8.5 Dans Je suis une ville endormie, le précédent film du cinéaste, version courte qui deviendra ensuite Les nuits avec Théodore, on entrevoyait déjà ce mariage insensé entre différentes formes cinématographiques, en apparence difficilement complémentaires. Une cohabitation délicate et lumineuse qui aurait pu tout aussi bien être lourde et paresseuse. Ce terme de cohabitation caractérise bien le cinéma de Betbeder tant il ne cesse de régurgiter toutes ses références personnelles possibles afin de les malaxer toutes ensembles festoiement. Car il s’agit bien d’une grande fête. Son film est bondé de références en tout genre, très proche des miennes, ce qui lui confère un statut particulier à mes yeux. Références non feintes, toujours pleinement employées et si le film ressemble à beaucoup c’est aussi pour la multiplicité de ces références, aussi bien Trufaldiennes que proche du récit de vacances.
On y écoute Fleet Foxes, on y évoque Grauzone, on s’évade sur du Delpech. On assimile les rendez-vous aux cinémas d’Apatow et Green. On raconte l’expo Munch ou bien La salamandre d’Alain Tanner dont le cinéaste nous gratifie d’un extrait d’une trentaine de secondes dans son film. C’est comme si les personnages avançaient via leurs références, se souvenaient par l’intermédiaire de leurs références, celles du cinéaste évidemment qu’il intègre à ses personnages ce qui est suffisamment rare et précieux. Chez Guillaume Canet (Les petits mouchoirs) on sortait Coup de tête d’Annaud pour séduire, faire le beau, là on sent une vraie sincérité d’usage.
Si le film est souvent amer, cette amertume est systématiquement contrebalancée par un rire franc. A l’image de ce cousin et ses aveux de tentatives de suicide. C’est à la fois drôle et sordide. Plus tôt, il s’agit de détourner par le rire une séquence d’Avc dans un buisson. En un sens ça m’évoque beaucoup le film de Valérie Donzelli, La guerre est déclarée, qui pratiquait clairement ce procédé de désamorçage dramatique. Inutile de préciser que ce registre sied idéalement à Vincent Macaigne, acteur caméléon, qui livre une fois de plus une prestation remarquable. C’est le film d’un cinéaste qui veut raconter son histoire au moyen d’une multitude de possibilités, de tout ce qui lui est offert, sans se compromettre au choix exclusif, sans jamais se soucier d’un éventuel rejet ni des conventions du genre, que l’on pourrait réduire à du comique dépressif, à du Woody Allen d’aujourd’hui, qui aurait digérer Apatow.
Le film use de procédés, une qualité qui a ses limites : construction organisée en deux parties distinctes contenant chacune une quinzaine de mini chapitres, monologues face caméra, voix off fusionnant avec la voix de la prise directe (rappelant le procédé utilisé par Sophie Letourneur dans Le marin masqué). Ce n’est paradoxalement pas là qu’il échoue. Le film de Valérie Donzelli était parcouru d’une dynamique comme cela, un peu folle, non identifiable mais homogène, ce qui manque sans doute un peu à 2 automnes 3 hivers dont on a l’impression de parcourir les pastilles d’un book of life, avec des fulgurances écrites certes mais peu de vraies envolées.
Le film séduit moins lorsqu’il est dans la suspension et la rupture de cette suspension, envolées poétiques ou dérives polaresques comme on a pu récemment le voir dans le très beau Tonnerre, de Guillaume Brac. Il est meilleur ailleurs : Dans la prise en compte de l’élément secondaire pour soudainement le faire devenir central. La sœur de Benjamin par exemple, plongée en plein dilemme existentiel, prise dans une secte. Ou encore le cousin suicidaire de sa petite amie. Ils ne pourraient être que des marionnettes autour d’un quatuor mais le cinéaste leur offre un temps une place centrale avant d’embrayer ailleurs, sur un nouveau chapitre. C’est un procédé quelque peu bordélique mais comme le film n’en joue pas et a cette sincérité d’aimer énormément ses personnages, de s’y intéresser chaque fois en profondeur, il n’y a pas de lassitude. Il se passe à mes yeux tout le contraire de ce que je reçois dans le dernier film de Wes Anderson (The Grand Budapest Hotel) dont la froideur générale n’a d’égal justement – tout est lié – que le théâtre miniature désaffecté qu’il nous inflige.
C’est son informité qui fait sa force, il ne peut se dérégler puisqu’il l’est déjà, déréglé, au pire seule son intensité en pâtit, légitime tant il tente de bondir d’un état à un autre, d’une drôlerie incontestable à une tristesse infinie. Il faut à ce titre signaler qu’un amour éclot à la suite d’une agression et d’un couteau en plein ventre, que cette même idylle s’éteint à l’arrivée d’une grossesse, pour repartir post avortement. Le film est constamment dans une forme d’opposition aux standards des comédies sentimentales.
Reste une petite bulle au charme indéniable, tantôt désopilante, tantôt grave, tantôt gênante aussi il faut bien se l’avouer. Mais la vivacité dont fait preuve Sébastien Betbeder pour nous conter son histoire sur deux ans et demi, le temps de deux automnes et de trois hivers, entre une rencontre impromptue lors d’une course à pied inhabituelle jusqu’à cette très belle fin à la fois sombre et réconciliatrice est plutôt un enchantement. Il faut surtout souligner la magie de son écriture, tant chaque chapitre ou presque emporte son bout de gras de part la qualité du texte, monologues et dialogues, ainsi que dans certaines situations ô combien savoureuses.
09/02/18 : C’était ma deuxième fois et c’est encore mieux que la première. Je confirme, j’adore ce film. Sans doute le plus inventif de Sébastien Betbeder. Drôle autant qu’il est triste. Pétri de références, les citant à foison, sans jamais qu’il en perde de sa personnalité. Probablement le plus beau rôle de Vincent Macaigne. Et puis comment ne pas tomber amoureux de Maud Wyler ?