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Archives pour 28 juin, 2014

Deux jours, une nuit – Luc & Jean-Pierre Dardenne – 2014

02. Deux jours, une nuit - Luc & Jean-Pierre Dardenne - 2014

De beaux lendemains.

   10.0   C’est très étrange de voir Deux jours, une nuit juste après Le rayon vert de Rohmer. Il y a des similitudes troublantes entre les deux films. Dans leur capacité à rester au crochet de leur héroïne, vaille que vaille, qui s’engage dans un combat face à son rejet du monde. Quête aboutie au dépend d’un final décentré, un peu miraculeux. Croire aux signes d’un côté, croire au combat de l’autre. Parier sur un non salutaire pour obtenir le oui d’une satisfaction entièrement personnelle, fondamentale parce que ludique et éphémère. La mort elle-même est contournée ici et de la plus belle des manières.

     Alors bien entendu, le film semble d’abord être plutôt un remake transposé de Douze hommes en colère, où l’on aurait remplacé le tribunal par l’entreprise. Mais le film s’en éloigne déjà formellement et surtout ontologiquement en n’incluant pas ici de tierce personne à défendre. Environnement Dardennien oblige, le film est entièrement perçu du point de vue de Sandra. Aucun contrechamp. A tel point que nous ne verrons jamais ses interlocuteurs (téléphone, interphone) si elle-même ne les voit pas.

     Comme chez Rohmer, le personnage est au bord de la rupture. Delphine fondait souvent en larmes. Mais rien n’en l’empêchait, au contraire, c’est une forme d’appel à l’aide bien qu’elle ne l’acceptait jamais. L’appel à l’aide de Sandra doit lui se faire au détriment des larmes puisqu’elle ne vient pas chercher de la pitié mais de la confiance, une équité. Obligatoirement. Elle y tient. « Surtout ne pleure pas » sont presque les premiers mots qu’elle prononce à l’écran. La tristesse de Delphine fait écho à la souffrance de Sandra dans la mesure où elle occasionne une rupture nette dans le visage d’abord, une paralysie totale ensuite. Delphine est incapable de s’arrêter de pleurer. Sandra étouffe et se retrouve dans l’incapacité de sortir un mot. Quelle idée de cinéma magnifique, dans un film en permanence dans l’urgence, la course, l’angoisse de la suite. De voir cette femme vider les bouteilles d’eau en se shootant continuellement au xanax, pour ne pas flancher.

     La géographie est indomptable, comme elle l’était dans Le rayon vert. Pleine de tumulte. Avec ces déplacements en étoile, pareil un chat qui découvrirait un nouveau territoire. Aller ici, là-bas, puis revenir au point de départ et répéter ça jusqu’à trouver un équilibre – Dans chaque cas c’est voir clair dans ses sentiments. Deux jours, une nuit est donc une succession de rencontres (le Rohmer aussi) plus ou moins conséquentes, ponctuées par une dernière, qui ouvre définitivement vers un ailleurs. C’est ici l’ultime face à face avec son patron qui permet à Sandra de contenir sa volonté inextinguible en la transformant en geste humaniste.

