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Archives pour novembre 2014

Interstellar – Christopher Nolan – 2014

1781950_10152503225192106_6950501695144680260_nComing home.

   10.0  J’ai trouvé ça immense. Je ne suis a priori pas fan du cinéma de Nolan (je n’ai d’ailleurs pas vu ses Batman) mais ce film m’intriguait beaucoup. Il ne m’a pas quitté depuis que j’en suis sorti, loin de là. Possible avec le recul que je le considère même comme le plus beau film vu cette année. Je développe un peu plus en profondeur ensuite mais je conseille à celles et ceux qui n’ont pas encore vu Interstellar de ne pas lire car je dévoile beaucoup de choses qu’il serait fâcheux de ne pas découvrir durant la projection. Mais courez voir ça en salle illico, franchement !

     Le cœur du film se joue selon moi dans ce vertige inédit suscité par la distorsion de la temporalité. Si le voyage de Cooper (Matthew McConaughey, qui est décidemment dans tous les bons coups cette année) en quête d’une planète de rechange se compte déjà en années pour un éventuel retour sur Terre (deux ans nécessaires pour atteindre Saturne) l’obligeant à manquer de voir grandir ses enfants, c’est en pénétrant dans un trou de ver, aux abords de la planète aux anneaux, et en foulant une terre inconnue au-delà du système solaire, où la notion temporelle est infiniment plus faible que sur la Terre (Une heure équivaut à sept ans !) que le voyage prend alors des proportions bouleversantes.

     Interstellar semble se situer dans une ère sans date. Dans un futur qui nous rappelle étrangement le passé, où les scientifiques (Cooper compris, ancien pilote d’essai) sont redevenus des agriculteurs, puisque les denrées alimentaires sont en berne la faute à un climat peu propice, entre précipitations en chute libre et nuages de poussières récurrents – altérant progressivement vivres et santé de la population. Ces tempêtes qui rappellent celles de la grande dépression des années 30. La temporalité insituable fait corps avec le leitmotiv du film, dans l’espace, ce qui lui confère une singularité sublime. Interstellar est moins un voyage spatial qu’un trip temporel fait de strates multiples, de planètes mystérieuses, de rebondissements permanents, où tout est agencé merveilleusement jusque dans ses imperfections – Grand coups d’orgue omniprésents de Hans Zimmer (qui ne m’ont même pas dérangé, c’est dire si j’étais dedans), charabia scientifique bien verbeux et neutralisation absolue du vide – Pas de respiration dans le cinéma de Nolan.

     Ce qui me plait beaucoup c’est de voir Nolan ne jamais véritablement cacher le nœud de son récit aux accents éminemment mélodramatiques. Le titre le dit déjà. Et le récit nous y conduit en permanence. Via cette première scène où une vieille femme raconte, dans une sorte de vidéo d’archive, l’histoire de son père, cultivateur de maïs qui sauva le monde – Il ne faudrait pas longtemps pour faire le lien et c’est cette humilité que j’aime infiniment, mais le film nous emmène tellement loin qu’on finit par oublier cette introduction. De la même manière, le film pourrait tout nous cacher dans cette première partie familiale, quasi Spielbergienne – On pense à Rencontres du troisième type – voire Shyamalanienne – relents de Signes – mais au contraire on peut y voir Cooper en discussion avec sa fille, s’appuyant sur une montre commune, qui semble remplacer la toupie de Inception, que son voyage dans l’espace et dans le temps pourrait très bien les voir se réunir au même âge. Nolan a toujours été un malin, mais là on ne pourra pas dire qu’il ne nous avait pas prévenus. Pour autant ce n’est vraiment pas une scène illustrative, ça se fond parfaitement dans le récit et dans l’intimité fragile de cette relation père/fille.

