Pillow talk.
9.0 Qui depuis Bergman avait su capter avec autant d’acuité, de nuances, de tendresse et de justesse les contrariétés quotidiennes d’un couple à l’écran ? Je conçois que la comparaison puisse faire frémir ou rendre perplexe, pourtant, au bout de ces huit heures de fiction, découpées en dix épisodes, c’est le premier constat qu’on en fait : C’est une autopsie sans précédent.
Tell me you love me dissèque trois couples d’une petite ville américaine. Ils ne se connaissent pas mais sont suivis par le même thérapeute. Le registre choral s’arrête là ou presque – certains se croiseront ailleurs brièvement sans que cela n’influe réellement sur le récit. Trois couples, donc. Jamie et Hugo, non loin de la trentaine, en passe de se marier. Carolyn et Palek, la trentaine tassée, essayant de faire un bébé. Katie et David, la quarantaine, deux enfants. Les premiers dont la liberté post adolescente n’est pas si lointaine, doutent de leur attachement réel l’un envers l’autre, de leur fidélité, tant c’est une passion entièrement consommée autour du sexe. Les deuxièmes sont dans une crise sans précédent puisqu’ils ne parviennent pas à concevoir cet enfant tant espéré, tandis qu’autour d’eux tous les sujets semblent converger vers les naissances. Les derniers sont des parents comblés mais leur apparent bonheur conjugal est obscurci par une sexualité au point mort.
Raconté ainsi, Tell me you love me fait craindre le catalogue de névroses conjugales élémentaires bien ordonnancées. Mais c’est en enrichissant les rapports, les dialogues, les silences gênants entre chacun que la série devient de plus en plus fascinante et émouvante. Il faut cette durée. Il faut que ça s’étire. En déployant des détresses enfouies, des interrogations en perpétuelle évolution et surtout en filmant la sexualité ainsi, de la manière la plus crue et frontale possible, tout en l’accueillant avec une pudeur naturelle. C’est une sexualité maladroite, pulsionnelle, que l’on baise à la va-vite ou selon tout un cérémonial, que l’on se masturbe en solo ou que l’on s’excite par téléphone, le sexe est filmé pleinement, sans filtre. Parties intimes ouvertement visibles, paroles crues, le quotidien conjugal est pris dans toute sa trivialité. On aura rarement vu au travers d’une fiction (non pornographique) si peu de vêtement et de drap durant des ébats.
La polémique autour des séquences de sexe qui voulait qu’elles ne soient pas simulées n’a pas lieu d’être pour la simple et bonne raison que le travail de mise en scène ici, au détour de ces explicites scènes, ne cherche aucunement à embellir, exciter ou provoquer. La représentation du sexe se fait suivant l’approche que Guiraudie en faisait l’an passé dans L’inconnu du lac. Quelque chose d’instinctif, emprunté, cru autant que pudique. Il ne s’agit pas de faire de gros plans mais de coller au plus près d’une certaine authenticité. Ce qui rejoint la thématique centrale d’une sexualité mise à nu, autant dans les rapports que dans le dialogue qu’elle suscite.
Il y a au moins deux personnages qui me touchent au plus haut point. Je pense que l’interprétation y joue, bien entendu, mais je les trouve d’une richesse inouïe, à la fois proches de moi et complètement opaques, hermétiques. Il s’agit de Katie et Palek. Palek est à mon avis celui qui me tend un miroir. Amoureux égoïste et dévoué qui se laisse porter, sa personnalité se décuple dans la seconde partie de la saison. Capable à la fois de se sentir oppressé et éloigné chez son meilleur ami en observant ses gosses calmes devant lui, il peut en revanche partager une bulle puérile avec un enfant dans un château gonflable – Scène magnifique. Il transporte l’indécision en permanence. On ne sait d’ailleurs pas si le rejet de son père qu’il évoque lui échoit vraiment ou s’il est continuellement dans le refus d’abandonner sa liberté adolescente. Il aime tellement Carolyn qu’il a fini par se persuader qu’il désirait avoir un enfant autant qu’elle le désirait. La série creuse ainsi les tempéraments de chacun allant le plus en profondeur possible. Le terme autopsie me semble pour le coup tout à fait adapté, utilisant ou non tout ce qui est à sa disposition ne se privant pas par exemple de convoquer amis et famille.
Et puis il y a Katie. Si Palek semble être le personnage le plus énigmatique, celui que l’on ne serait pas surpris de voir tout quitter du jour au lendemain, sans que pourtant il n’en fasse jamais rien, Katie est le personnage le plus insondable. C’est une mère de famille amoureuse de ses enfants, évidemment, mais aussi amoureuse de son mari, à tel point qu’elle ne semble jamais avoir pensé à un éventuel schéma alternatif. Son monde tourne pour eux. Mais son identité sexuelle lui joue des tours. Sa libido est à la fois effacée et sur le bord de la l’implosion, éteinte par la force des habitudes – elle n’a pas fait l’amour avec son mari depuis un an, elle sait que ça fait un an puisque c’était pour fêter leur énième anniversaire de mariage – et pourtant c’est cette même envie qui la travaille durablement, renforcée par cette découverte surprise d’un mari s’astiquant dans son coin.
