The girl with the dragon tattoo – David Fincher – 2012

rooney-mara-stars-as-lisbeth-salander-and-daniel-craig-stars-as-mikael-blomkvist-in-the-girl-with-the-dragon-tattoo-2011-1024x680The missing picture.

     9.0   J’ai beau aimer (modérément) la version suédoise qui fut la première adaptation des romans de Stieg Larsson, la version de Fincher lui est infiniment supérieure à bien des égards et le cinéaste confirme qu’il est un nom important du cinéma contemporain. Fincher qui adapte le best-seller des aventures de Lisbeth Salander, l’idée était réjouissante de la part du réalisateur de Zodiac et The social network, puisque finalement sur le papier, The girl with the dragon tattoo pourrait grossièrement dit être un mélange des deux : Une enquête sur une histoire de meurtres vieille d’un demi-siècle enrobée à la sauce Internet, le flux d’information jusqu’à saturation, la solitude et l’enfermement dans la quête, l’aliénation, au service d’une mise en scène effrénée sur un large récit liée à une lisibilité de point de vue totalement nouvelle bref autant de thèmes majeurs de l’œuvre Fincherienne.

     The girl with the dragon tattoo est un film qui va à cent à l’heure. C’est un cinéma de l’anti-pose, pourtant un peu manipulateur (relents de Fight club, de The game), un peu fulgurant (Seven), un peu pyrotechnique (Alien 3), c’est un film qui combine un peu tout ça mais trouve inéluctablement sa maturité en Zodiac et The social network dont il semble être le mélange parfait. Il leur doit en tout cas plus qu’aux autres. A la donnée « vitesse » qui investit son cinéma depuis ses débuts, mais gagne en cohérence de film en film, s’est ajouté ce que l’on pourrait appeler un minimalisme contre la facilité, qui englobe tout le reste, et fascine tant. Fincher dépouille le roman et en fait un film de pure mise en scène, se délestant de son homologue suédois, fidèle adaptation dépourvue d’un grand intérêt cinématographique qui n’en restait pas moins efficace. Les exemples sont nombreux. Le premier, le plus important, c’est le lieu, cette Suède glaciale. Elle était impersonnelle chez Oplev, manquait tellement de corps que je ne me souviens de peu de scènes en extérieur. Chez Fincher c’est l’élément majeur, la neige, le froid, ce climat si pesant, tout est rendu magnifiquement par cette façon de s’accaparer l’espace, et pourtant ça n’a rien à voir avec la durée, on sait combien le cinéma de Fincher est accéléré, mais le lieu enrobe les personnages, apprivoise leurs déplacements et les enchaînements sont d’une lisibilité exemplaire. On sait où l’on se trouve à chaque début de séquence sans que l’on nous placarde le nom des lieux façon James Bond ou Jason Bourne. Fincher fait le pari de la différenciation cinématographique, de rendre aux lieux leur indépendance et ça fonctionne à merveille.

     Aux mécanismes un peu caricaturaux et lourds du film suédois répond donc cette économie générale concentrée sur l’action, le mouvement, le déplacement. La colossale scène dans les souterrains de métro en est l’exemple parfait. Rappelons l’idée commune : Lisbeth est dans le métro et se fait voler son ordinateur portable. Dans l’un, elle rattrape son agresseur (ils sont d’ailleurs plusieurs), prend des coups et en donne, garde son pc et retourne au quai. Il fallait montrer une guerrière, une femme qui n’aimait pas les hommes, du sang, il fallait que ça cogne, ostensiblement. Dans l’autre, cette scène est magnifique de subtilité. Elle se fait voler son ordinateur, rattrape son agresseur (il est seul) et semble lui rende la monnaie de sa pièce dans un escalator, semble car nous ne discernons pas vraiment l’action tant elle est ultra rapide. Et surtout nous n’entendons rien hormis le brouhaha incessant des couloirs de métro qui masquent tout, cris comme coups de poings. La jeune femme redescend en toboggan sur la partie lisse de l’escalator et réussi à récupérer le métro dans lequel elle se trouvait. C’est une affaire de dix secondes mais ça suffit. Cette Lisbeth-là m’impressionne beaucoup plus que l’autre. Justement pas parce qu’elle met/prend des nions mais parce qu’elle se déplace comme personne, il y a un côté surhumain dans cette colère ça en devient fascinant. En parlant de cette colère le film ne tombe pas non plus dans le piège du mauvais goût pour éclaircir le passé de Lisbeth, aucun flash-back (alors que la version suédoise en était bondée, essentiellement cette scène de l’allumette qui réapparaissait régulièrement) ni aucune donnée extérieure. On apprendra qu’elle a tenté de tuer son père par ses propres mots à elle, lorsque Michael lui demande ce qui lui est arrivé. Fincher choisit donc délibérément cette relation et non l’aspect sensationnel de l’histoire et si l’on apprend une donnée précieuse c’est au détour d’un simple glissement comme celui-ci.