     Le film a cette puissante faculté à nous imprégner de doutes et d’inquiétude quant à chaque nouvelle rencontre opérée par la jeune femme. Répétant inlassablement le procédé la montrant en train de sonner à une porte, expliquer le pourquoi de sa venue et espérer un contact, le film crée une passerelle supplémentaire dans l’identification. On ne sait jamais, comme Sandra, ce que l’on trouvera derrière ces portes. Un couple, une personne seule, des enfants, parfois les trois, parfois personne. On y voit cependant souvent des enfants. L’un d’eux qui répond à la place de sa lâche de mère. Un bébé endormi dans les bras de sa maman. Une jeune fille qui nous guide vers un terrain de football, une autre vers une laverie. Beaucoup d’enfants. Ils ne peuvent être oublié tant ils sont le centre de tout, des remparts à l’égoïsme ou à la bonté, l’élément qui ne fait rien lâcher, quel que soit ce qu’on ne veut pas lâcher. Même absent ils sont là, comme ces parents quinquagénaires qui avouent devoir faire face aux dépenses couvrant les études de leur fille. Ailleurs c’est pour un enfant qui est sur le point d’arriver. Il faut accepter que ce soit difficile pour tout le monde, que la plupart compte sur une prime pour sortir la tête de l’étau. Le refus est plus délicat à avaler lorsqu’il est d’origine matérielle, pour une terrasse ici, un salon là. Mais le film ne rejette jamais la cause sur les employés, c’est un portrait subtil, on ne sait jamais vraiment qui peut revenir sur ses positions puisqu’on ne sait pas ce qu’il se passe hors-champ. Bouleversant moment sur le terrain de football lorsque l’un de ses collègues fonds en larme avouant qu’il n’a pas dormi de la nuit se détestant d’avoir voté pour garder sa prime. Le film est moins tendre avec le patron et ses sbires (un chef de chantier récalcitrant) allant jusqu’à cette entrevue finale subtilement dégueulasse, de bêtise et condescendance.

     Bon, ça ne me tient pas plus que ça à cœur mais (étant donné que c’était ma grosse crainte) il faut un peu parler de Marion Cotillard et dire combien elle est excellente, et dire combien, enfin, un auteur a su la filmer. Peut-être qu’il fallait être deux, qui sait. Elle est prodigieuse, vraiment et doublement. Pourquoi ? C’est-à-dire qu’on est habitué chez les Dardenne à ce que les interprétations soient fortes, habitées, mais c’était jusqu’ici réussi parce qu’ils filmaient des interprètes (alors) inconnus (qu’ils allaient révéler : Gourmet, Dequenne, Rénier, François) avec lesquels il est finalement plus facile de composer. La difficulté dorénavant est d’y injecter une star et d’en faire quelqu’un de lambda. Tout l’inverse en somme. Oublier qu’on la connaît et croisé ailleurs, singeant Piaf ou marmonnant face à Léo ou faire la neuneu chez Canet. Une star qui se fondrait dans l’univers épuré de leur cinéma. Pas si simple comme défi. Disons que je ne vois pas Cotillard ici. On avait déjà eu quelques prémisses dans le dernier James Gray mais rien à voir avec Deux jours, une nuit. Je vois Sandra.  Autant que je voyais Lorna ou Rosetta auparavant. Et je ne vois pas cela comme de la performance, je trouve que ça crée plutôt une passerelle cinématographique nouvelle dans leur cinéma, on évite le forceps et ce n’est jamais pour faire tape à l’œil. C’est plus honnête peut-être, aussi. Il y avait déjà une star dans Le gamin au vélo (c’était Cécile de France) mais ce n’était pas un rôle central, important oui, mais pas central, enfin elle n’était pas seule tout du moins. Le procédé de starisation de leur cinéma est poussé à l’extrême cette fois puisque le rôle est on ne peut plus central. De chaque plan.

     On peut d’ailleurs dire que tous les personnages du film sont filmés à la même hauteur, avec la même distance, justesse. A ce titre, Fabrizio Rongione, que l’on connait dans l’excellente série télévisée Un village français, campe subtilement un mari magnifique, bloc de béton armé, entièrement dévoué, plein de bon sens et d’optimisme. La quête de Sandra aboutit en grosse partie grâce à lui. Les séquences qu’ils ont en commun tous les deux sont les plus belles du film, à tel point que je vois avant tout comme un film d’union, le récit d’un amour insubmersible paré à tout affronter et cela même s’ils en doutent. On pourrait presque dire que c’est un film de remariage. On n’a pas fait l’amour depuis quatre mois, s’inquiète-t-elle. Je sais, mais je suis certain qu’on le refera, lui répond-il. Au lieu de terminer par « On s’est bien battu » le film aurait pu finir sur un « J’ai envie de toi » (façon Eyes Wide Shut) tant il semble être une victoire conjugale avant tout. Je me souviendrai longtemps de la pause glace, avec cet oiseau qui chante. Mais aussi de Petula Clark dans la voiture.

