Archives pour mars 2014



Nymph()maniac Vol2 – Lars Von Trier – 2014

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La solitude des nombres premiers.

   8.0   Cette deuxième partie est la continuité de la première, le dernier plan de l’une appelle le premier de l’autre. La sensation d’insensibilité celle du rejet de soi. Le film n’aura alors de cesse d’être une porte d’entrée sur une nouvelle conception du monde. Une invitation à rendre beau l’absurdité, l’inconfort et le vice. Cette partie aurait pu être totalement dans la continuité, à savoir une nouvelle succession de chapitres bien dessinés, construction dorénavant attendue, ou seulement un lent entonnoir vers un final bouclant probablement la scène d’introduction, révélant ce qui précède l’avant rencontre avec Seligman.

     Mais Von Trier en fait un film très différent du premier, à la fois tout en cohérence et en rupture, respirant autrement, davantage dans la mélancolie que dans la fulgurance. L’écriture parait alors encore plus imparfaite, moins maitrisée. Après avoir lancé sept chapitres au moyen de son hôte et des objets qui garnissent sa pièce, Joe ne parvient plus à repartir, à enchainer sur une nouvelle parcelle de récit, un nouveau glissement, il lui faudra ouvrir l’œil sur l’invisible, ce qui se cache derrière une trace, l’image d’un pistolet dans une tâche de café, provenant d’une tasse qu’elle avait précédemment, de colère, balancée contre le mur. Cette double parenthèse du titre, refermée sur elle-même, cette vulve schématisée, d’un autre angle, semble s’apparente à l’œil. Le sens se multiplie suivant où le regard se pose.

     Le premier volet se fermait sur un coup de théâtre terrible. Le second s’ouvre sur sa déclinaison puis sur un autre coup de théâtre, puisque l’on apprend la virginité de Seligman. Ce confident, cette oreille réceptacle, qui écoute sans juger, qui digresse contre vents et marées, n’est pas le maniaque que l’on attendait, ni ce singe savant ou théoricien ambigu, c’est un désespéré du sexe, quelqu’un qui ne peut concevoir la sexualité de Joe uniquement par le prisme de la parabole et de la métaphore puisqu’il n’en connait pas la transcendance.

     La mise en exergue cinématographique entre le cinéaste, le spectateur, Joe et Seligman est telle qu’elle impose un terrain de jeu où se démêlent des antipodes ce qui du même coup n’offre jamais de regard univoque sur chaque situation. A ce titre, la construction est essentielle pour prendre en compte les cheminements. D’abord clairement chapitrée, la narration finit par se lasser d’elle-même (calée en un sens sur les sentiments de sa narratrice) et tout s’éclate au point que Joe en oublie in fine l’explication du sous-titre de son sixième chapitre, le canard silencieux, ce que ne manquera pas de lui rappeler son interlocuteur loquace. Ou plus tard lors de l’évocation de ce nœud de Prusik. C’était votre digression la plus faible, se moque Joe. Comme si Von Trier se moquait lui-même du schéma narratif qu’il avait mis en place. Qu’il l’utilisait comme Lynch l’utilise un peu dans Mulholland drive, à savoir en faisant progresser le récit, le rêve et les concessions, par l’objet, l’amalgame et non en tant qu’entité scénaristique conventionnellement définie.

     Rien n’est préétabli, tout est dérèglement. Le père de Joe en quête de son arbre (soul tree) l’avait finalement décelé dans une forêt en plein hiver, quand une fois nus on entrevoit leur âme, lui avait-il dit. Il avait trouvé un grand chêne, lui l’amoureux des frênes. Chacun le trouve un jour, disait-t-il. Et Joe finira par débusquer le sien tout en haut d’une colline. Alors qu’elle venait y trouver la paix intérieure, elle n’y avait trouvé qu’angoisse. Une voix de nulle part l’avait alors guidé en haut de ce chemin de pierre, aimantant son regard vers cet arbre solitaire affrontant des vents terribles. Un arbre à son image, marqué par le sceau de la souffrance.

