La croisée des chemins.
9.0 Si ce n’est dans le futur cinéma de Bruno Dumont – pourtant assez différent de celui de Brisseau – il est rare de ressentir une telle adéquation formelle entre la mystique et les éléments. Le film s’ouvre sur des images d’Afrique, soleil rasant accompagné d’une voix off qui semble être celle d’un garçon lisant un poème, contant sa fascination pour l’antiquité égyptienne, tout en harmonie lyrique. On découvrira ensuite que le garçon en question est hémiplégique et qu’il est suivi par une infirmière. L’intégralité ou presque du métrage se déroule alors dans cette bâtisse, loin du climat solaire du poème, dans un village reculé de Seine et Marne. L’éden princier cédant le pas brutalement aux prairies infinies et ses arbres gigantesques abritant l’éventualité d’un miracle.
Céline, le film, prendra le temps pour acquérir toute sa dimension fantastique. Un temps d’interaction nécessaire entre les deux personnages centraux dans la compréhension du fonctionnement de l’autre. Un matin, Geneviève recueille Céline, alors sur le point de se donner la mort. Le film creuse alors silencieusement la guérison progressive tout en démasquant leur passé respectif, rapprochant inévitablement leur destin. La tentative de suicide d’aujourd’hui de l’une convoque celle d’hier de l’autre. Et le système de guérison – initiation au yoga, organisation scrupuleuse et quotidienne des tâches ménagères – utilisé jadis par Geneviève pour ses maux s’adapte à ceux de Céline.
La mise en place de l’acceptation relationnelle et dévouée est pourtant laborieuse – Geneviève allant jusqu’à menacer Céline de son départ – tant le processus cruel donne l’impression d’un jeun extrême, régime insurmontable comme si l’on ôtait le sang du repas d’un vampire. En guise d’apogée céleste, réussite et glissement somptueux, la musique de Georges Delerue à mi film vient mettre en corrélation l’effort sinueux des deux jeunes femmes, fusion avant la séparation. Sublime morceau repris d’une émission de télévision visant à scinder le film entre d’un côté l’accession de Céline vers l’acceptation de soi avant d’entamer une partie nettement plus spirituelle et fantastique, faite de progressions miraculeuses et d’un détachement évident du processus éducatif.
C’est d’abord la douce guérison d’un enfant – une simple blessure au genou qui disparait, comme si elle n’avait jamais existé – dont on peut encore douter aux côtés de Céline, puisque l’on n’y voit que du feu. Puis vient cette séquence glaçante et sublime de l’accident, avec son caractère éminemment prémonitoire. Passerelle vers la guérison télépathique de l’hémiplégique retrouvant ses fonctions motrices avant d’enchainer diverses apparitions, disparitions, dons d’ubiquité que Geneviève semble encaisser proche de la folie. Et le film aura préalablement subtilement introduit ceci aux moyens de mouvements de caméra sidérants – Les angles de vue perturbants utilisés dans la scène du jardin. And the last but not least, ce que forcément nous présagions, le sauvetage de Geneviève, tandis que Céline l’avait quitté pour un ailleurs. L’affrontement face à la mort ou plutôt face à l’angoisse de la mort dans une magnifique séquence osmotique complètement Brissaldienne. Chef d’œuvre.