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Archives pour 27 juin, 2014

Zodiac – David Fincher – 2007

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La solitude du génie.

   9.0   A l’instar du JFK de Stone, Zodiac fait partie de ces œuvres qu’il faudrait revoir régulièrement, mettons tous les deux ans, pour constater qu’elle est, au-delà du renouvellement qu’elle impose au genre et la richesse de son récit, un miroir de nos propres sensibilités. Revoir Zodiac c’est revoir chaque fois un film différent. C’est se focaliser sur des éléments qui passaient au second plan la fois précédente. Choisir le mouvement ou la parole ou la reconstitution ou la fausse piste ou l’aliénation ou l’image ou le rythme. Il faudrait écrire des lignes sur chacune de ces composantes. Et voir à quel point c’est un film inépuisable.

     La revoyure de Zodiac arrive à poing nommé dans mon envie de polar, enquête et buddy movie en tout genre juste après avoir revu un autre Fincher, Seven, mais surtout après l’électrochoc que constituèrent les huit épisodes de True Detective. Une belle histoire de polars parfaits, tout ça, en fin de compte. De trucs déments que l’on continuera de voir et de revoir indéfiniment. Qui traverseront j’en suis sûr le temps avec élégance.

     J’ai d’abord reçu – la toute première fois – Zodiac en tant que monstre de documentation méticuleuse. Cette richesse m’avait impressionné mais aussi tenu à l’écart. C’est sa dimension aliénataire qui m’avait terrassé la deuxième fois. Ou l’impression de voir des hommes tomber devant la fascination éprouvée pour ce tueur aux lettres et aux symboles. Tomber physiquement, lamentablement, comme c’est le cas du personnage campé par Robert Downey Jr., qui sombre dans l’alcool et la folie. Ou tomber à petit feu, mentalement, se faire engloutir pour le personnage joué par Jack Gyllenhaal.

     Aujourd’hui c’est l’obsession de Fincher pour mettre en scène la parole que je trouve hallucinant. Rien d’étonnant puisque je redécouvre son œuvre et l’appréhende entièrement de ce point de vue fondamental là. Ou comment ici tenir un film de près de trois heures sans jamais ou presque cesser le dialogue. Tout en restant limpide et passionnant.

     C’est en fait un film d’une grande noirceur mais il est néanmoins habité d’une certaine humeur joviale par instants, arborant çà et là quelques saillies comiques, mais il ne donne pas le temps de rire ni parfois de comprendre qu’il était drôle ou détaché, tout se succédant et se superposant à une vitesse effrénée, indécente. C’est comme les fausses pistes qui le construisent, utilisées pour nous donner l’impression d’être parfois sur le bon fil avant de le détruire plus tard d’un coup de hache. L’une des pistes finales en est l’exemple le plus représentatif, puisqu’elle couvre une majeure partie de l’enquête parallèle de Graysmith et est évincée sans cérémonie. Le film ose cela, sans se défiler, de bâtir du solide et tout anéantir dans une cave – une séquence particulièrement éprouvante, par ailleurs.

     Il y a peu de cinéastes capables de faire trois chefs d’œuvre en l’espace de cinq ans. Fincher fait dorénavant partie de ceux-là. C’est sa trilogie de l’incommunicabilité à lui. Même s’il fait ça depuis le début on sent dans ces trois films le besoin d’en faire une thématique à part entière. Robert Graysmith, Mark Zuckerberg, Lisbeth Salander. Trois personnages isolés aux similitudes confondantes. Véritables autistes et génies passionnés, en décalage total d’avec un monde qui les rejette, dans lequel ils n’ont en tout cas pas la place qu’ils souhaitent acquérir.

     Le film fascine dans son processus de dédoublement et d’effacement, comme s’il voulait aligner sa respiration sur les conséquences de l’enquête. Perdre ses enquêteurs autant que perdre son spectateur. Il est à ce titre curieux de voir des personnages disparaître soudainement, comme Paul Avery qui noie son échec dans l’alcool, sur un vieux rafiot épave, hors du monde. Il pourrait être celui qui relance l’enquête, un moment donné, on se dit que c’est un personnage qui sert de relais, mais pas du tout. Une fois évincé, il ne servira vraiment plus à rien. Pas aux recherches de Graysmith tout du moins. Chez les flics c’est la même chose, ou presque. Si l’un d’eux disparaît à mi film ce n’est pas non plus pour nous orienter vers un banal duo Flic/journaliste que l’on attend (On attend impatiemment la vraie rencontre entre Graysmith/Gillenhaal et Toschi/Ruffalo) mais il n’aura qu’à peine lieu, maquillé. Quand on les sent se rapprocher David Toschi finit par se retirer de l’enquête. Toutes les attentes sont systématiquement déjouées. Ce ne sera plus qu’un duo à distance, téléphonique, codé, sans aucun affect. Le film est d’ailleurs très déceptif dans ses conclusions, au contraire des Fincher d’antan (Le twist de Fight club en est la plus fidèle illustration).

     Le film impose un rythme et une tension hors du commun durant 2h40, et tout cela par le dialogue, généralement. Et puis il y a quelques scènes extérieures, d’une force rare. Celle du lac, avec le couple ligoté puis massacré au couteau. Scène impressionnante. Celle du taxi, en plein carrefour, de nuit, avec la caméra qui remonte peu à peu, venant capter l’appel de détresse de personnes âgées en train de voir exactement ce que l’on est en train de voir. Une autre scène en voiture, avec un bébé sur la banquette arrière cette fois. Et il y a les vingt dernières minutes du film que je trouve absolument extraordinaires. C’est la dynamique que Fincher a réussi à insuffler (par la musique, les mentions géographiques et temporelles, le mouvement permanent de ses personnages) qui est passionnante. On ne s’ennuie pas une seule seconde et pourtant on en comprend pas toujours tout tant ça va vite.