     Le cinéma du danois a souvent évoqué, de près ou de loin, celui du russe Andreï Tarkovski, d’une esthétique très slave dans sa trilogie européenne ou encore d’un ultime plan métaphysique dans Breaking the waves à l’hommage direct dans Antichrist. Mais jamais il n’aura été si loin autant que prépondérant dans chacun des chapitres de Nymph()maniac. Loin dans sa construction, sa plastique, sa dimension. Mais clairement affiché au détour d’une reproduction de la nativité, d’un arbre mort ou d’un romantisme élégiaque. Le septième chapitre porte même le nom du quatrième long métrage du cinéaste russe.

     Antichrist, Mélancholia et Nymph()maniac forment une souche complexe où chaque entité répond à l’autre, dans une structure en fleur où toute pétale à néanmoins son individualité. Triptyque du désespoir, sur la solitude et la culpabilité du monde. Von trier a dépassé cette accession à la foi (Breaking the waves, Dancer in the dark) et sa destruction (Dogville, Manderlay) ne lui reste alors plus que sa facette mélancolique, la souffrance inexorable d’un solitaire et s’il faut admettre que ces quatre heures n’échappent pas à certaines lourdeurs, l’ampleur générale force tant le respect qu’il est difficile de s’arrêter sur ces quelques couacs sans doute trop dans l’obnubilation du politiquement incorrect pour retrouver l’inspiration parfaite qui nourrissait ce chef d’œuvre qu’est Melancholia.

     Ce politiquement correct est au centre de son récit, au point de s’en servir en revirement d’abord lorsque Joe semble le refuser victorieusement, dans le groupe d’entraide où elle accepte sa nymphomanie comme un don ou du moins un élément constructif important de son identité. Avant de finalement en prendre le chemin en faisant vœu d’abstinence, espérant trouver la paix intérieure qu’elle croit déceler en Seligman, qui ne dit jamais ne pas en souffrir. Tout se brise dans la dernière scène. Quand l’innocent, queue à la main, tente d’en abuser. On ne sait pas si Joe aura éveillé sa sexualité ou bien s’il la masquait à l’instar du pédophile dans l’un des récits contés par Joe. Toujours est-il que Joe affirme alors son pouvoir en refusant de palier à son désir. C’est pourtant sa patiente écoute et ses digressions qui lui auront permis cette expiation de soi douloureuse et d’imposer sa condition de femme. Le film pose d’ailleurs cette question essentielle : Aurions-nous vu le même film et ressenti les mêmes émotions si Joe avait été un homme ? Nymph()maniac devient alors un parfait manifeste féministe, ce que Von Trier a toujours recherché en fin de compte mais qui maladroitement, régulièrement, se transformait en punition, en obstination pour le martyr.

We need to talk about Kevin – Lynne Ramsay – 2011

1797526_10152005464442106_1705459422_n71 fragments dégoulinants.

     2.5   Voilà un bon gros chewing-gum. C’est comme si Inarritu avait soudainement découvert le cinéma d’Haneke et qu’il s’en appropriait sa froideur. Très mauvais mariage. J’aurais peut-être aimé ça il y a dix ans mais là, dès le premier plan, j’ai compris que j’allais endurer. Le film raconte l’éducation d’un enfant maléfique, les rapports pourris et déréglés qu’entretiennent une mère et son fils, sur une vingtaine d’année. Rapports que celui-ci n’a cessé de rendre malsain et ce dès son plus jeune âge – pleurant ad nauseam dans son landau jusqu’à ce que sa mère trouve enfin la paix aux côtés d’un marteau-piqueur. Le récit est éclaté. Si bien que l’on entrevoit à maintes reprises – et progressivement – une issue cauchemardesque se glisser entre deux instants plus lointains, avec souvent aussi des images du présent – car le film pourrait être vu comme les souvenirs d’une mère qui tente de comprendre – généralement de lynchage, ce qui suppose un crime atroce. Le film hésite. Entre un truc clinique hyper choquant et une sorte de film d’horreur maniériste. Entre Elephant et La malédiction. Du coup, il y a un amour du choc, une complaisance dégueulasse là-dedans à embellir cette violence sourde. C’est une grosse boursouflure toute rouge fluo, qui impressionne néanmoins dans certaines de ces évocations utilisées à l’excès à l’image de ce bruit continu d’arrosage automatique ou cette thématique du dégoût alimentaire. Mais tout est disproportionné et mal écrit (le rôle ridicule de John C.Reilly). Bref c’est de la grosse branlette. L’atmosphère m’a quelque peu rappelé Parc d’Arnaud Des Pallières, qui était infiniment plus intéressant.