     On pourrait grossièrement diviser le film en deux parties : terrestre et spatiale. Deux mondes qui aurait pu être joints par une transition bien lourde (je la craignais) entre préparatifs à la mission, angoisse du départ, prise de connaissance de la base de lancement, multiplication de personnages, mais Nolan mise son va-tout sur une ellipse absolument sidérante superposant les adieux de Cooper à ses proches avec son décollage dans l’espace. Le film me fascinait déjà avant ce virage parfait mais je crois que c’est la première vraie grosse baffe que je me suis prise. En attendant les suivantes. Et les précédentes grâce aux suivantes. Autant le dire cash, Interstellar m’a ému aux larmes, à plusieurs reprises. Je n’imaginais pas dire cela un jour d’un film de Christopher Nolan, pourtant c’est le cas. J’en suis sorti épave, à la fois émerveillé et tétanisé.

     Les prémisses de ce bouleversant voyage sidéral se situaient, n’en déplaise à ses fidèles détracteurs, dans Inception, où le cinéaste expérimentait et faisait éclater cette fascination pour les serpentins temporels, les couloirs infinis, les paradoxes insensés, dans un maelstrom éprouvant façon Mission Impossible sur quatre niveaux de rêves l’élevant définitivement en jouissif mastodonte hollywoodien, qu’on pourrait rapprocher récemment du Edge of tomorrow, de Doug Liman. Plaisir à la fois régressif, cérébral et festif. L’émotion y était entièrement délaissée au profit de sensations fortes, malgré l’histoire de cette femme inéluctablement attirée par les limbes, qui me touchait beaucoup. Cooper lui, n’est pas à proprement parlé happé par les limbes ou le trou noir, mais il choisit le voyage, le rêve, moins pour sauver l’humanité – c’est pourtant l’enjeu frelaté de la mission secrète d’une nouvelle NASA clandestine – que les siens avant tout. Ainsi, le plan A (l’évacuation générale de la Terre) lui parle nettement plus que le plan B (Une colonisation via des embryons humains) ce qui peut se comprendre. Le puzzle mental de l’un est transposé à l’infinité spatiale de l’autre.

     C’est un grand film sur la peur de l’anéantissement des rêves. L’angoisse de voir s’effondrer la civilisation humaine au moyen de ce qu’elle a créée. Ici à l’école, on enseigne dorénavant que les missions lunaires d’antan n’avaient pour unique visée que de ruiner l’économie soviétique. On pourrait en dire autant de ce Plan B qui ne cesse de planer pendant tout le film et rime avec l’extinction d’une Humanité terrestre. On pourrait aussi parler de cette vague géante sur cette étrange planète océan, réapparaissant à intervalles réguliers – comme les débris de Gravity – et convoquant ces dust bowls sur la Terre, comme pour montrer qu’ici non plus l’Homme n’y survivrait pas longtemps. C’est l’une des séquences les plus belles du film, pour ce qu’elle engendre (la temporalité disloquée), ce qu’elle offre en tant que spectacle et pour sa brièveté. J’ai évoqué Gravity, autant en parler. Ces deux films ont un an d’intervalle donc on serait tenté de les rapprocher, de les comparer. Mais bon, ce serait comme de comparer Lumière et Méliès, ça n’a pas grand intérêt. On pourrait simplement s’amuser à comparer leur faculté à faire s’associer l’infiniment grand et l’infiniment petit, leurs élans gargantuesques et leurs douleurs intimistes – Le Skype des 23 ans de messages (scène terrassante) répond au deuil impossible de la mort accidentelle d’un enfant.

     La paternité est par ailleurs un élément fondamental du récit, mais je ne pense pour autant pas qu’il faille être parent pour l’apprécier. A mon avis c’est vraiment la patte Nolan, cette surcharge permanente, qui peut dérouter et je le comprends. Moi je suis friand ce genre de séance vertigineuse à condition qu’elle soit totale, qu’elle ne faiblisse pas. Il me semble qu’Interstellar a répondu à cette attente. Après, oui, le sujet me foudroie. Comme c’était le cas lors de cette trouée sublime dans Gravity où d’un coup, là où on ne l’attendait pas, le personnage confiait sa douleur de cet enfant tombé sur la tête dans la cour de récréation. Ou dans Super 8 lorsque le garçon voit le regard de sa mère dans celui du monstre à la fin. Ici, le monstre c’est Cooper. Il se retrouve face à sa fille qui pourrait en apparence être sa grand-mère, qui lui demande de la laisser mourir auprès de ses enfants à elle, parce que c’est dans la logique des choses. Je ne sais pas pourquoi mais ça m’évoque la sublime fin de Titanic où les passagers du paquebot se retrouvent dans une séquence hors du temps, autour de cet escalier et de cette horloge, où Rose peut enfin rejoindre ceux qui sont partis il y a cent ans. Et on pourrait aller encore plus loin en évoquant ce semi hors-champ final où Cooper semble parti rejoindre Amelia Brand, abandonnée sur la planète Edmunds – veuve de celui qu’elle aurait voulu rejoindre quatre-vingts ans plus tôt – pour fonder une colonie nouvelle.

