Zero dark thirty – Kathryn Bigelow – 2013

Zero dark thirty - Kathryn Bigelow - 2013 dans * 2013 : Top 10 zero-dark-thirty-2-300x183Essential killing.

   8.5   L’ouverture du film est déjà remarquable. Plutôt que de nous abreuver d’images que l’on connaît par cœur à force de les croiser depuis plus de dix ans, Kathryn Bigelow choisit l’écran noir. Les cris des victimes de l’attentat des Twin Towers résonnent dans l’obscurité et aucun repère introductif, ni chronologique, ni géographique, ne nous sera offert. Pas de didactisme à l’œuvre mais une parabole sur l’aveuglement, d’emblée, thème que le film ne cessera de poursuivre dans la traque de Maya qui ne verra d’autre ligne de mire que la chasse à mort du chef d’Al Qaida. Personnage mécanique et silencieux, justicier moderne, à peine rattrapé par la mort des siens (l’attentat suicide dans le désert ne la dévie en rien de sa trajectoire) qui s’engouffre inexorablement dans la poursuite d’une ombre, que le film laissera accomplir au détriment de toute satisfaction ou glorification.

     Les premières images sont des séquences de tortures. Crues, précises mais jamais tapageuses, elles n’impressionnent pas tant par la violence insoutenable qui les caractérisent (waterboarding, mise en cage, humiliations) que par leur construction logique, mélange de douceur maquillée et de manipulation organisée. Aucune complaisance ici, d’un côté comme de l’autre, les scènes s’enchainent et se répètent, tenant plus du précis reportage que d’un élément de scénario. On passera sur la polémique que ces séquences ont engendrées politiquement mais il fallait bien s’y attendre, tant le film ne cesse de dire que la torture fut un stratagème efficace pour retrouver Oussama Ben Laden. Le charme de Dan (Jason Clarke) peut se grimer en terreur, tandis que Maya (Jessica Chastain) attend dans l’ombre, écoute et observe, sans expression. Quant au prisonnier, à aucun moment il n’est agité en marionnette fanatique (ni lui ni les autres, un peu plus loin dans le film) destinée à effrayer le spectateur occidental, le film ne s’en tenant qu’à une succession de faits et la terreur, réelle, n’émerge que via leurs réussites. Les personnages sont des pantins de torture, voués à disparaitre. C’est d’ailleurs concrètement ce qui se passe une fois les informations récupérées puisque Dan disparaît du plan au même moment qu’Ammar, le torturé, laissant définitivement place à Maya, qui jusqu’ici n’était qu’un regard, un assistant de mise en scène, pour finalement devenir la caméra elle-même, l’organisatrice de la traque, metteur en scène jusque dans l’initiative de la mise en place de la traque finale.

     Séquence finale dont on a beaucoup entendu parler : assaut sublime, dans l’obscurité, écrasé par la pénombre et enveloppé par le sable. La scène impressionne mais pas vraiment comme on l’attend, elle force le respect à la manière de celle des snipers dans le bunker dans son précédent film, Démineurs. Elle semble à contretemps, sans repère, sans imagerie pompée sur un réel rebattu. C’est dans l’abstraction que Bigelow s’en va chercher le corps d’Oussama Ben Laden. Deux avions de chasse survolent le lieu, une flopée de militaires s’en échappent, suspendus aux filins, ils pénètrent dans le fort comme le cartel colombien se hissait dans celui de Tony Montana, dans le Scarface de De Palma. Aucun contre-champ ici, les seules images visibles seront unilatérales, du seul point de vue des militaires. Ailleurs on aurait installé un micro suspense en variant le point de vue, la cinéaste a l’intelligence de ne pas se laisser séduire. Son film est brut et le restera jusque dans le dernier plan. Comme en écho au 11/09 et donc à la première séquence du film l’un des avions se crashent dans l’obscurité, nous n’en saurons pas davantage. La suite se déroule au viseur, en infrarouge ou  dans le noir complet. On discernera l’évacuation d’une femme ayant assisté à la mort de son mari avant d’en voir une autre se faire abattre froidement aux côtés du sien. Ailleurs, dans une autre pièce, des enfants. Les militaires leur tendent des lampes pour les rassurer puis  ils leur demandent l’emplacement de la cible. « Oussama ?! Oussama ?! » Chuchotent-ils un peu avant de l’abattre. Geronimo. On rentre au bercail. Rien de plus. Une telle radicalité dans une telle situation en apparences spectaculaire impose le respect.

     Entre ces deux chapitres phares bien définis, on flotte, on tâtonne dans une sorte de grand vide imperceptible, entre renseignements d’importance et petits événements divers au sein d’une progression volubile. Maya devient la représentation d’une Amérique qui s’impatiente d’un dénouement, en bravant sa hiérarchie, imposant ses choix dans un milieu aussi flou – et extrêmement bien rendu – que les bureaux de la CIA. Mais au service de quoi, de quel ordre, de quelle satisfaction ? Zero Dark Thirty est un grand film sur l’absurde. Absurdité de la guerre évidemment, ici réduite à la traque d’un seul homme et absurdité d’une traque obsessionnelle qui n’a pour but qu’un passage de relais abstrait. Al Quaida sans Ben Laden c’est Al Quaida avec un autre. Maya représente le personnage où l’absurdité s’élève à son paroxysme, puisqu’elle substitue sa vie à cette traque, n’existe pas sans Ben Laden (magnifique ultime plan) coincée dans l’idée de combattre le Mal qui doit être un visage, un seul, probablement pour se rassurer, comme le souhaite alors l’Amérique toute entière.

     Plus qu’un énième film à la gloire du mandat Obama, qui héroïserait espièglement cette longue traque qui fit une des grandes réussites de la CIA  de ces dernières années, Kathryn Bigelow choisit de faire une suite à Démineurs, cependant moins axée sur l’abstraction mais plutôt sur une mécanique indéboulonnable, de pantins dévoués et déterminés à ne rien lâcher de leur proie. Plus de bombes à désamorcer, uniquement d’éventuelles pistes et informations à creuser. Jessica Chastain incarne magnifiquement ce rôle d’agent de renseignements obnubilé par cette chasse obsessionnelle, qui la happe dans un songe onirique, en déconnection absolue – Belle séquence de l’envol des hélicoptères dont elle regarde le décollage, comme suspendue à un rêve, qu’elle sent, prend bientôt fin. Preuve que le projet ne vise pas la glorification des forces armées, mais bien son absurdité, la cinéaste avait déjà écrit le film bien avant qu’OBL (C’est à ses initiales qu’il est réduit dans le film, dans la bouche des militaires, un simple code) ne soit refroidi, en montrant l’impossibilité de réussite de l’entreprise et la démesure qu’elle engendre. C’est quasi Herzogien. Zero dark thirty est un grand film sur l’addiction et la détermination, et son revers la solitude, mais il faut attendre le dernier plan pour entièrement l’entrevoir. Je trouve que c’est un bel écho au cinéma de Fincher, en particulier à The social network, avec lequel il partage cet état névrotique. Maya est un personnage sans histoire ni affects, simplement défini par sa détermination et à sa seule conscience de logique professionnelle. On pense encore à Fincher, mais à Zodiac cette fois, quand la cinéaste cadre son personnage chez elle, dans ses recherches sans fin. Elle n’a pas de vie privée. C’est une matrice sacrificielle et robotique sans lendemains.

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