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Archives pour 11 février, 2014

L’amour l’après-midi – Eric Rohmer – 1972

1544311_10151902306697106_946862396_nLa double vie de Frédéric.

     9.5   Rohmer, je t’aime. Mais vraiment. Ce film-là faisait partie des rares qui m’avaient laissé relativement froid la première fois. C’est sans doute avec La collectionneuse ma plus belle redécouverte du cinéaste. C’est simple, il fait dorénavant partie de mes films préférés, c’est sublime d’un bout à l’autre, la voix-off est à tomber, littéralement. Et pire – qui prouve que je ne m’en souvenais pas du tout – j’ai eu l’impression que ce film parlait de moi et me parlait directement, qu’il était moi déjà avant mais qu’il fallait que j’attende aujourd’hui pour m’en rendre compte. J’ai pensé à L’homme qui aimait les femmes, de Truffaut, mais aussi à Je t’aime je t’aime de Resnais, rigolo d’ailleurs car Verley m’a fait penser à Claude Rich. En tout cas je me suis rarement autant retrouvé dans un personnage qu’en celui-ci. J’aime absolument tout, sans réserve. C’est dingue comme ce cinéaste m’est si intime, je ne ressens ça avec aucun autre. Allez si gardons espoir, aujourd’hui j’entrevois éventuellement une équivalence avec le cinéma de Mikael Hers, j’ai vraiment l’impression que si ce type poursuit sur sa sublime lancée (Montparnasse, Primrose hill, Memory lane) il peut devenir un bel héritier, non pas forcément rohmérien, cessons les amalgames réducteurs, mais l’héritier d’un cinéma qui me touche au plus profond, dans lequel chaque nouveau visionnage pourrait me révéler un peu de moi-même.

     Frédéric est dans un état de contradiction permanent, sur de ses désirs, certain de ses habitudes. C’est une femme, justement celle qu’il n’aurait pas remarqué dans d’autres circonstances (envahissante et paumée) qui brouille les pistes, l’extrait de son orgueil et de ses certitudes. La beauté du film est de ne jamais remettre en cause l’amour et la solidité du couple, l’alternative Chloé n’intervenant qu’en tant qu’entité à part entière, comme dans une vie parallèle, détaché du noyau. Surtout, Frédéric est de ceux qui ne peuvent pas ne pas prendre en compte les valeurs de la société, se déclarant éthiquement polygame dans une société qui l’accepterait, mais entièrement monogame dans celle dans laquelle il se trouve. Ses interrogations poussent cependant le jeu au-delà de ses frontières morales. Il se demande un moment s’il ne vaut pas mieux succomber à son instinct une bonne fois pour toute plutôt que de vivre avec le refoulement de ce désir pour toujours. La réponse serait facile s’il en connaissait les aboutissants mais il est incapable de savoir s’il s’agit de la fin d’un désir ou du commencement d’un autre.

     Frédéric se satisfait donc longtemps de ses rêveries et observations diverses qui suffisent à son bonheur. En étreignant Hélène nous dit-il, j’étreins toutes les autres femmes. C’est du moins ce qu’il croit longtemps, un temps. C’est un homme à femmes qui s’ignore. Un homme coincé dans un paradoxe entre l’amour et le désir qu’il semble ne pas vouloir faire cohabiter. Sa marginalité de bourgeois errant est d’aimer manger et batifoler entre 14h et 15h quand les autres travaillent, enfin pas tous, merci Paris, ville où il aime se perdre et regarder éternellement, au lieu de briser la routine avec Hélène. Mais petit à petit, les rendez-vous se succèdent. Frédéric est sur le point de tromper sa femme. Son désir d’adultère s’étant exacerbé par l’absence de Chloé et de sa réception au sortir de la douche. Mais sous l’autel de son sacrement, lorsqu’il se déshabille en s’apprêtant à la rejoindre, tandis qu’elle apparaît nue sous sa couette, il ôte son pull et voit dans le miroir un jeu qu’il fait avec sa femme et sa fille, alors il se dérobe brutalement.

