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Archives pour 24 janvier, 2014

Casse-tête chinois – Cédric Klapisch – 2013

casse-tete-chinoisTo be or not to be trop vieux pour ces conneries.

     5.5   Cédric Klapisch est donc un cinéaste vieux, un mec qui fait constamment le bilan, réunit ses mémoires et fantasmes en patchwork. Cela revient à se demander si ses films ne l’ont pas toujours été un peu, vieux, systématiquement coincés dans le fantasme de paraître jeune à tout prix, de faire du film générationnel, le fantasme d’une jeunesse rêvée ou si partiellement vécue, déjà loin. Il suffit d’évoquer le nombre incalculable de séquences de ce nouveau film pour s’en persuader, dans lequel est évoquée l’idée de la quarantaine. Dans chaque plan, en gros. Mais de cette quarantaine approchant il ne raconte rien, sinon que c’est cent fois plus le foutoir qu’à vingt. Du coup, le film ne se donne pas le temps d’exister, ni en tant que suite (bien que c’est ce qu’il réussisse le mieux), ni en tant que manifeste d’une jeunesse paumée. Dans une scène, Xavier lâche un désespéré « Putain Isabelle, on va avoir quarante ans ! » lorsque la jeune femme est bientôt prise au dépourvu par sa petite amie, qui si elle atteint la maison avant Xavier trouvera Isabelle au pieu avec une autre, avec la baby-sitter. Scène miroir, évidemment, de la culte séquence de L’auberge espagnole, où c’était Wendy qu’il fallait sauver du guêpier provoqué par la venue surprise de son amoureux tandis qu’elle partageait son lit de Barcelone avec un américain. La scène est culte et je dois le reconnaître encore jouissive aujourd’hui parce que Klapisch dynamise la situation avec ces split-screen de plans de course et cette impression de solidarité entre chaque colocataires, qui cessent un à un ce qu’ils sont en train de faire, comme si plus rien n’avait d’importance sinon le bien être de leur amie. Cette réplique de Casse-tête chinois est intéressante car on y entend Klapisch se dire : Putain t’as cinquante ans Cédric et tu continues de raconter exactement la même chose. Car le plus dingue là-dedans c’est que cette séquence copiée collée fonctionne très bien, c’est la plus jubilatoire du film, aussi jouissive que sa référence, à croire que Klapisch ne sait faire que ça.