     C’est une expérience de cinéma hors des normes dans la mesure où ses effets sont parfaitement distillées, limpides, homogènes, où la complexité du récit ne l’empêche pas pour autant d’être aisément compréhensif. Le film ne freine pourtant devant aucun jargon des plus repoussants au premier abord. Mais je suis fasciné par les séquences spatiales de Interstellar – pourtant très bavardes, à l’instar du Sunshine de Danny Boyle – car jamais je n’ai l’impression que le film croule sous une dévotion réduite au sens du spectacle. Chaque péripétie, aussi marquée soit-elle, n’est pas une machine à sensations extrêmes non plus, suffit d’évoquer l’aspiration dans le trou de ver ou plus loin celle dans le trou noir. Si le voyage est génial c’est aussi parce qu’il refuse de se perdre dans un trip figuratif afin de rester maître de son récit. Ce qui ne l’empêche pas de faire défiler des images proprement hallucinantes de nuages gelés, océans sans profondeur, course-poursuite dans un champ de maïs, trou de ver en sphère, le tesseract et j’en passe.

     Mais c’est surtout un grand film d’amour, ce qui le rapproche d’un cinéma total à la Abyss, ou à ce qu’on a pu récemment éprouver devant la série The Leftovers, une montagne d’émotions où passé et présent fusionnent, se chevauchent et bouleversent parce qu’ils aspirent à traverser les dimensions et atteindre un voyage quasi transcendantal. Nolan choisit cette fois le mélodrame familial plus que la montagne russe – inversant la dimension de Inception – mais comme à son habitude voit les choses en grand. Là où il emboitait les rêves il enchâsse ici plusieurs films, les uns dans les autres. Il cite Newton, La loi de Murphy et la physique quantique. Fait apparaître des fantômes dans une bibliothèque. Pour au final ne retenir qu’une chose : l’amour pour ses personnages. L’amour, tout court. Avant, la source d’énergie chez Nolan, le soleil de ces récits, c’était un rubik’s cube géant et des figurants, maintenant ce sont les êtres humains et le temps qui leur est donné pour s’aimer. Evidemment, ça change tout.

Nous avons gagné ce soir (The set-up) – Robert Wise – 1949

10268490_10152487902337106_2910522713522324860_nPour elle.

   8.5   Robert Wise considérait The set-up comme sa plus belle réussite. Je ne connais pas grand-chose de lui, hormis West Side Story, mais je serais tenté de lui donner raison sans avoir vu le reste de sa filmographie. Ce film noir sous fond de boxe, alléchant sur le papier, est une merveille. Je pense que c’est l’un des plus beaux du genre que j’ai pu voir. The set-up a la particularité imposante de se dérouler dans une temporalité restreinte, pour ne pas dire en temps réel, suivant ce boxeur quittant son nid conjugal pour enfiler les gants, les préparatifs, les matchs qui précèdent le sien dans les coulisses, son match puis sa sortie. C’est tout. Je ne suis pas un grand spécialiste des productions américaines de l’âge d’or mais il faudrait vérifier s’il existe un précédent en terme de parti pris temporel, aussi osé et audacieux. Avant 1949, moi je n’en connais pas, personnellement – Reste à savoir si The rope est sorti avant lui ou non.