     C’est toute la subtilité des contes moraux que de construire chaque fois un trio échappant aux codes, faisant naître la saveur dans l’inattendu. Les feuilles de calendrier créée une chronologie ici autant qu’un avertissement. L’amour l’après-midi, une fois encore de part son titre, brise l’attendu, casse l’attente à voir les deux (virtuels) amants enfin faire l’amour et probablement l’après-midi puisqu’il s’agit de leur créneau de rencontre plus ou moins quotidien. Frédéric fera finalement bien l’amour l’après-midi mais avec sa propre femme, dans un moment mystérieux où chacun est gêné par l’inhabituel. Ils feront l’amour comme deux amants après avoir pleuré l’un et l’autre dans l’étreinte comme si le silence avait supplanté les mots et suffit pour se comprendre et envisager la gravité conjugale de la situation.

     Un moment donné, Frédéric est dans un café et se met à rêver qu’il peut faire succomber toutes les femmes à son charme, au moyen d’un médaillon magique, lui qui avoue avoir perdu toute capacité et envie de faire la cour. Toutes succombent exceptée celle campée par Béatrice Romand, le paradoxe. Toutes ces filles sont échappées des précédents films du cinéaste. On y retrouve Maud, Françoise, Haydée, Claire, Laura et Aurora … Témoin de l’impasse morale que constituent ses six contes, Rohmer se permet même de leur dire au revoir, à l’époque il déclarait d’ailleurs qu’il en profiterait pour se reposer. Etonnant repos. Moins fructueuses et fulgurantes il est vrai furent les seventies pour la grâce rohmérienne néanmoins cela ne l’empêcha pas de se lancer dans deux aventures radicalement différentes, deux projets historiques, la première seulement trois ans après L’amour l’après-midi, ce sera La marquise d’O…, la seconde dans la foulée, ce sera Perceval de Gallois. Avant que n’arrive la plus belle, lumineuse et prolifique des périodes Rohmériennes : les années 80.

Le genou de Claire – Eric Rohmer – 1970

1476246_10151865238517106_921002585_nLe berceau de la séduction.

     9.0   Il faut encore une fois souligner la peinture estivale et enchanteresse que fait Rohmer du lieu qu’il met en scène, en l’occurrence d’Annecy, de ces abords de lac englobés par ces flancs de montagnes. Une photographie tout en finesse saisissant une lumière hors du commun, l’impression que chaque scène est filmée à un instant particulier d’une journée où la lumière se fait si singulière, aérienne, caressante, délicate, comme si tout tournait autour d’elle, comme si tout tournait autour de Nestor Almendros, qui accomplit probablement son plus beau travail au chevet de Rohmer avec ce film-ci, tout en plongées sublimes sur le paysage savoyard, ondulation des eaux, caresses du vent.

     C’est chronologiquement le premier film de Rohmer construit sur le principe d’une séquence par jour, ou presque. Une date est donnée à chaque fois et le récit se déroule sur une durée de un mois. Jérôme (Jean-Claude Brialy) y est en villégiature sur les bords du lac d’Annecy, afin de vendre la propriété familiale de Talloires. Il y croise par hasard une amie, Aurora, une romancière roumaine, et la revoit à de nombreuses reprises occasionnant des discussions diverses sur leurs chemins de vie. Peu à peu, Jérôme devient le personnage du roman qu’elle écrit, elle s’en sert comme d’un cobaye, en recueillant les impressions de ses expérimentations, sachant son ami très charmeur, beau parleur, particulièrement amateur de jeunes femmes, alors qu’il dit avoir trouvé la paix amoureuse, avec l’élue de son cœur avec laquelle il s’apprête à se marier. Elle l’observe, le questionne, l’écoute, prend en compte ses retranchements.