La série va donc continuer de surprendre. Rien n’est figé. Elle offre par exemple à suivre un quatrième couple, en l’esquissant plus qu’en ne le triturant. Celui de la thérapeute. Qui bien qu’appréhendant le sexe et la vie avec nettement plus de recul et de sagesse, ne sont néanmoins pas délesté de douleurs, regrets, passé épique. La série alterne donc ces séances de thérapie et le quotidien de chacun des couples, n’hésitant pas à creuser et c’est là où elle est excelle, la durée des malaises ambiants, afin de détecter ce qui les mets en marche. Comment ne pas s’identifier ne serait-ce qu’un peu à ces séquences qui agissent comme des miroirs de nos vies personnelles ? Un malaise durable s’installe alors entre l’écran et le spectateur, parce que ces interrogations, intimement semblables ou seulement esquissées, sont le lot de notre quotidien, forcément, un jour ou l’autre.
Tout est question de compromis et d’ajustements. Le cœur du problème c’est la communication. Le manque de communication. C’est la constante. Aussi bien sexuellement que pour les plus invisibles instants quotidiens mutuels. Un moment donné, May, la thérapeute, pour répondre aux craintes de David, lui dit quelque chose du genre « Si vous acceptez de venir, tout va changer ». Ce n’est qu’une question d’ouverture d’esprit, d’ouverture à la parole. C’est aussi la beauté de son couple à elle, qui ne vit pas non plus dans une bulle parfaite. C’est un couple dont on sent qu’il a dû franchir les obstacles les plus variés et accepter de composer avec les obsessions de l’autre, pour en arriver là. Et la sienne d’obsession, c’est un homme, un vieil amour de jeunesse. De l’avoir insérer dans le récit aussi délicatement est une belle preuve de pudeur et de finesse illustrant à merveille ce que n’aura cessé d’être la série d’un bout à l’autre de ces dix épisodes.
La série joue admirablement sur les silences et moments suspendus, de ceux qui génèrent la gêne, le malaise, aussi bien dans les scènes quotidiennes que durant les thérapies. C’est d’ailleurs souvent lors d’entrevues solitaires que les personnages peuvent approfondir leur douleur en acceptant de compromettre les secrets de leur couple sans avoir la menace d’un regard à leurs côtés. Le plus bel exemple concerne David, qui rejette d’abord ces séances parce qu’il craint de les voir sonner le glas de son couple, avant d’en devenir finalement plus accroc que sa Katie. Constamment, par petites touches comme celle-ci, la série surprend, tout en restant sur un terrain domestique. Il suffit d’évoquer la place inattendue de Hugo, remplacé assez rapidement par un autre. Tout peut exploser à tout instant. C’est un peu ce que nous offre ce dernier épisode, qui malgré sa fin lumineuse en trois temps, n’aura jamais fait entrer autant d’inquiétude, de fébrilité au sein de ces couples fragiles, qui s’ils s’aiment immensément, ressentent et acceptent qu’ils ont perdu cette osmose qu’ils croyaient avoir construit et pérenniser par le passé. La dernière scène entre Katie et David est l’un des trucs les plus déchirants vu dans une série. Dans une fiction tout court.
La seule lecture que l’on pourrait considérer figée concerne l’attrait particulier pour les personnages féminins – Encore que ce ne soit pas si évident que cela. Que la créatrice de la série soit une femme la rapproche forcément de ses créations féminines. Non pas qu’elles soient valorisées par rapport aux hommes, mais peut-être plus au centre qu’eux, plus disséquées, ce qui souvent les amènent à d’ailleurs être plus agaçantes. On est donc tenté de penser et ce que Tell me you love me fait de Jamie le confirme, qu’avec ou sans les maris, la série continuerait quoiqu’il arrive de rester aux crochets de ces personnages féminins, de leurs névroses, de leur perdition.
Il n’y aura pas eu de saison 2. Ce n’est pas un problème d’audience ou de production, simplement, Cynthia Mort, sa créatrice, juge avoir été au fond de ce qu’elle avait voulu creuser, qu’une suite aurait soit tapé dans la redite soit dans un décentrage qui ne lui aurait pas fait de bien. Et je la rejoins. Ces dix épisodes se suffisent à eux-mêmes. Réalistes. Minimalistes. Aucun générique. Et aucune bande son sinon celle qui clôt systématiquement chaque fin d’épisode, se déclenchant souvent dans une douce séquence de couple pour nous emmener délicatement vers ce fond noir, sur lequel s’inscrit le titre du show en lettres bleues. Que dire d’autre sinon que tout ça m’a follement secoué.
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