     C’est un vrai film désenchanté, parcouru par le vieillissement (le boxeur en fin de carrière) et les paris truqués. Une passion vénéneuse qui en parasite une autre. Un savant montage parallèle (et le film en est truffé) montre les errances de Julie, la femme du boxeur, dans la ville, se refusant d’entrer voir son combat, d’une part, puis de son côté les préparatifs de Bill dans les vestiaires. Elle s’inquiète parfois de son sort, lorsqu’elle s’arrête dans un bar pour écouter les commentaires d’un match qui n’est pas le sien, où l’on fait état d’un lynchage absolu, ce qui l’effraie avant d’apprendre qu’il n’y est pas et d’être rassuré. Lui ne cesse de regarder par l’entrebâillement d’une fenêtre des vestiaires où il peut voir si sa chambre d’hôtel est toujours allumée ou non – Julie est censé venir le voir combattre.

     Le film présente un milieu tout en spectacle (rendant parfaitement compte de l’énergie hystérique qui se dégage de la salle) et jeux de dupes (où il faut se coucher à tel moment pour faire grimper la côte). Le match de boxe attendu couvre la partie centrale du film, dans un style hyperréaliste et en quasi temps réel pendant seize minutes. Le combat devait se dérouler de telle manière (The set-up) mais Bill « Stoker » Thompson, le boxeur, ne l’entendra pas ainsi et fera le match de sa vie. Et le film qui semblait s’achever dans la peur et le règlement de compte cruel avec la pègre locale, passe par là mais s’achève sur une sorte de happy end archi surprenant rendant finalement grâce au titre français, en apparence complètement nul. C’est un long métrage très court (1h12) avec une telle intensité que j’en suis ressorti lessivé. Bref c’est magnifique.

Edge of tomorrow – Doug Liman – 2014

14.-edge-of-tomorrow-doug-liman-2014-1024x576Mimics day.

   8.5   Bon sang, mais oui ! Quel pied ! Au diable les Pacific Rim, Avengers et autre Godzilla ! Le blockbuster idéal, le vrai, celui qu’on n’attendait plus, le voilà !

     Le blockbuster avec Tom Cruise est presque devenu un genre en soi, ces derniers temps. Depuis Mission Impossible jusqu’à Oblivion, en passant par Jack Reacher et Knight and day on commence à se sentir en terrain familier. Pourtant, rien ne va se dérouler comme on l’imaginait dans cette nouvelle superproduction hollywoodienne, signée Doug Liman, capable d’être un excellent (La mémoire dans la peau), honnête (Jumper) ou médiocre (Mr & Mrs Smith) faiseur. Disons-le tout net : Edge of tomorrow est (avec le premier volet de la trilogie Bourne) ce qu’il a fait de mieux.

     Le major William Cage (Tom Cruise, donc) au service des relations publiques est convoqué, arrêté puis injecté en pleine guerre, contre une horde extraterrestre, sans trop savoir ce qui lui arrive. Est-ce une erreur ? Est-il vraiment soldat déserteur, comme on l’affecte à son réveil dans cet aéroport londonien ? Qu’importe, le voilà plongé au sein d’une escouade et bientôt au-dessus des plages françaises, fringué d’un exosquelette, pour un débarquement suicide qui tourne vite au fiasco.

     Le postulat du film est difficilement explicable sans en dévoiler le bel effet de surprise que constitue le génial basculement narratif provoqué par la première scène pivot. So, spoilers inside. Toute l’escouade se fait massacrée sous les yeux de Cage, ahuri qui explose bientôt lui  aussi avec un extraterrestre. Oui, Tom Cruise meurt. Et se réveille, dans cet aéroport. C’est le premier d’une longue série de restart.

     Pris dans une boucle temporelle faisant à la fois écho au Mythe de Sisyphe, à Groundhog day ou Source code (pour citer un autre film d’action) Tom Cruise va repousser chaque fois ses limites dans le combat, se perfectionnant au gré de la répétition de ses échecs. Edge of tomorrow serait au départ un jeu vidéo, ce film en constituerait l’adaptation rêvée. Jouer, mourir et recommencer. Indéfiniment. Mémoriser le parcours jusqu’à obtenir la combinaison parfaite pour progresser de niveaux ou atteindre la fin du jeu. Tout un programme. On pourrait se lasser. D’autant qu’une fois la mayonnaise lancée et le plaisir du running gag éculé tout devient mécanique et épileptique. On ne nous montre même bientôt plus son réveil.

