Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon.
7.0 Bruno Dumont ne m’a jamais déçu. Et dans le même temps il n’a jamais fait mieux que ses deux premiers films, à mon humble avis. Cette contradiction se poursuit indéfiniment. Hors Satan c’était puissant mais on pensait trop à L’humanité. Camille Claudel 1915 semblait faire office de virage direct et était du même coup moins sidérant. Chaque fois néanmoins, Dumont réinvente un espace, c’est pourquoi son cinéma ne s’épuisera jamais. Espace physique, espace mental. Ce qui le rapproche des plus grands (Bergman, Tarkovski pour ne citer qu’eux) qui n’ont cessé de créer tout en refaisant. P’tit Quinquin est en ce sens une belle promesse.
Le format série est une grande première pour le cinéaste. Et une découpe en quatre épisodes, trois heures et demi de film. Soit l’un des projets les plus excitants de l’année. On s’est beaucoup emballé depuis son passage à Cannes, certain le portant d’emblée au pinacle, film de l’année, chef d’œuvre de son auteur – Suffit de voir ce qu’il récolte de louanges dans les Cahiers. C’était presque une évidence : P’tit Quinquin allait balayer tout ce qu’on avait vu cette année. Passé cette surenchère admirative il faut bien admettre que l’on s’est un peu, beaucoup trop enthousiasmé. P’tit Quinquin ne dérogera pas à mon constat initial : Dumont c’est L’humanité et La vie de Jésus. Il y a d’ailleurs ces deux films réunis dans son dernier.
La grande nouveauté c’est le virage comique. Changement de registre qui fait que c’est un film que j’aime beaucoup. Je ne suis pas loin même d’adorer. Je trouve Dumont assez à l’aise avec ce nouveau format, avec la longueur, avec le fait de s’éparpiller plus qu’à l’accoutumée. Je n’aurais pas enlevé grand-chose de ces 4×52 minutes. Pourtant, j’ai une réserve sur le dosage. Les passages avec les policiers, aussi drôles soient-ils ne sont pas ce que le film réussi de mieux je pense. Ils sont beaucoup trop présents, annihilent un peu trop le reste. Le film est en fait mal équilibré. Je m’en suis rendu compte car je n’ai cessé de chercher P’tit Quinquin (après tout, si l’on en suit le titre, il devrait être au centre plus que les autres) et tout ceux qui gravite directement autour de lui – Ses parents, ses grands parents, Eve, Aurélie, ses copains – surtout dans les deux dernières parties.
Pour le reste c’est toujours évidemment un cinéma qui me parle, que je trouve très beau, exaltant, qui sait construire des blocs de séquences, les étirer tout en les laissant respirer. Cet espace mis en scène offre des moments miraculeux, aussi bien dans le tragique que dans le burlesque – la découverte de la vache dans le blockhaus, la scène de l’église. Et des trucs un peu moins heureux, attendus. Mais ça m’aura donc permis de constater que Dumont s’accommodait bien au running gag – les démarrages circulaires de Carpentier – ainsi qu’à l’exagération comique (les grimaces du commandant) et l’absurde (Ce roulé-boulé déjà légendaire). C’est vrai qu’on rit. Pas tant que ça mais on rit – Ch’tiderman, bon sang, fallait y penser. Mais le récit s’engouffre tellement que l’on finit par ne plus rire, un peu anéanti par la répétition d’un carnage d’abord improbable puis carrément incohérent. C’est toute la beauté du film je crois, sa dérive, démarrer sur les visages, les hommes et en revenir inéluctablement vers la terre, l’insondable, l’impondérable. Un mal sans visage, à la fois ici et partout et nulle part. Pour une première incursion dans le tragi-comique c’est une franche réussite et c’est donc très prometteur.