     Ensuite, le film est une course, une quête, sur deux niveaux tout d’abord qui se fondent finalement en un seul. Les personnages veulent tout autant dans les deux films connaître la vérité, mais le spectateur n’éprouve pas ce sentiment. A mon sens le film suédois existe majoritairement pour son intrigue et cela même si les acteurs y étaient excellents, quand le film américain devient le thriller en état de grâce, de profusion d’idées, qui ne concentre pas son plus grand intérêt sur l’enquête mais sur ses personnages. C’est aussi pour cela qu’il est beaucoup plus touchant et qu’il choisit clairement de naviguer sur une voie plus romantique, le final étant similaire à celui de The social network. Le noyau est une fausse piste. Comme l’est chaque fois le cinéma de David Fincher. Raconter le développement de Facebook ou l’histoire de la famille Vanger servent de prétexte ou du moins l’intéresse moins que l’histoire de ses personnages, le mystère et la douleur qui les caractérisent, de façon à faire sourdre une envergure insoupçonnée. De la même manière il y a le choix de mettre en scène cette recherche éperdue d’informations, de vieilles photographies et de confronter tout ça à la technicité actuelle. Michael représente cette recherche old school (Lettres, albums photos) quand Lisbeth, hackeuse imbattable, incarne cette modernité numérique. La scène où toutes les photos récupérées par Michael s’animent à faire un film, selon un panorama simple, c’est presque du De Palma ou un clin d’œil au Blow up d’Antonioni, tant ce hors-champ manquant devient cette obsession. Ce hors-champ c’est Lisbeth qui le dégotera en constatant sur les photos prises, un autre appareil photo. Déjà les deux esprits se rencontrent. Que le film accouche sur une relation sexuelle, probablement plus compassionnelle que sexuelle, c’est aussi parce qu’au cœur même du film, en tant qu’enquête, les deux se complètent et se sauvent mutuellement la vie. Le manque se dédouble. L’image qu’ils convoitent tous deux à temps plein convoque une autre image, celle de l’amour, qu’ils n’arrivent à entrevoir, encore moins à perpétuer.

     Auparavant, le rapport entre les deux personnages centraux, bien que relativement froid (Michael Blonqvist doit essuyer une condamnation carcérale, Lisbeth Salander est ce bloc de colère mystérieux au passé douloureux et secret) aura créé une intimité, une astreinte dans leurs recherches. C’est d’abord assez bouleversant sans l’être, c’est trop abstrait, et puis ce sont tous deux des bêtes de travail à tel point que l’on ne voit pas quel amour peut éclore de ça. Il y a pourtant quelque chose, aussi masqué soit-il, dans cette façon de le mettre en scène que je trouve extraordinaire. Lisbeth est réduite à une espèce de micro-processeur téléguidé toujours maîtresse de ses moindres mouvements mais aussi toujours à la limite de la rupture, sorte de Sarah Connor mutée en Terminator. Puis son personnage s’humanise imperceptiblement, au contact d’un autre tout aussi hostile qu’elle. D’abord au détour d’un compliment fugace « J’aime travailler avec toi »  qu’elle est la première à confier – il l’imitera aussitôt – et dont elle semble presque surprise que ce soit de sa bouche qu’il soit sorti. Puis, toujours en marge du récit central, tous deux font l’amour, machinalement, puis amicalement, puis c’est une main sous un t-shirt, puis c’est un blouson de cuir. Les trente dernières secondes sont les plus émouvantes de tout le cinéma de Fincher, je crois. Emouvant parce que ça a glissé alors qu’on ne s’y attendait pas. Pas de final brutal et fulgurant à la Seven, non, Fincher se satisfait de l’image que renvoi ce blouson dans une poubelle et de ces routes sinueuses empruntées aux opposés.

     Deux mots sur la musique tout de même : c’est tout simplement la cerise sur le gâteau, une merveille de bande sonore (peut-être son chef d’œuvre) comme Trent Reznor sait nous en concocter (on se souvient encore de celle qui accompagnait The Social network) qui ajoute à cette ambiance glaciale du film, lui donne un bruit unique, une respiration nouvelle que nous n’avions encore jamais vu. Elle ne mise jamais sur l’accélération, rappelons que ça ne s’accélère presque jamais, que le film n’est d’ailleurs doté d’aucun climax propre au genre. Le film garde une dynamique monotone 2h40 durant, une monotonie étourdissante, sans sourciller, un tout qui fonce tête baissé du très beau générique d’entrée, cauchemardesque, saturé d’une substance noirâtre dégoulinante agrippant le visage d’une femme au milieu d’un dédale d’éléments propres au hacking, jusqu’à cet ultime plan et cette moto qui sort du cadre par la profondeur, qui agit autant comme une fin extrêmement douloureuse que comme le début d’autre chose, d’une éventuelle suite. 

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