Se laisser guider par ses impulsions.
7.5 Encore un Rohmer que l’on pourrait à brûle-pourpoint qualifier de mineur alors qu’il a une importance évidente dans la filmographie du cinéaste tant il semble être un traité sur le détournement des conventions. Se marier ici revient pour Sabine à effectuer un acte de résistance. Le dialogue est roi. C’est peut-être ça le Rohmer des années 80 : étirer le dialogue dans un espace-temps restreint, continu. Je ne dis pas qu’il ne le faisait pas avant (suffit de citer Ma nuit chez Maud) je dis qu’il tente de ne faire plus que ça. D’où bientôt les découpages journaliers (Le rayon vert) et séquentiels (Quatre aventures de Reinette et Mirabelle).
Le film s’ouvre et se ferme dans un train. On pourrait dire qu’entre ces deux voyages, il n’y a que Le Mans, ville témoin et ville vecteur d’un carrefour existentiel dans la vie de Sabine. Il n’y aura bien entendu pas que ces deux voyages ni seulement Le Mans mais ces deux extrémités en miroir, comme une parenthèse qui s’ouvre puis se ferme, donnent à sentir une indécision qui prend vie et fin. Sabine voyage aux côtés d’inconnus, perpétuellement puisqu’elle effectue des va-et-vient entre Paris, sa ville étudiante et Le Mans, son pied-à-terre.
Le premier virage du film est une rupture. Sabine y abandonne un homme marié, un peintre plus âgé qu’elle, dont elle déteste soudainement toutes les toiles et le manque d’ambition. C’est décidé, elle va se marier. L’heureux élu n’a encore ni visage ni nom mais la quête est lancée. Cet homme pourrait alors être cet inconnu du train – de la première séquence – qui l’a regardé sans qu’elle ne le remarque. En somme, il lui faut un inconnu téméraire pour oser l’aborder et qui acceptera de l’épouser. A l’écouter, tout paraît si simple, unilatéral. Dès l’instant qu’elle voudra, elle pourra. L’initiation produite par la durée du film et sa relation avec Edmond, brisera son doux rêve. Le film se ferme dans un énième trajet Le Mans / Paris mais c’est elle, cette fois, qui ira, par hasard, au-devant de l’inconnu, où elle s’assied en face de lui et c’est elle qui jettera la première un regard. Avant qu’ils ne se sourient, mutuellement.
C’est donc l’histoire d’un abandon de choix et de soi. C’est d’abord une quête très solennelle, un besoin de tout modifier déplacé à une totale maîtrise des actes, avant de comprendre que ce besoin se cache réellement dans le seul guide de l’impulsivité. C’est d’ailleurs le grand paradoxe de ce personnage, que de calculer son envie alors que sa vraie nature n’est jamais autre que pleinement impulsive. Laisse-toi guider par l’amour, lui dira finalement Clarisse. La quête orgueilleuse se brise à l’extrême paroxysme de son ironie, en faisant la rencontre du futur mari idéal, en apparence prêt-à-marier, un avocat aisé qui ne voudra en fin de compte pas s’engager.
Rohmer fait du Mans une ville quasi fantomatique, ville de rêve, sans saison, suspendue, où les ruelles pavées heurtent la vaste plaine, où l’antiquité se mêle au moderne, de par l’architecture de la ville, évidemment, mais aussi au travers de la vision de ces deux amies, l’une captant maladroitement le désir d’un mariage social tandis que l’autre prône le mariage libre, l’une commercialisant l’art tandis que l’autre s’en remet à une créativité aveugle.
Malgré leur apparence légère, les films de Rohmer sont souvent graves et cruels. Surtout ces comédies et proverbes, bien qu’elles s’achèvent sur une note optimiste : une lettre postée, un miracle dans le ciel, un regard échangé. Mais le titre ici est encore menteur. Enfin disons qu’il caractérise une obsession qui se révèle très loin de la réalité. Il n’y aura en effet pas plus de beau mariage qu’il n’y avait de femme de l’aviateur. A part ça, Béatrice Romand est à baffer. Une égérie Rohmérienne parfaite, en somme.
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