     Sauf que Doug Liman a la malice de tout réinventer d’un revers chaque fois que sa mécanique est trop huilée et donc sur le point de s’enrailler. C’est d’abord la rencontre sur le champ de bataille de Rita Vrataski (Emily Blunt) surnommée Full Metal Bitch, héroïne (elle aussi dans une journée à boucle) de la bataille de Verdun, qui demande à Cage, peu avant d’exploser pour la énième fois, de venir la voir à son réveil. Plus tard, ce seront les nombreuses ellipses qui bousculeront nos attentes de la répétition. Là, au débotté, je pense à cette séquence esseulée, sans suite, où Cage est en stand-by dans un bar londonien, un peu las, expliquant qu’habituellement à cette heure-ci, il est déjà mort depuis longtemps. Et bien entendu je pense à cette séquence sublime des trois sucres où il explique à sa compère, dans une ferme reculée, qu’il n’arrive plus à aller plus loin sans elle, qu’il a tout essayé, en vain, qu’elle meurt ici, quoiqu’il arrive. Que le film double son sens du spectacle par une histoire d’amour impossible le rend hyper humble et touchant et rappelle lointainement le cinéma de Cameron.

     Afin de contourner cet élément de scénario cruel, le film joue alors la carte de la fausse piste, comme Nolan jouissait de ses paradoxes dans Inception. Essayer autrement est la condition pour rester ensemble. Le film ne répond jamais à cette cruciale question chère aux jeux vidéo (ça m’a rappelé Heavy Rain) : Y a-t-il plusieurs moyens d’y arriver ?

     En jouant constamment sur un total remodelage de la journée, à l’infini, Edge of tomorrow s’éloigne de ses modèles au sens où si ses fameux restart réutilisent régulièrement le réveil sur ce chariot de valises sur cette jetée d’aéroport, ils vont parfois se focaliser sur une autre parcelle de la journée de Cage, autant de niveaux dans lesquels il peut tenter de faire progresser sa mission autrement, avant de se jeter dans la gueule du loup. On peut le voir comme un jeu où le joueur choisirait lui-même ses niveaux, en somme.

     En ce sens il me semble que le film pousse la méta réflexion sur le médium plus loin encore que dans un Source code, dans la mesure où il ne cesse de penser la durée, de se jouer de l’espace proposé, de choisir ce qui fait récit et non continuité triviale. Son programme est celui d’un personnage prisonnier d’un rouage, qui expérimente tout ce qui est mis à sa disponibilité afin d’éviter de mourir, à l’instar de Jason Bourne, à la seule différence qu’il peut mourir, autant de fois qu’il le souhaite et même souvent doit mourir – d’où un nombre incalculable de mise à mort par Emily Blunt archi jouissives – pour avoir accès à son reboot continuel.

     La question de l’ennui et de la jouissance se pose alors, en ce sens que Cage doit chaque fois tout recommencer, bien que cela soit forcément sous-traité – plutôt revoir Un jour sans fin – et c’est là où l’œuvre méta prend toute sa mesure puisque l’acteur que l’on voyait au départ malmené – on avait d’ailleurs peu l’habitude de voir Tom Cruise aussi lâche et ridicule -  devient la bête de guerre qui va sauver le monde – que l’on connait – au moyen d’un récit éclaté et répétitif. En un sens, le film synthétise à lui seul tous les héros Cruisiens.

     Il faut signaler que le film est bourré d’humour, totalement décomplexé, à l’image des innombrables morts du personnage, évidemment, mais aussi dans certains enchainements qui appuient sur le caractère réitératif, rappelant combien Cage a déjà vécu plusieurs fois ce qu’il refait ad aeternam, ici déglinguant des araignées (convoquant le métal liquide de T2) avant qu’elles n’apparaissent dans son champ de vision, là sauvant plusieurs soldats d’une explosion qui surgit la seconde suivante. Plus loin, Cage et Rita vont jusqu’à noter, chaque jour, les divers obstacles de leur parcours sur un plan de combat, agencé en véritable chorégraphie. Le plus drôle et absurde là-dedans (et le film en joue un temps avant de complètement l’évacuer et tant mieux) c’est d’imaginer les techniques mise en pratique par le personnage pour effectuer les nombreuses connaissances qu’il effectue durant sa journée et tout particulièrement avec elle, dans cette salle d’entrainement.