     C’est un nouveau jeu, un nouveau pari, une nouvelle matière aux digressions les plus alambiquées. Aurora cherche des modèles pour son ouvrage et trouve deux éléments adéquats : la lycéenne lucide déjà amoureuse et le fiancée mature toujours libertin. C’est en passant du temps avec la fille de son hôtesse, Laura, seize ans, que celui-ci s’engage dans un jeu dangereux. Mais il y a une double barrière. Tout d’abord, Laura est bloquée par la situation maritale de Jérôme et ce dernier n’éprouve guère la sensation de challenge en côtoyant la demoiselle qu’il sent bien trop facilement éprise de lui. Le jeu se reporte alors soudainement sur la demi-sœur, d’un an l’aînée de Laura. Plus secrète, candide, mystérieuse, elle se rapproche énormément de Haydée, la collectionneuse, qui avait le pouvoir mais le masquait aisément par sa fausse crédulité.

     Claire aura mis du temps à entrer dans le récit, d’abord enfermée en photo dans un cadre au-dessus d’une cheminée puis accompagnée, lors de sa première apparition à l’écran, par un garçon de son âge. Si le jeu de la séduction est avant tout engagé avec la plus jeune des sœurs, érudite mais cible facile, c’est avec Claire qu’il expérimentera vite cette quête de l’impossible, ne trouvant que trop de facilité à séduire celle dont il s’était fixé le défi au départ. Jérôme dit un moment qu’il n’est pas à l’aise avec Claire car il est persuadé qu’il ne pourra la séduire par ses mots comme il peut très facilement le faire avec Laura.  Le copain de la jeune femme n’a in fine aucune influence sur ses choix. Preuve en est que le nouveau flirt suspect de Laura (pour tenter de le rendre jaloux, probablement) ne change rien à son aiguillage. Jérôme recherche alors le pôle magnétique de son désir émanant du corps de Claire et jettera son dévolu sur son genou qui attire son attention dans un premier temps aux abords d’un cours de tennis puis définitivement dans la séquence de cueillette de cerise.

     De cet apparent jeu enfantin au parfum de défi estival, Rohmer tire le portrait d’un homme quarantenaire sûr de sa fidélité mais dont la faiblesse sera celle de la séduction, comme s’il revivait sa jeunesse au seuil d’une vie qui allait bientôt lui empêcher tout écart volage. Jérôme évoque énormément le Vidal de Ma nuit chez Maud, quelqu’un d’invulnérable en apparence, de joueur qui peut vite s’effacer, de libertin réfléchi. L’aventure méthodique, rigoureuse, qui traversera chacun de ses six contes, où les personnages analysent leur propre fidélité en se fixant des règles précises pour parfaire leur défi qui prend souvent des détours inattendus, témoignant de leur faiblesse de joueur invétéré, prend une dimension à priori plus théorique. La fin montre aussi bien la réussite de l’entreprise (Jérôme finit par caresser le genou de la jeune femme alors que le défi était selon lui un sommet de difficulté dans la mesure où il devait faire passer le geste pour de la compassion et non pour une éventuelle séduction) que son échec (le dernier plan voit la réconciliation de Claire et de son petit ami alors que Jérôme avait révélé les infidélités de son homme) ce qui prouve la limite des ses certitudes, la fragilité de ses croyances et donc de sa fidélité.

     C’est le plus littéraire des films de Rohmer, à la fois très romanesque dans sa construction et ses enchaînements chapitrés, mais surtout parce qu’il effectue une mise en abyme du monde de la littérature, montrant en image ce que Aurora, écrivain, sera en mesure de mettre en plume en recueillant le compte rendu de son personnage/cobaye du réel. A l’instar des précédents contes moraux, Le genou de Claire a aussi son titre à moitié mensonger puisque le film, en fin de compte, est moins centré sur le dévolu qu’il a jeté sur la plus grande des sœurs, que sur les divagations qu’il entretient avec Laura. Ce marivaudage nous est conté avec la minutie des suspenses d’Hitchcock, tout en dédoublement, les deux jeunes sœurs d’abord et la manière de raconter ensuite, sur deux niveaux, selon l’expérimentation vécue puis racontée du personnage central, héros d’un double récit.


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