A travers le miroir.
7.5 On pourrait reprocher au film son schématisme et sa distance de représentation. Tout est empesé, parfois lourdingue, notamment dans la propension à faire clignoter les histoires, les temporalités, les personnages pour tout dédoubler. Ailleurs j’aurais sans nul doute trouvé cela rebutant. Mais Assayas choisit de construire un dispositif étonnant. La première partie du film est ainsi constituée de longues séquences retranscrivant le quotidien d’une actrice (Maria, jouée par Juliette Binoche) accompagnée de son assistante (Valentine, Kristen Stewart) femme à tout faire, vive, à la pointe, perfectionniste. Si bien que déjà les règles hiérarchiques sont non pas inversées mais bouleversées. Valentine prend plus de place dans l’écran que Maria.
Elle a vingt ans de moins mais pour le moment, la pièce imposante (qui fit la renommée de Maria et s’apprête à la relancer) ne l’est pas au point de construire un parallèle solide entre réel et fiction, Helena (le personnage mûr de la pièce) et Maria, Sigrid (la cadette) et Valentine. Ce n’est pas si simpliste. Valentine jouant le rôle en faux qui sera bientôt tenu par la jeune actrice Jo-Ann Ellis (campée par Chloé Grace Moretz, croisée dans Kick-ass entre autres, bref casting lumineux) le cinéaste ne s’est pas contenté de décalquer l’évidence de son jeu de miroir, il l’étoffe. C’est dans sa capacité de glissement que le film se révèle fascinant, après l’avoir été dans sa méticulosité de retranscription quotidienne. Ça devient dorénavant une histoire de fantômes. On les évoque souvent : Wilhelm, le célèbre metteur en scène de la pièce dont on apprend la mort durant l’ouverture, dans le train qui conduisait Maria à une soirée de gala en son honneur ; L’ancienne actrice ayant jadis campée Helena, qui se serait vraiment – c’est aussi le cas dans la pièce, Sigrid poussant Helena au suicide – suicidée post représentation alimentant la culpabilité de Maria qui jouait en ce temps Sigrid ; Puis bien plus loin, la mort de la femme de l’amant de la future nouvelle Sigrid. Vous me suivez ? Un double récit sur la peur est en train de naître. Celle de Maria qui accepte mal cette inversion de rôles. Et celle de Valentine qui s’improvisant Sigrid pour le besoin des répétitions se rapproche de Maria, autrement que dans une dimension uniquement professionnelle. Tout restera hyper ambigu, bien entendu. Et la technologie clignote dans chaque plan (Pages Google, Skype, Youtube, Iphone, Ipad…) pour marquer violemment l’écoulement de ce temps dont est témoin et victime Maria. Le serpent de Maloja, son image sublime, en est la représentation ultime de cette propagation, à la fois poétique et monstrueuse.
C’est Hitchcock, c’est Bergman, c’est Cassavetes. Vertigo, Persona et Opening night. Ça fait peut être beaucoup, pourrait-on dire. Ou alors, on peut aussi apprécier le culot. Et Assayas, s’il n’atteint pas (la capacité de sidération de) ses maîtres, en se perdant à de nombreuses reprises, sait se relever quasi instantanément. Et le fait qu’Assayas soit aux commandes me touche aussi. Car c’est cet Assayas que j’aime. Celui d’Après Mai. Je continue de penser que c’est un cinéaste passionnant quand il est obnubilé par ses propres vingt ans, où chaque fois il s’en va convoquer un passé quel qu’il soit : Problème de succession patrimoniale, portrait d’u terroriste sur deux décennies, ou sorte d’auto remake de L’eau froide – L’obsession de l’âge d’or soixante-huitard – vingt ans après, ça ne s’invente pas. Sils Maria pousse l’idée plus loin encore. Film concept, théorisant, jusqu’à saturation. C’est son Copie conforme à lui.
Sils Maria n’est en effet pas le plus subtil des jeux de miroirs mais il n’est pas le moins stimulant non plus – Il l’est infiniment plus que le dernier Cronenberg, par exemple – tant il trace des lignes qui se croisent, fait s’entrechasser les personnages. Et il faut reconnaître que le choix du lieu – les Alpes suisses – est considérable tant il accentue cet état de perdition, paysage invulnérable, véritable Goliath de roches que la légende du serpent de Maloja vient accentuer. C’est en les laissant murir que les films d’Olivier Assayas prennent une autre dimension. So, wait and see. Par ailleurs, je trouve qu’Assayas sait magnifiquement mettre en scène ses choix musicaux. Kevin Ayers ou Soft Machine dans Après mai, Pachelbel ou Primal Scream ici, chaque fois il nous offre des séquences qui envoient du bois.