Macadam à deux voies.
8.0 Il y a la fougue et la crudité d’un Brillante Mendoza à son meilleur (Kinatay), la plongée crépusculaire entre le western et le fantasme d’un André de Toth, la puissance des grands polars aux allures de tragédies familiales évoquant largement le cinéma de James Gray – On pense principalement à ses premiers sublimes essais, Little Odessa et The yards. Ajoutons à cela l’impétuosité des premiers Richet, avec son approche à la fois trash et comique du réel. J’espère d’ailleurs me tromper mais je crois qu’on a là un cinéaste de cette trempe, pétri de talent, mais en pleine quête hollywoodienne, visant à devenir le Scorsese moderne. N’empêche, cette équipée nocturne – glissant d’un quotidien diurne cartésien vers une nuit mystérieuse et sans issue – est une merveille de film noir – pourtant tirée d’un fait vécu par le réalisateur.
Un moment, un plan hallucinant, suspendu, laisse apparaître un homme mourant, après une opération de vol de cuivre ayant mal tournée, ramper dans la pénombre d’une casse – plongée dans le silence – vers une flaque de boue irréelle, éventuellement salvatrice. On dirait presque du Tarkovski. Surtout que le chien n’est pas si loin. Le film est baigné comme ça dans une lumière étonnante, qui aveugle ou apaise c’est selon, à l’image de celle accueillant ce camion de cuivre en tout début de film. La lumière est l’élément fondamental du cinéma de Jean-Charles Hue et ce halo en est le caprice le plus représentatif, forçant le réel ou se la jouant carrément surréaliste, il symbolise toujours un dialogue abstrait avec un divin mystique. On se souvient forcément de ces embardées fantastiques dans La BM du seigneur.
Le cinéaste se débarrasse ici de ces parasitages inutiles qui atténuaient la beauté de ce premier film. Mange tes morts est sec, nerveux, dépouillé, frontal, dans un mouvement indécis perpétuel. La BM avait été l’une de mes plus grandes frustrations en 2011. J’avais trouvé ça fort mais gâché par cette réalisation clinquante pour festival Sundance. Là, tout est équilibré, éprouvant, j’ai fait le voyage, j’étais aussi bien sur ce bord d’autoroute que dans cette Alpina en plein run. Saisi par la violence du bouleversement aux côtés d’un Fred (Dorkel) qui redécouvre les lieux après son emprisonnement de quinze ans, se perdant dorénavant sur cette route de Creil qu’il ne reconnait plus, évoquant continuellement ce vieux bar où il terminait ses diverses chevauchées nocturnes chez Colette, une providence sans visage.
Il y a un vrai vertige que de suivre cet homme qui préfère se volatiliser – comme le fit son père – plutôt que de se faire prendre. Son entrée en scène est d’ailleurs la plus hallucinante vue cette année : il est au volant d’une Clio, débarque dans le camp à toute berzingue et alors que sa voiture s’arrête dans un nuage de poussière, son petit frère – partagé d’ailleurs entre sa fascination pour ce chasseurs hors pairs et son entrée dans le rang via la religion – observe avec envie sa sortie, mais celui-ci viendra lui tapoter dans le dos. Il faut voir le nombre d’idées comme celle-ci qui traverse le film – sublime séquence dans une grotte – le rendant très indiscernable, malgré son approche hyper réaliste, pour ne pas dire documentaire. Cet étroit mélange entre réel et fiction est superbement agencé par ce cinéaste génial qui signe un deuxième film hallucinant, anxiogène et complètement à part.
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