     On pourrait par ailleurs trouver le film moins bon dans son dernier tiers où le procédé finit par disparaître. C’est en effet moins jouissif. Quant à la pirouette sur la dernière boucle, en apparence moins inspirée, je l’ai pris comme un truc méta, super léger, quasi indépendant du récit – où le joueur aurait atteint son objectif sans vraiment trop comprendre pourquoi. Et puis j’adore l’idée de finir sur un sourire, le même que celui que tu affiches quand tu termines un jeu, le sourire face au dérisoire, ici simplement un film d’action. Il faudrait faire un dossier sur les dernières images qui sont des sourires au cinéma, il y en a un paquet cette année il me semble.

Tristesse club – Vincent Mariette – 2014

tristesseclub604     6.0   Il manque un truc pour que le film soit vraiment réussi, surtout au début où ça me semble un peu forcé, enfin disons que sur de nombreux points (Macaigne, la filiation, le tennis) le film rappelle beaucoup Tonnerre. Mais en moins bien. Seulement, plus le film avance, puis il est bon. Je trouve dommage de le voir expédier si vite sa dernière partie (quand on apprend la vraie identité de Ludivine Sagnier) car c’est ce qu’il y a de plus réussi à mon goût. Sinon Macaigne génial, comme d’hab. Et Michel Leeb, pardon, Laurent Laffitte, excellent. Ce qui se noue entre ces trois personnages est vraiment ce que le film trouve de plus beau, drôle autant qu’émouvant.

Bird people – Pascale Ferran – 2014

16.-bird-people-pascale-ferran-2014-1024x576Roissy malady.

   7.0   C’était l’un de mes plus gros regrets de l’année de l’avoir manqué au ciné. Parce que Pascale Ferran. Et parce que Anaïs Demoustier, la belle et lumineuse Anaïs. Et malgré quelques fautes de goût, comme cette introduction RER foireuse construite moins pour surprendre que pour séduire, cette voix off de trop lors du point de bascule, ce morceau de Bowie beaucoup trop employé qui fait à force presque tâche du moins passage obligé (ça fait deux fois cette année avec la daube de Stiller, La vie rêvée de Walter Mitty), le bel épilogue qui aurait mérité un troisième acte, je suis très séduit par le film, qui me semble assez unique dans le cinéma français, sorte de Lost in translation meet Weerasethakul, avec une ambiance down tempo particulièrement envoûtante et des idées de mise en scène stimulantes, un aéroport à l’ambiance singulière, cet hôtel, ces couloirs, le travail de son absolument dément. Le film s’impose doucement en moi là, comme l’avait fait Lady Chatterley.

Les affranchis (Goodfellas) – Martin Scorsese – 1990

2522_13Wise guy.