     C’est un film puissant. J’en suis sorti lessivé, titubant, je n’ai même pas bien dormi cette nuit-là. En fait ce sont les déplacements qui sont éreintants, on les voit pourtant peu ces déplacements, mais on les ressent puissance dix, tout est chiffré, répété. C’est comme un week-end de défi insurmontable, faces à faces répétés dans l’espoir de finir par faire pencher la balance du bon côté. Tout est abnégation, entrechocs, deux jours et une nuit (le titre aussi marque cette urgence, cette délimitation temporelle) exténuantes autant que précieuses.

Le rayon vert – Eric Rohmer – 1986

01.-le-rayon-vert-eric-rohmer-1986-1024x727Le signe du capricorne.

   10.0  On pourrait voir Le rayon vert comme le versant estival et aéré des Nuits de la pleine lune. Ce n’est plus au gré de ses pied-à-terre que le personnage tente d’évoluer mais par le biais de ses destinations de vacances. Le permanent d’un côté, l’éphémère de l’autre. Bien qu’en tout éphémère il y ait inéluctablement un peu de permanent. Louise quittait son architecte, Delphine trouvera son ébéniste. Louise souhaitait faire l’expérience de la solitude quitte à en souffrir. Delphine tente de combattre cette solitude qui l’angoisse malgré le fait que celle-ci soit son unique moyen d’épanouissement. Le groupe la terrifie ou bien il lui faut simplement un point d’ancrage. Cette amie qui l’abandonne au dernier moment (le film s’ouvre sur ce coup de fil d’annulation) installe cette inquiétude. Et lorsque Rosette, plus tard, l’invite à se joindre chez des amis, cela crée un malaise. Mais tout est nuancé, imperceptible. Elle paraît parfois s’amuser, avec les enfants notamment, mais elle ne supporte pas de s’ennuyer. Elle veut du fantasque mais pas trop. La jeune suédoise rencontrée à Biarritz sera son point de rupture. C’est un fantasme. Un miroir de ses angoisses. Elle réveille tout en Delphine et tout naturellement, rompt dans la foulée tout ce qu’elle a réveillé.

     On suit Delphine le temps de quelques semaines, un mois tout au plus, antre début juillet et début août. Paris, Cherbourg, Paris, La Plagne, Paris, Biarritz puis St Jean de Luz. C’est un beau personnage, tout en nuance et brusques états d’âme, dont la déprime supplante systématiquement l’extase. Portant un regard acerbe parfois, mais incapable de le mettre en mots (son refus de manger de la viande par exemple). C’est un personnage crée en opposition aux standards rohmériens, en fait. Qui affronte l’aisance de Béatrice Romand et la frivolité de Rosette. Delphine est dans une indécision maladive. Elle refuse la solitude, souhaite ne plus jamais partir seule en vacances. Elle l’avait déjà fait par le passé mais en avait trop souffert. Elle fuit pourtant toute rencontre, toute possibilité de s’épanouir hors de schémas dans lesquels elle n’a cessé de s’abandonner.

     Rohmer renoue pleinement avec ses films aux croyances, aux superstitions, 25 ans après Le signe du lion. Ici, les signes sont partout. Au détour de maintes discussions, au sujet des astres, des cartes, d’un livre de Jules Verne. On pourrait même dire que Le rayon vert est l’adaptation libre du roman éponyme de Jules Verne, narrant une histoire encadrée par la croyance et l’espérance de voir ce phénomène optique qui lorsqu’il nous apparait, dit-on, permet de voir clair en son cœur et en celui des autres. Delphine, elle, ira d’abord jusqu’à trouver des cartes à jouer, perdues nulle part, sur un trottoir ou entre deux rochers. Une dame de pique d’abord, un valet de cœur ensuite. Elle fait attention à chaque signe un peu trop encombrant comme cette couleur verte prédominante : « Je trouve une carte verte, à côté d’un poteau vert et j’étais habillé en vert ». Sans compter la couleur de cette affiche d’invitation à rejoindre un groupe de soutien spirituel. Verte, évidemment. Ou de la présence fugace de ce chat noir, signe parmi les signes.

