7.5 A la base il s’agit d’une commande du parti communiste, on est donc dans le bon gros film de propagande – pas moins propagandiste qu’un Eisenstein cela dit – destiné aux élections de 1936. Mais Renoir est infiniment intelligent et parvient à en faire un vrai film de cinéma construit en séquences mêlant documentaire et fiction, pas loin du film à sketchs mais avec des idées de glissement proprement remarquables. Il démarre comme un docu syndicaliste avant de dériver vers le film d’entreprise puis vers la romance sans le sou avec une errance urbaine à la De Sica. Je trouve le film très surprenant dans sa construction en fin de compte car je ne sais jamais où il va m’emmener, ce qui est réel, ce qui est fiction, jusqu’aux discours politiques finaux. C’est simple, on pourrait faire ce film encore aujourd’hui tant il est d’une modernité étonnante. Et puis ça reste une matrice évidente d’un cinéma gauchiste qui aura traversé le XXe siècle, de Godard (One + One) à Pialat (L’enfance nue), jusqu’à aujourd’hui avec des cinéastes comme Cantet (Ressources humaines, auquel on pense énormément), et Moutout (Tout doit disparaître). Sans oublier évidemment Becker et Truffaut dans ce que le film trace de plus romancé. La fin avec cette Internationale filmée regards caméra ou en contre plongée est un haut fait du cinéma Renoirien d’avant-guerre. Sans parler du petit échauffement bourgeois de tirs au pistolet qui évoque immanquablement La règle du jeu qui arrivera trois ans plus tard… Le seul reproche que je ferais n’engage pas le film mais cette copie indigne, dégueulasse, à peine présentable, la seule que l’on peut voir aujourd’hui. Mais je m’y suis habitué peu à peu car ça caractérise bien ce film jamais sorti en salle pour cause de censure et éternellement présenté en séance privée et gratuite. Parce que pondre ce brulot en 36, en matraquant le fascisme assassin, fallait vraiment en avoir.
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