Welcome to New York.
10.0 Plus je le vois plus il me sidère. A tel point que je le considère aujourd’hui après ce nouveau visionnage, dans un blu ray extrêmement granuleux accentuant la saleté qui transpire littéralement tout le film, comme un chef d’œuvre absolu, quasi sans parole, tout en filatures et poursuites. Un sommet du genre. Un polar urbain parfait. J’avais en mémoire surtout quelques scènes d’anthologie (métro, voiture sous les rails, hangar) mais en fait tout le film est sur le même tempo, effréné, anxiogène.
On est en 1972. French Connection est un film de son époque – Quand Sorcerer semble lui être hors du temps. Deux flics hallucinés – Finis les policiers tous lisses et sages, place à Jimmy « Popeye » Doyle, véritable brute dopé à l’adrénaline, ripou déterminé, violent, abusif et raciste – ont décidés de faire la peau aux trafiquants de Brooklyn dont la dope envahit les rues et remontent petit à petit jusqu’au numéro un mafieux français, Charnier (Fernando Rey) qui permet l’échange entre Marseille et New York. Le film est plus ou moins tiré de faits réels où en 1962 la brigade des stups avait mis la main sur un important trafic avec la France et 50kg de poudre cachée dans les bas de caisse d’une voiture.
Au moyen d’une mise en scène nerveuse et réaliste (caméra à l’épaule non-stop) Friedkin insuffle à ce polar à priori banal, un rythme qui lui est propre. On n’entrera jamais dans la dimension personnelle des deux poulets, French Connection choisit de montrer les gestes, rien de plus. La filature très souvent en attente, où Gene Hackman semble perdre la sensation de ses orteils dans les rues New-Yorkaises, transis de froid. La filature du trottoir opposé, récurrente ici, dont l’une qui aboutira à une séquence d’anthologie dans le métro. Et en tout début de film une poursuite à pied, effrénée, dans les rues de Harlem qui aboutira à un lynchage total dans un terrain vague par deux flics absolument prêt à tout.
La fameuse séquence de French Connection c’est celle-ci : Le trafiquant est dans le train, il braque le conducteur pour ne pas qu’il s’arrête à la prochaine station ; Gene Hackman est dans une voiture sous les rails et poursuit sa proie à une vitesse inconsciente, les mimiques sont exagérées illustrant toute sa folie vengeresse, son appétit de violence et d’adrénaline plus que de respect de la justice. L’un des trucs les plus dingues que j’ai pu voir sur un écran. Dix minutes de tension pure aussi limpides qu’aliénées.
Et une autre séquence formidable encore (James Gray s’en est probablement beaucoup inspiré pour We own the night) après l’échange de la drogue dans un hangar, sous un pont. On est à la toute fin du film, la tension est palpable, le climat a encore gagné en obscurité, c’est pesant. Dans le Gray c’était Joaquin Phoenix, dans le Friedkin c’était Gene Hackman et Roy Scheider. Dans l’un les roseaux, dans l’autre un labyrinthe obscur de ruines, de saletés où les flics là aussi, sont prêt à s’entretuer.
Friedkin ira jusqu’à engager comme conseillers les flics de la véritable affaire. Un réalisme qui passe inéluctablement par son plus fidèle représentant : la présence de vrais décors. Ainsi le cinéaste tourne tout dehors, entre New York et Marseille et tout en lumière naturelle. C’est l’hiver, c’est brumeux, sale, triste. Il fallait rendre compte de cela. Parti pris renforcé par le choix de filmer majoritairement à l’épaule, où tout sera dynamisé au montage, afin de crée une sorte de réel absolu, proche du docu d’investigation.
French Connection est un polar incroyable, haletant, idéal, réalisé par un spécialiste du cinéma de genre – partagé entre le fantastique (L’exorciste) et l’action movies. C’est un film tout en ambiguïté et en absurdité. A l’image de l’œuvre entière du cinéaste. La quasi absence musicale accentue ce trouble et cette angoisse qui contamine chaque séquence d’un film construit sur les accalmies et les soubresauts, n’hésitant pas expérimenter leurs extrêmes retranchements, soit varier entre un déroutant statisme et une nervosité de mouvement jamais vu.
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