu c’était cela ? Intégrer ce monde du paraître, s’immiscer entre les stars, vivre comme elles vivent (rouler en Porsche), porter ce qu’elles portent (chaussures à talons Christian Louboutin). Au départ, c’est un banal fait divers relaté dans un article de Vanity Fair qui aiguille Sofia Coppola, cette folle histoire de cambriolages de villas de stars effectués par des étudiants dont le pactole estimé s’éleva, avant leur arrestation, à trois millions de dollars. Passés maîtres de la cambriole non pas forcément chez les stars les plus friquées, mais chez les plus fashion, de Megan Fox à Orlando Bloom, en passant par Lindsay Lohan, que l’une des jeunes voleuses adoube à souhait, le petit groupe se crée une petite vie de starlettes, ventant ouvertement leurs équipées nocturnes en balançant des clichés éloquents sur la toile. Voler ceux qui nous font rêver, enfiler leurs costumes pour devenir un petit peu d’eux, une simple parcelle, rien qu’un sac de luxe Chanel parfois peut suffire, ou une Rolex. L’insouciance des conséquences jusqu’à l’utilisation de la petite sœur de l’une d’entre elles afin qu’elle leur ouvre, en passant par la chatière, la porte de la villa de Miranda Kerr.
The bling ring est proche de Virgin suicides sur de nombreux points, tout d’abord car il me semble être l’amorce d’un relook pour Coppola, non pas qu’elle renie son cinéma, les thématiques restant similaires, mais elle était arrivée à une telle abstraction dans le précédent, réflexion par le vide sans aucun pic formel, qu’il lui fallait à tout prix une rupture conséquente, un film en mouvement, informe ou changeant continuellement de forme, comme si elle se cherchait à nouveau. On dirait presque un second premier film. En un sens je me prends à rêver que le film n’existe que sur un registre nettement plus expérimental, où chaque vol aurait été filmé différemment, sur le même temps imparti, des vols de Coppola qui remplaceraient les ciels ou les lacs de Benning, les crimes froids du Elephant de Alan Clarke, un voyage à travers l’Amérique non plus de piscines en piscines (The swimmer, de Frank Perry) mais de villas de célébrités en villa de célébrités. Coppola opte pour l’esprit Larry Clark, avec cette construction tendance Bully version soft, linéaire mais avec quelques interludes sous forme de flashs forward, où les personnages semblent faire face à la police ou à leur avocat, face caméra, entre deux séquences de braquage. Et il y a la présence parentale, inquiétante, comme c’était aussi le cas dans Virgin suicides. Sofia Coppola tente beaucoup de choses, moins que Korine évidemment (elle réussit moins, aussi) qui avec Spring breakers a crée quelque chose de totalement dégénéré, inépuisable, dû aussi au fait qu’elle se situe toujours dans une épure narrative, réduite ici à de simples répétitions de braquages, pour ainsi dire, qu’elle filme pourtant tous différemment. Filmer des voleuses en action. Pour rester sur la comparaison avec Spring breakers, je ne suis pas certain, contrairement à ce qu’on peut lire au sujet de The Bling ring, que Korine ait plus de choses à dire que Coppola. Il a davantage d’idées de cinéma dans sa besace, sans doute, mais dans le fond ces deux films racontent la même chose et sont tout aussi incomplet l’un que l’autre dans le constat qu’ils dressent de l’adolescence moderne, ce sont des films dans le fantasme et le souvenir, l’inconscience et le « présent néant ». En fait je trouve ça futile mais faussement futile, il n’y a pas de portrait exhaustif mais ça raconte tout de même beaucoup de choses, dans l’approche rêvée de capter une image, arrêter le temps, n’être qu’une projection fantasmée de soi.
La première séquence du film avec cette intrusion prémonitoire – puisque le film nous montre ensuite seulement la rencontre entre les personnages – est une entrée en matière magnifique, trépidante, ce qui est rare chez Coppola, tentant de caler d’emblée le rythme sur lequel le film dansera. C’est comme souvent, très musical, mais dans un souci nettement plus épileptique. Je pense à ces séquences au découpage syncopé, l’exemple de celle en voiture (il y a beaucoup de scènes en voiture) où Chloé (mon personnage préféré) et le garçon chantent par-dessus Kanye West et Rihanna sur All of the lights. La cinéaste adopte par ces plans de cut systématiques, cette espèce de logique consumériste qu’elle filme, un peu comme Gondry lorsqu’il filmait ad nauseam la vidéo gag sur les portables dans The We and the I. Le film pourrait alors être en roue libre, avec ces chevauchées sous tubes hip hop, mais il y a des cassures inattendues, je pense en particulier à ce long plan fixe, quoique en léger zoom vers l’avant, où l’on assiste à l’un de ces vols, pour une fois vue de l’extérieur, avec les bruits d’un hélicoptère en fond (comme si nous étions dedans), plan sublime laissant entrevoir, derrière la villa marbrée vitrée subissant le balai de nos jeunes voleurs, un Los Angeles nocturne illuminé hallucinant. Une ville qui la nuit vit en bas, laissant pour mortes et systématiquement ouvertes, clés sous le paillasson, ces grandes baraques sans vie, remplit d’or. Le graal ce n’est donc pas le spring break ici, mais un autre abandon de soi, celui de ne vivre que pour mettre la main sur ces objets sacrés, sans craindre emprisonnement ni procès, Coppola dénaturant la peur de l’arrestation tout simplement car elle engendre le plaisir ultime : la reconnaissance médiatique. Elle ne filme pas non plus le procès puisque ça n’intéresse pas les personnages, leur vrai procès se joue dehors, en enfilant les Ray Ban et en campant la star dans l’incompréhension, avant de préférer donner rendez-vous aux fans sur leur blog, l’un relativisant en comparant ses actes à ceux des adulés Bonnie and Clyde, l’autre philosophant sur le pouvoir de son inconscience qui lui a révélé une énergie qu’elle exploitera en gérant bientôt une association caritative. Philosophie de star. Le film est en accord perpétuel avec ce qu’il filme et joue sur l’ironie comme Ellis le fait dans ses livres, avec une infinie tendresse et une jouissance absolue du superficiel.
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