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Archives pour 11 septembre, 2014

Two cabins – James Benning – 2011

09.-two-cabins-james-benning-2011Life in the woods.

   6.0   Ecran noir. Two cabins. Ecran noir. Thoreau. Ecran noir. Premier plan : Un mur, une fenêtre, des arbres. On est dans une pièce de maison, une chambre peut-être, on ne distingue que cette fenêtre ouverte vers la forêt. Rien ne bouge, sinon quelques feuilles secouées par un vent discret. C’est un plan fixe de quinze minutes. La fenêtre entrouverte (que l’on croit d’abord entrebâillée mais que l’on finit par constater levée) permet de capter quelques sons de l’extérieur, souvent indistincts, hormis la caresse du vent et divers bruits d’insectes. Au beau milieu de ce plan, le passage d’un train, enfin il me semble. Un bruit de train, non loin probablement mais invisible. Où sommes-nous ? Qui est ce Thoreau ? Que raconte cette nouvelle installation du maître du cinema landscape art ? Oui, j’avais soudainement envie de l’appeler comme ça. Ce plan m’a beaucoup fait penser au troisième plan de Ruhr, avec les arbres et ce bruit récurrent d’avion.

     Quinze minutes plus tard, écran noir à nouveau. Kaczynski. Ecran noir. Second plan : Une autre fenêtre. Carrée cette fois. Ouverte sur le côté, sur un mur boisé. On est davantage dans une sorte de cabane désormais. Des arbres là encore utilisent toute l’ouverture offerte par cette fenêtre. Nous ne voyons que ça : un enchevêtrement de branches. Il n’y a même plus cette infime parcelle de ciel bleu qui pointait dans le précédent plan ni de fins rayons de soleil dont on pouvait aisément imaginer la transparence. C’était un plan ouvert. Celui-ci est fermé. Alors que pourtant il ne semble pas y avoir de grande différence au premier abord. C’est assez nouveau chez Benning : il n’y a dans ce deuxième plan aucune évolution remarquable, ni en terme de son, ni en terme de lumière. Encore moins dans l’image, absolument figée. Il y a le bruit des oiseaux, dehors, continu. Et celui du crépitement d’un feu, dedans, continu lui aussi.

     Il n’y a plus d’hors-champ hypothétique (le train) car il n’existe même plus. Il relève de notre simple imaginaire, plus cloitré, qui ouvrirait une porte que l’on n’entend pas, descendrait d’un arbre qui n’a pas de tronc. Pire, l’enchevêtrement des arbres procure cette fois la sensation que l’ouverture n’est qu’un leurre, un tableau, une image, peut-être. Comme si une illusion d’optique pouvait naître en la plongeant dans une temporalité étirée. Une hallucination, en quelque sorte. Quinze minutes plus tard, écran noir à nouveau. Filmed in the Sierra Nevada. Ecran noir. Sound recorded at Waldon Pond and Lincoln, Montana.

     Image et son n’ont donc rien en commun, réellement parlant. La prise semblait pourtant totale, à priori. Enfin, disons que Benning nous y avait habitué donc on me dupe facilement. Le cinéma de Benning bien que fascinant me laissait sur la touche avec ce drôle d’essai qui m’offrait des clés inutilisables sans brèves recherches. J’ai donc effectué ces quelques recherches. Il s’avère que Thoreau, de son prénom Henry-David, est un philosophe naturaliste américain du XIXe siècle connu pour avoir écrit Walden notamment. Et que Théodore Kaczynski n’est autre que le grand terroriste condamné à perpétuité depuis 1996. Ces deux hommes ont en commun de s’être retirés dans les bois pour construire leur rejet du monde, l’un en écrivant des livres, l’autre en construisant des bombes.

     Walden Pond c’est l’étang Walden, le lieu de repli de Thoreau. Lincoln celui de Kaczynski. Benning a en fait reconstruit des copies de leurs refuges dans sa propre propriété, distinguant leur habitacle (assez proche dans leur architecture) pouvant contenir deux cerveaux humains les plus extrêmes et ambigus possibles. Accompagnés de leur véritable prise de son. En somme, pas étonnant que le premier plan soit habité par le jour et l’éventualité d’un mouvement, le recours à la grâce quand le second se fige dans une heure angoissante, pas loin de la tombée de la nuit. Two cabins est le film qui accompagne une plus imposante exposition, un peu moins abstraite forcément. J’aimerais beaucoup en voir davantage, en lire davantage là-dessus (Benning en a écrit un bouquin, parait-il) même si je suis ravi d’avoir eu accès à ces trente minutes qui ont malgré tout besoin d’un peu de recul et d’une connaissance liée pour se comprendre complètement à leur juste valeur. J’admire la démarche mais l’effort intellectuel qui l’accompagne obligatoirement fait que je préfère ses films qui me laissent une entière liberté.

Small roads – James Benning – 2011

04.-small-roads-james-benning-2011En attendant le virage.

   7.0   Le procédé est sensiblement similaire à celui utilisé pour RR, l’asphalte des routes ayant remplacé les voies ferrées. Soit, filmer des portions routières, selon des points de vue variés, dans plusieurs Etats d’Amérique. La vraie grande différence c’est le passage. Le train systématiquement passait, débarquant dans le champ puis en disparaissait. Ou s’y arrêtait, parfois, mais il se produisait quoiqu’il en soit une entrée dans un champ vide de manière à bouleverser le champ de ce plan. Dans Small Roads pas forcément. Benning ne semble pas avoir filmé la succession certaine d’un passage mais son éventualité. Le véhicule peut donc, s’il entre dans la temporalité offerte par le plan, entrer en début ou en fin de champ. Il n’y a pas de règle de passage.

     Le champ ici a même cette totale liberté de se briser à sa guise, d’attendre l’entièreté du passage ou non, de s’étendre ou non. En somme, Benning s’intéresse cette fois moins à la somme de ces passages qu’aux diverses caractéristiques de ses propres plans. L’univers sonore notamment. Prépondérant ici autant qu’il peut être infime. D’un vrombissement de moto inattendu ici à ces nombreux crescendos motorisés remplaçant ces lourds silences là. Et l’illusion d’optique, aussi, parfois. A l’image de cette route, que le ruissellement de la pluie qui s’y coule, nous fait comprendre son orientation descendante alors qu’elle nous apparaissait dans un premier temps tout à fait montante.

     Mais la grande particularité de Small Roads, lui permettant de se différencier clairement d’autres films de l’œuvre de son auteur, c’est son évocation quasi permanente de la route dans l’histoire du cinéma. De part cette espèce de catalogue nostalgique qu’il est capable en un plan, un passage, un silence, un véhicule de convoquer tout un tas de standards et autres merveilles tels Sorcerer, Macadam à deux voies, Easy rider, Vanishing point et autres Road movie mémorables. Ainsi que d’autres films où le véhicule est moins un habitacle permanent qu’un instrument de fuite comme Running on empty, Le gout de la ceriseSmall Roads permet au moins cela : Traverser à nouveau l’asphalte du Cinéma.


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