     A l’instar du Signe du lion, le bonheur de l’un va se faire un peu au détriment de celui des autres. Pierre, apprenant à nouveau son héritage, véritable cette fois, délaissait soudainement son ami sans abri. Delphine, à sa manière, esquive la solitude de ce garçon à Biarritz qui semblait dans une détresse similaire à la sienne. Il y a souvent quelque chose de très cruel dans les vaudevilles rohmériens.

     Le rayon vert est donc résolument Rohmérien à de nombreux niveaux (jusqu’à l’utilisation chronologique, ces dates écrites à la main comme si on lisait un journal intime, proche formellement de ce qu’il utilisait dans Le genou de Claire) et pourtant il l’est moins là où l’on aurait tendance à cataloguer le cinéma de Rohmer. A savoir, dans l’utilisation verbale. Ce qui l’éloigne généralement clairement de Rozier en somme. Mais à rebours, Le rayon vert raconte sensiblement la même chose que ce que racontent les films de Rozier. L’aventure d’un été. L’éphémère, l’échappée. Mais surtout c’est dans l’utilisation de la parole que tout diffère ici. On a parfois cette sensation d’improvisation totale ce qui n’est jamais le cas habituellement. Enfin, on a parfois cette impression (avec Luchini, souvent) mais ce n’est jamais le cas, tout est méticuleusement écrit. Ici, au contraire, on a cette impression qu’afin que Marie Rivière campe Delphine à merveille il faille l’abandonner dans son propre jeu d’actrice, la laisser libre de choisir l’orientation et l’intonation du texte. C’est très déstabilisant. Pourtant le film, dans ses compositions ne laisse pas de place à l’imprévu. On sait que Rohmer attendit longtemps et à de nombreuses reprises le phénomène optique si convoité mais qu’il ne l’obtint jamais – Un léger effet spécial le fait exister à la toute fin. C’est la première fois et sans doute la seule fois poussée à ce point, que Rohmer utilisera l’improvisation. Les textes sont parfois écrit par Marie Rivière elle-même, tout en respectant un canevas bien précis. Tout est écrit et tout est surprise, à l’image de cette bretelle de débardeur ou des seins de Léna, la petite scandinave.

     Surtout, dans cette scène de jardin, où quatre amies discutent autour d’une table, il est évident de constater combien Delphine est enfermée dans un coin du cadre, sans aucune perspective puisqu’une serviette pendue sur un fil à linge ainsi que la grille d’une probable fenêtre de cabane bloquent la profondeur en son dos. A l’inverse, le personnage campé par Béatrice Romand (dont c’est l’unique apparition dans le film) est cadré dans un espace ouvert, lumineux, aéré, mouvant, avec un chemin de sortie derrière elle. Rohmer veut que sa Delphine soit systématiquement croquée par l’immensité. C’est une montagne infinie ici, un paysage portuaire là. Combattre les vagues déferlants sur la plage, se faire encercler par d’immenses arbres secoués par de violents vents. Une nature prestigieuse qui l’angoisse et dans laquelle elle ne parvient pas à exister. Cette campagne faite de longs chemins clos par des barrières. Chaque fois elle n’avance plus. Parfois elle fond en larmes. Il lui faut le test ultime pour enfin renaître. Affronter une autre immensité, plus prestigieuse encore car miraculeuse, éphémère. Il y aura là aussi des larmes. Mais surtout un sourire.


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