   9.5   Fresque hallucinante, bouillonnante, vertigineuse avec sa narration éclatée, ses digressions les plus déstructurées et rocambolesques, Goodfellas n’en demeure pas moins d’une limpidité exemplaire, redonnant ses lettres de noblesse et une nouvelle jeunesse à un genre mythique : le film de gangsters. Scorsese y déploie son talent de conteur (voix off quasi omniprésente) et de monteur et dope sa mise scène de tout ce qui potentiellement peut enrichir sa forme, la tordre et l’asphyxier. Plans séquences bluffants (Celui où Henry invite Karen dans le cabaret, mon dieu), Jump Cut nauséeux, arrêts sur image, ellipses renouvelées, montage musical, transitions névrotiques, tout y passe. C’est une peinture totale et sans concession d’un monde toujours sur le fil, au bord de l’implosion – des sourires, des accès de violences, des élévations soudaines, des ruptures brutales – lui donnant un cachet complètement schizophrène, au moyen d’un personnage en particulier, qui grandit de son imprudence avant de s’écrouler de sa paranoïa. Un univers pathétique, tout en faux semblants, prétendus liens et identités illusoires. La caméra de Scorsese n’a donc jamais été si punchy et aliénante. Véritable bombe à retardement qui s’éteint d’ailleurs dans la dérision la plus totale et cruelle, sur un personnage vidé, balance et plouc alors qu’il rêvait – et en était persuadé – d’être le roi du monde. Scorsese a pondu un objet unique, fiévreux, un opéra absurde de violences et de jubilation. C’est un film qui se bonifie à chaque visionnage. L’impression de redécouvrir plein de choses à tous les coups. Je le revoyais en Blu Ray cette fois et inutile de préciser que ce fut le panard suprême. Plus j’y pense plus je me dis que c’est son chef d’œuvre.

Fiston – Pascal Bourdiaux – 2014

_c_snd4   3.5   Et c’est pas mal du tout ! Si si ! Enfin, pour ce que ça vaut. Pourtant, un film avec Frank Dubosc et Kev Adams, c’était, comment dire, loin d’être gagné. Mais en fait c’est une chouette comédie, jamais en manque de rythme, parfois lourde mais elle sait se reprendre. Un peu comme l’était 20 ans d’écart, l’an passé en somme. Et sinon je suis définitivement tombé sous le charme de la jeune Alice Isaaz, déjà vue cette année, dans La crème de la crème, qui sera assurément dans mon top actrices à la fin de l’année.

Lucy – Luc Besson – 2014

lucy2   0.5   Film qui tient parfaitement ses promesses de nullité. Nanar ultime comme Besson en avait certes déjà fait mais peut-être pas aussi poussé tant ici il se fait son propre 2001 en expliquant sa démarche toutes les cinq secondes, selon des montages alternés ridicules. Absolument navrant.

Une autre vie – Emmanuel Mouret – 2014

19. Une autre vie - Emmanuel Mouret - 2014Tentative laborieuse.

   3.5   J’aime beaucoup le cinéma de Mouret. Enfin disons que je l’aime autant que celui de Guédiguian, ce n’est pas essentiel mais ça me parle suffisamment pour m’intéresser à chaque nouvel opus. Malheureusement, pour l’un comme pour l’autre 2014 n’est pas un bon cru. Pourtant, un film qui caste Jasmine Trinca et Virginie Ledoyen avait toutes ses chances de me plaire. Le problème c’est qu’on ne retrouve pas les qualités du cinéma de Mouret, son burlesque élégant, sa fine logorrhée. Il s’essaie ici au pur mélodrame mais ça ne prend presque jamais, la faute à des enchaînements d’une platitude sans nom et une mise en scène figée.

White bird (White bird in a blizzard) – Gregg Araki – 2014

10429443_10152487902367106_6733024487715088514_nChat noir, chat blanc.

   8.5   Le parti pris d’emblée passionnant est de faire un film sur la disparition d’une femme, mère de famille dépressive, suivant le point de vue de sa fille, Kat, dix-sept ans, subissant son départ en étant partagée entre des rêves étranges et une folle envie de baiser. Qui mieux que Gregg Araki pouvait se saisir d’un récit comme celui-là ? Il aurait pourtant pu en faire une fable délirante façon Kaboom, dans le fond autant que dans la forme, mais il choisit les voies du mélodrame familial, tendance Mysterious skin. Un mélo convoquant le fantôme Sirkien mais ne ressemblant in fine qu’à du Araki. Si le film paraît assez classique dans ses ressorts et mécanismes, il contourne absolument toutes les attentes : Voix off omniprésente, Flash-back multiples, songes obsessionnels, banalité embarrassante, esthétique saturée et tout cela fusionnant dans un maelström feutré, enivrant. Avec ces rêves qui racontent déjà cette disparition – dont la vérité ne sera seulement offerte qu’à la fin.