The raid – Gareth Evans – 2012

1798120_10151995610857106_1564072031_nA good day to die hard.

     5.5   C’est un film d’action efficace et virtuose, sec et tranchant, impossible de dire le contraire. Rien n’est laissé au hasard, les coups ne sont pas retenus, aucune invraisemblance ne vient parasiter l’ensemble. Le film ne lésine donc sur rien ni ne fait de compromis, à l’image de cette scène de combat impressionnante, interminable, à mains nues, filant sans sourciller vers une mise à mort inattendue. Malgré tout le bien que j’en pense – un bien relatif évidemment, ça reste du film de gros bourrin – je ne peux m’empêcher de penser que le film aurait gagné en stabilité et homogénéité s’il avait évité la profusion d’effets de style. A convoquer les références diverses, couvrant pêle-mêle les cinémas de Woo, McTiernan ou encore Carpenter, la multiplicité formelle de The raid ne lui offre pas d’identité ni d’atmosphère propre qu’il méritait, sinon une impressionnante cinématique certes, mais peu stimulante. Exit l’humour – même noire, apparemment ce n’est pas son truc – et les grandes explications de scénario – Bonne initiative ! – le film se perd à vouloir recréer une sorte d’opéra macabre, à la Johnnie To (Exilé). Bullet time, caméra tremblante, plan séquence en panoramique, saccades, jeu d’ombres, précision chirurgicale, ralentis en tout genre, le film est trop dans un appétit de stylisation à outrance, trop indigeste. Plus de concision et de simplicité n’aurait pas été du luxe. Je rêvais d’un pur objet de mise en scène, qui aurait investi les lieux dans ses moindres recoins, vagabondé entre pièces, couloirs et escaliers avec nettement plus de vertige. Quitte à jouer la carte du jeu vidéo, y aller jusqu’au bout, en faisant rimer virtuosité et confinement. Il reste donc un honnête film d’action (L’auteur voulait faire un gros film popcorn et retrouver la grâce d’actionner d’un John Woo) et surtout un film de combat, manifeste du silat, art martial indonésien dont Gareth Evans s’est littéralement passionné. De ce point de vue, il faut reconnaître que le défi est plutôt réussi.

2 automnes, 3 hivers – Sébastien Betbeder – 2013

1898227_10151951844392106_1727892872_nLes vents contraires.    

   8.5   Dans Je suis une ville endormie, le précédent film du cinéaste, version courte qui deviendra ensuite Les nuits avec Théodore, on entrevoyait déjà ce mariage insensé entre différentes formes cinématographiques, en apparence difficilement complémentaires. Une cohabitation délicate et lumineuse qui aurait pu tout aussi bien être lourde et paresseuse. Ce terme de cohabitation caractérise bien le cinéma de Betbeder tant il ne cesse de régurgiter toutes ses références personnelles possibles afin de les malaxer toutes ensembles festoiement. Car il s’agit bien d’une grande fête. Son film est bondé de références en tout genre, très proche des miennes, ce qui lui confère un statut particulier à mes yeux. Références non feintes, toujours pleinement employées et si le film ressemble à beaucoup c’est aussi pour la multiplicité de ces références, aussi bien Trufaldiennes que proche du récit de vacances.

     On y écoute Fleet Foxes, on y évoque Grauzone, on s’évade sur du Delpech. On assimile les rendez-vous aux cinémas d’Apatow et Green. On raconte l’expo Munch ou bien La salamandre d’Alain Tanner dont le cinéaste nous gratifie d’un extrait d’une trentaine de secondes dans son film. C’est comme si les personnages avançaient via leurs références, se souvenaient par l’intermédiaire de leurs références, celles du cinéaste évidemment qu’il intègre à ses personnages ce qui est suffisamment rare et précieux. Chez Guillaume Canet (Les petits mouchoirs) on sortait Coup de tête d’Annaud pour séduire, faire le beau, là on sent une vraie sincérité d’usage.