     L’intérêt de Casse-tête chinois réside tout particulièrement dans l’évolution du personnage de Xavier, pour qui le temps semble avoir atténué les tendances cyniques et violentes qui culminaient essentiellement dans Les poupées russes (se souvenir de cette immonde scène de rupture avec la jeune vendeuse « Et ouai j’suis un connard ! »), à croire que Klapisch aimait brosser un portrait infâme de la trentaine, afin de récupérer plus tard la douceur de la quarantaine, de manière à ce qu’il y ait un changement important. De toute façon, Klapisch n’a jamais été un cinéaste très subtil. Pour autant, je trouve que c’est quelque chose qui fonctionne plutôt bien dans cette trilogie, l’idée d’évolution. J’aime par exemple ce qu’il tire de ses trois personnages féminins récurrents, bien que tout aille dans la facilité néanmoins, comme toujours chez Klapisch, normal faut pas s’attendre à du Rohmer. C’est dans le cliché même détourné que son cinéma trouve ses plus beaux moments. L’une des trois, Martine, le premier amour, est irrémédiablement coincé à Barcelone, au temps de Barcelone, peut-être parce qu’elle ne l’a pas vraiment vécu (elle passait voir Xavier à l’occasion) et que c’est un stade de sa vie qui lui manque. C’est un très beau personnage. Que l’on a commencé par détester (cantonnée à être la relou de service) mais qui révèle une grande complexité avec le temps. Il y a Isabelle, « ma pote » comme ne cesse de l’appeler Xavier, bien que leur relation ne cessera d’être ambiguë (ça l’était déjà dans L’auberge espagnole) renforcé ici par le fait qu’elle finisse par porter son enfant. Elle, bizarrement, voudrait assumer son âge (l’appartement, la vie de famille) mais elle est coincée dans un passé insouciant qui serait celui de ses vingt ans, incapable de s’en extirper, car dit-elle, c’est le feu qu’elle recherche, ce feu qu’elle retrouvera en croisant sur son chemin la voluptueuse baby-sitter. Je fais un petit aparté cliché détourné car c’est celui qui me semble le plus représentatif de la mode Klapisch, celui concernant la jeune baby-sitter : en effet il en fait vite le portrait d’une jeune bleue, un peu écervelée car bien entendu elle est d’origine belge. C’est dire le niveau de l’écriture. Sauf que là encore il oriente son personnage vers quelque chose de plus insondable, inattendu, lorsqu’elle tombe amoureuse d’Isabelle. Elle c’est le feu de la nouveauté qui la brûle. Ce feu que Martine et Xavier finiront par revivre, un feu éteint (depuis la moitié de L’auberge espagnole en gros) dont il ne restait que braises sous les cendres, ravivé parce que l’occasion (tous deux étant célibataires, avec enfants) le permet. Et à côté il y a Wendy, qui est passé pour Xavier de petite étudiante studieuse dans le premier à quête au milieu des autres dans le deuxième pour finir à l’ex avec qui l’on négocie la garde des gosses dans ce dernier volet. Attirée par un rigorisme nouveau, bien que ce soit entre les deux premiers opus qu’elle semble s’être vraiment métamorphosée, la folie de l’adultère parait loin pour elle, les uniformes pour les enfants finissent d’attester de la transparence sociale dont elle était finalement déjà en quête dans Les poupées russes (elle occupait un boulot d’éditrice plutôt confortable) bien que c’était curieusement son petit frère qui s’y mariait. L’évolution des personnages est aussi très physique : Le générique initial présente chacun au moyen de trois photographies piochées dans chacun des trois films. Eh bien, même en quinze ans, certains prennent relativement cher. C’est une idée facile mais ça me touche assez.

     Mais la vraie bonne nouvelle de l’ensemble c’est que l’unité de lieu a repris son cours, du coup il est possible que je préfère ce volet au second, qui s’appliquait à construire son vaudeville sans se préoccuper des aléas géographiques, même si là aussi on pourra une fois encore le mettre au crédit du personnage évolutif de Xavier, littéralement paumé de chez paumé ici, voyageant entre Paris, Londres et Moscou (il y avait de nombreuses scènes de TGV d’ailleurs, lieu sans géographie précise). Ici c’est donc New York, filmée comme Barcelone, sauf que c’est New York et que la filmer comme le fait Klapisch la rend autre, différente de celle que l’on a l’habitude de voir au cinéma, des toits des immeubles d’Ellis Island aux vitrines des restaurants de Chinatown. Ce n’est pas de la grande topographie, soyons honnête, mais l’ambiance me plait. On évite la carte postale.

     Mais comme d’habitude il faut se farcir les élucubrations quelque peu balourdes de Xavier, ses discours sur l’engloutissement, le vide, les êtres du ground qui s’érigent à l’image des buildings vers le ciel, le tout étant appuyée par une mise en scène bien démonstrative, on se souvient de l’horrible séquence des Poupées russes où Xavier voguait au milieu de l’avenue aux dimensions parfaites, dans une scène onirique tu vois parce que c’est tendance, derrière le déhanchement sexy d’une fille qui l’excitait mais dont il devait se séparer. Il y a la même ici, en moto, lorsque Xavier s’engage dans un premier boulot de coursier. En fait, je préfère nettement quand ces sorties sont accompagnées par un humour un peu anecdotique comme de voir Hegel frapper à sa porte quand il s’interroge sur le bonheur, un peu comme lorsqu’il flippait en croisant Erasme dans les rues barcelonaises. La grande nouveauté c’est Besneard, qui campe l’agent de Xavier à Paris, que l’on entrevoit seulement par Skype. C’est le point humour du film, Klapisch semble avoir lâché les chevaux à son égard, c’est de l’humour facile je le conçois mais ça fonctionne globalement, comme le reste en somme, comme le reste de cette saga, pour laquelle j’ai une tendresse toute particulière, même si je suis conscient qu’elle n’est pas infiniment meilleure que tous ces films de Klapisch que je déteste.


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