     Araki a la riche idée de faire évoluer son récit sur la période 88/91 en ne la spécifiant distinctement uniquement par sa culture musicale. White bird in a blizzard (qui sonne comme le titre d’un album de Dead Can Dance) est donc un vrai film de post-punk et de shoegazers, où l’on peut y entendre en son sein (disques, walkman, radio, soirées) du The Cure, Depeche mode, This Mortal Coil, Jesus and Mary Chain, New Order, Talk Talk, The Psychedelic furs et j’en passe. Autant de morceaux anthologiques utilisés accompagnés d’une superbe composition originale de Robin Guthrie & Harold Budd relève de l’offrande royale. Le penchant punk de Araki s’accentuant aussi au gré de t-shirt (je veux absolument celui de la pochette It’ll End in Tears), stickers (Joy division sur une lampe de chevet) ou autre affiche (Eraserhead, chez un disquaire). L’oiseau blanc qui convoque les oiseaux noirs. Rien d’étonnant en fin de compte tant le cinéma de Araki est parcouru de symboles tordus, ruptures et détournements à l’image de ces rêves récurrents à la blancheur immaculée qui n’appellent que la mort ou dérivés – Les mains tronqués dans une vaisselle, un corps décomposé soulevant la neige. Ou à l’image de ce groupe d’amis composé de la jeune nympho Kat (de son vrai nom Katherine, choisit par sa maman pour pouvoir l’appelé Kat et la considérer comme son petit chat) dont on ne cesse d’évoquer une obésité passé, Beth l’amie noire particulièrement grosse qui ne parle que de bite ou presque, Mickey ce garçon fofolle qui voudrait avoir la désinvolture sexuelle de ses deux amies mais qui est terrifié par le sida.

     Il n’y a que chez Araki que l’on peut voir ça où tout est dans le dérèglement. Il suffit de revenir sur le rôle d’Eva Green (Choisir Eva Green, ancienne James Bond girl n’est évidemment pas anodin) pour s’en persuader, rôle bouleversant d’une mère qui déraille de son statut de housewife éternelle, au moment où sa fille se découvre une libido en plein boom. Rappelons que le film s’ouvre sur le corps de cette mère allongé sur le lit de sa fille. L’image de cette jalousie pour la libération sexuelle de sa fille est terrible. Et l’intelligence dans l’utilisation de la voix off est de ne montrer que Kat n’est jamais dupe d’un éventuel bonheur alchimique familial où tout était pourri de l’intérieur depuis longtemps, l’apparence d’une publicité, trompeuse, sans amour. Et que dire de ce rebondissement final, inattendu et bouleversant ? Le dérèglement ultime qu’on n’attendait plus, d’abord car on a tout envisagé du point de vue de Kat, ensuite, alors qu’on prenait de l’avance sur elle, parce qu’on n’avait pas supposé que sa cruauté dérisoire nous mènerait jusque là. Ailleurs on aurait d’ailleurs trouvé ça too much mais pas dans le cinéma de Araki, qui peut se permettre cette démesure puisque tout le reste bouscule déjà les possibles.

     De par son ambiance musicale ouatée, sa dimension spectrale aussi sexuelle que mortifère, le film atteint une sorte de grâce en pesanteur, qui s’impose durablement pendant et après visionnage, surtout avec le recul d’ailleurs, laissant un arrière goût amère mais finalement d’une infinie tendresse pour chacun des personnages, jusqu’aux pures présences secondaires comme cette nouvelle Mme Connors typique déjà sous Prosac campée par la Laura Palmer de Twin Peaks ou encore ce flic à l’apparence bourrue qui transpire une solitude muette et désabusée, sans parler de cette apathie terrible du père, dont la première véritable apparition où il se plaint de la disparition de sa femme, l’enferme au fin fond d’un salon sur un fauteuil, comme dans un film de Lynch. Cette scène est emblématique des divers rapports adolescents/adultes qui traversent le film : un écart énorme entre chaque, comme dans le début de séquence séductrice chez le policier. Cette barrière là s’accentue forcément lorsque la mère investit l’écran, modèle de la housewife américaine en plein retour de crise d’un deuil impossible d’une adolescence qu’elle n’a pas vu s’envoler.

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