     Les trois derniers films de David Fincher pourraient donc se décliner selon une trilogie, celle de la solitude, irrémédiable. Trois grands films sur l’autisme. Avec en son sein, un personnage génie au centre qui réussit en s’alliant à un tiers avant de sombrer dans sa solitude. La réussite a son revers. L’issue amoureuse pointe chaque fois mais se fait échec inéluctable chaque fois davantage. Graysmith délaisse sa famille mais les retrouvera dans le carton final, sans célébration. Zuckerberg se fait jeter par sa petite amie d’entrée de film et attend un clic d’acceptation à la fin. Lisbeth s’amourache de son binôme provisoire, mais le découvrant aux bras d’une autre lors de l’épilogue, s’engouffrera seule sur sa moto, dans la pénombre.

Seven (Se7en) – David Fincher – 1996

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Des solitudes croisées.

   8.5   A l’époque, le cinéma de Fincher était un peu contaminé par cet effet de mode qui nourrissait tous les petits thrillers 90’s sophistiqués, dans sa construction, sa dynamique et son goût pour le twist. Il y insufflait pourtant un peu de sa personnalité. Seven reste un excellent polar (Quand on dira des derniers Fincher qu’ils sont de grands films, tout court). Il y avait là quelque chose de différent. Rien de révolutionnaire ni transcendant, mais c’était au-dessus du lot. Car au-delà de cette transparence imposée par le genre, le cinéaste a quelques grandes idées qui marquent durablement. Qui ne font pas adaptation de bouquin, ce qu’il tend néanmoins à être sans sa globalité (or, plus du tout lorsqu’il adapte le best-seller suédois). Tout d’abord Seven n’échappe pas à la règle Fincherienne du film monochrome, quasi noir et blanc. C’est sombre, pluvieux, cloitré et crade. La subtilité de son cinéma n’est pas encore de mise mais l’ambiance est déjà forte.

     Naviguant au gré des cadavres retrouvés, pour la plupart en décrépitude, le film est une succession de séquences fermées, où l’odeur pestilentielle transpire de l’image, cumulant pour les plus marquants : un obèse dans son vomi de spaghetti, un dealer dans un corps d’escarres, une prostituée mutilée de l’intérieur. Saw n’a vraiment rien inventé. Dans la succession, la répétition, le film est fort, sans concessions. Il est plus conventionnel lorsqu’il tente de construire du scénario. A l’image de ce flic au seuil de la retraite, vieux briscard dont c’est la dernière affaire, qui a tout affronté excepté ce qu’il s’apprête à voir. C’est du roman, du chouette polar certes, mais cinématographiquement c’est un peu engoncé, ça empêche le film d’être une expérience à part entière comme le fut début 2014 la série anthologique True détective.

     Il y a déjà cette attirance pour le buddy movie, grossièrement parlant. Certes, détourné. Comme ce sera le cas aussi dans Zodiac. Tellement coupés du monde que l’un rythme son sommeil d’un métronome sur sa table de chevet, l’autre semble vivre dans un souterrain, soulevant sa tasse de café lorsque le métro s’en mêle. C’est une affaire d’unions lointaines. Celle de Mills et Somerset n’existe qu’une seule semaine, pour John Doe, uniquement pour lui, ce tueur sans nom. Quant à la femme de Mills, pétrie par les doutes, elle lui cache provisoirement qu’elle est enceinte, tout en se confiant rapidement au collègue de son homme. La fin à ce titre n’en est que plus tragique. Mais là encore c’est du roman. Du twist.

     Seven est un film sans fenêtres. Où s’il en est sans horizons. La fin seulement, étrangement lumineuse, mais infiniment désertique, est cadrée et bouchée par les câbles et les pylônes d’une ligne à haute tension. Les rares issues sont systématiquement abolies. Le paradoxe qui habite le film est celui qui hantera toute sa filmographie, avec plus ou moins de subtilité : maîtriser les coutures de son sujet tout en le décousant de l’intérieur. Seven est en somme la naissance de ce procédé tant il ne semble d’apparence pas se démarquer de cette masse. C’est un cinéma maniériste qui se cherche. Une quête à la fois fascinante et maladroite. Fascinante parce que maladroite. On ne savait pas encore si Fincher serait davantage attiré par les gimmicks et les pirouettes ou par les formes et les ambiances.

     Le 7 du titre original remplace le V comme la double parenthèse fermée s’offrait le scalp du O dans Nymph()maniac. Mais le 7 ici ne sépare rien sinon deux flics antipodiques paumés. Dérèglement jusqu’aux génériques, scarifié pour l’un sous les bruits de Nine Inch Nails, se déroulant à l’envers (de haut en bas) pour celui de fin. Le sept est partout. Les sept péchés, les sept jours pré-retraite de Somerset. Et les indices d’un meurtre à un autre s’agglutinent. C’est du gadget. C’est joli, ça brille, ça impressionne, c’est adolescent. Et puis il y a cette succession de tableaux macabres. Le métro. La pluie. Ces lignes à haute tension. Nine Inch Nails, encore, déjà. Mais supplanté par Howard Shore. Tout un symbole. Film à défaut mais brillant exercice de mise en place d’un cinéma bientôt hallucinant et infiniment plus passionnant.


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