     Si le film est souvent amer, cette amertume est systématiquement contrebalancée par un rire franc. A l’image de ce cousin et ses aveux de tentatives de suicide. C’est à la fois drôle et sordide. Plus tôt, il s’agit de détourner par le rire une séquence d’Avc dans un buisson. En un sens ça m’évoque beaucoup le film de Valérie Donzelli, La guerre est déclarée, qui pratiquait clairement ce procédé de désamorçage dramatique. Inutile de préciser que ce registre sied idéalement à Vincent Macaigne, acteur caméléon, qui livre une fois de plus une prestation remarquable. C’est le film d’un cinéaste qui veut raconter son histoire au moyen d’une multitude de possibilités, de tout ce qui lui est offert, sans se compromettre au choix exclusif, sans jamais se soucier d’un éventuel rejet ni des conventions du genre, que l’on pourrait réduire à du comique dépressif, à du Woody Allen d’aujourd’hui, qui aurait digérer Apatow.

     Le film use de procédés, une qualité qui a ses limites : construction organisée en deux parties distinctes contenant chacune une quinzaine de mini chapitres, monologues face caméra, voix off fusionnant avec la voix de la prise directe (rappelant le procédé utilisé par Sophie Letourneur dans Le marin masqué). Ce n’est paradoxalement pas là qu’il échoue. Le film de Valérie Donzelli était parcouru d’une dynamique comme cela, un peu folle, non identifiable mais homogène, ce qui manque sans doute un peu à 2 automnes 3 hivers dont on a l’impression de parcourir les pastilles d’un book of life, avec des fulgurances écrites certes mais peu de vraies envolées.

     Le film séduit moins lorsqu’il est dans la suspension et la rupture de cette suspension, envolées poétiques ou dérives polaresques comme on a pu récemment le voir dans le très beau Tonnerre, de Guillaume Brac. Il est meilleur ailleurs : Dans la prise en compte de l’élément secondaire pour soudainement le faire devenir central. La sœur de Benjamin par exemple, plongée en plein dilemme existentiel, prise dans une secte. Ou encore le cousin suicidaire de sa petite amie. Ils ne pourraient être que des marionnettes autour d’un quatuor mais le cinéaste leur offre un temps une place centrale avant d’embrayer ailleurs, sur un nouveau chapitre. C’est un procédé quelque peu bordélique mais comme le film n’en joue pas et a cette sincérité d’aimer énormément ses personnages, de s’y intéresser chaque fois en profondeur, il n’y a pas de lassitude. Il se passe à mes yeux tout le contraire de ce que je reçois dans le dernier film de Wes Anderson (The Grand Budapest Hotel) dont la froideur générale n’a d’égal justement – tout est lié – que le théâtre miniature désaffecté qu’il nous inflige.

     C’est son informité qui fait sa force, il ne peut se dérégler puisqu’il l’est déjà, déréglé, au pire seule son intensité en pâtit, légitime tant il tente de bondir d’un état à un autre, d’une drôlerie incontestable à une tristesse infinie. Il faut à ce titre signaler qu’un amour éclot à la suite d’une agression et d’un couteau en plein ventre, que cette même idylle s’éteint à l’arrivée d’une grossesse, pour repartir post avortement. Le film est constamment dans une forme d’opposition aux standards des comédies sentimentales.

     Reste une petite bulle au charme indéniable, tantôt désopilante, tantôt grave, tantôt gênante aussi il faut bien se l’avouer. Mais la vivacité dont fait preuve Sébastien Betbeder pour nous conter son histoire sur deux ans et demi, le temps de deux automnes et de trois hivers, entre une rencontre impromptue lors d’une course à pied inhabituelle jusqu’à cette très belle fin à la fois sombre et réconciliatrice est plutôt un enchantement. Il faut surtout souligner la magie de son écriture, tant chaque chapitre ou presque emporte son bout de gras de part la qualité du texte, monologues et dialogues, ainsi que dans certaines situations ô combien savoureuses.

09/02/18 : C’était ma deuxième fois et c’est encore mieux que la première. Je confirme, j’adore ce film. Sans doute le plus inventif de Sébastien Betbeder. Drôle autant qu’il est triste. Pétri de références, les citant à foison, sans jamais qu’il en perde de sa personnalité. Probablement le plus beau rôle de Vincent Macaigne. Et puis comment ne pas tomber amoureux de Maud Wyler ?

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silencio


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