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Archives pour janvier 2015



French connection II – John Frankenheimer – 1975

french-connection-2-1975-01-gL’ennemi public n°1.

   8.0  Je suis ravi de l’avoir revu. Déjà parce que mon souvenir du film était flou et surtout parce qu’il n’était pas bon. Cette suite du film mythique de Friedkin est un très bon polar, classique, nerveux, efficace, qui s’inscrit dans la veine des meilleurs Labro et Deray, parfois même pas si loin d’un Melville. Si je le compare à une certaine frange du cinéma français c’est que French Connection 2 bien que réalisé par un cinéaste américain se déroule entièrement sur le sol de l’hexagone, à Marseille plus exactement. En avril. Il y a donc un contraste éminemment climatique – en plus d’un contraste mise en scénique – entre les deux opus et tant mieux. Frankenheimer ne cherche pas à imiter Friedkin. En revanche il pari complètement sur l’idée de suite, complémentaire.

     L’action semble prendre place quelques mois plus tard. La police new-yorkaise nous envoie le valeureux et imprévisible Popeye (Gene Hackman toujours, heureusement tandis que Roy Scheider aura entièrement disparu du casting) pour clore cette affaire en interceptant définitivement l’anguille Charnier dont on devra se contenter d’accepter qu’il se soit littéralement évaporé dans cette incroyable séquence de hangar désaffecté qui fermait le chef d’œuvre de Friedkin. C’est sa punition : Aller se débarrasser de son obsession sur une terre qu’il ne connait pas. Punition somme toute relative tant on le sait obnubilé par ce trafiquant, Frog one comme il le surnomme.

     Le film accompagne donc Popeye au plus près, d’abord aux côtés de ses collègues français, qu’il méprise gentiment, sur un terrain où il n’est qu’un invité, où il ne peut qu’écouter et observer, ce qui évidemment ne va pas le satisfaire. On connait l’animal. On le suit jusque dans son kidnapping par les hommes de Charnier, qui l’avait débusqué un peu par hasard sur le remblai d’une plage. Oui, Popeye est censé être là incognito mais ça ne l’empêche pas de taquiner le ballon ni de porter des chemises à fleurs. Puis on le suit aussi dans sa désintox – après avoir été séquestré et drogué dans un hôtel miteux – et sa dernière course-poursuite haletante à travers Marseille et le Trolleybus.

     Le film est là aussi traversé de séquences virtuoses, à l’image de l’efficace scène de la cale-sèche. Mais c’est paradoxalement quand il se repli qu’il fascine, qu’il suive Popeye se murger dans un bar (la scène en question est désopilante, le film jouant aussi énormément sur le décalage entre les langues « Whisky avec glace ? – Yes, in a glass ! » Je n’imagine pas une seconde l’intérêt de voir le film dans sa version française, ça doit être ridicule) ou se lâcher dans un monologue génial sur le base-ball ou dans son agonie durant son enfermement. Il faut à ce titre rendre grâce au jeu habité et délirant de Gene Hackman qui est probablement le meilleur cabotin de la planète. Il en fait en effet beaucoup ici mais bordel ce qu’il le fait bien ! Mais c’est aussi la limite du film que de se reposer majoritairement sur lui. Attention je ne dis pas que les acteurs français du film ne sont pas bons, au contraire ils sont excellents (Fresson, Leotard, Castaldi…) mais que Hackman prend beaucoup de place ce qui brise un peu l’unité miraculeuse qui émanait du premier French Connection.

     A part ça j’adore la scène où Charnier découvre (et a donc un temps d’avance) que Popeye est à ses trousses sur ses propres terres. La mise en scène y est très simple, très belle et inventive : Une plage, une partie de volley-ball, un ballon, une femme. La scène parait anodine, détachée, comme si le policier américain était soudainement en vacances et nous avec. Puis la caméra virevolte lentement – abandonnant pour la première fois Popeye – vers un restaurant voisin dans lequel Charnier est en train de manger, parler affaire avec un probable client et découvre par le hasard d’un regard perdu, par le coin d’une fenêtre, le flic immobile au loin sur le remblai. Vraiment très fort.

     Ce n’est donc pas le même film que le précédent mais je le répète c’est tant mieux. Plus écrit, plus aéré, printanier, mais Frankenheimer lui insuffle suffisamment de matière et de punch pour en faire une suite digne, digeste et foisonnante.

French connection – William Friedkin – 1972

French connection - William Friedkin - 1972 dans * 100 1349815057_2Welcome to New York.

   10.0   Plus je le vois plus il me sidère. A tel point que je le considère aujourd’hui après ce nouveau visionnage, dans un blu ray extrêmement granuleux accentuant la saleté qui transpire littéralement tout le film, comme un chef d’œuvre absolu, quasi sans parole, tout en filatures et poursuites. Un sommet du genre. Un polar urbain parfait. J’avais en mémoire surtout quelques scènes d’anthologie (métro, voiture sous les rails, hangar) mais en fait tout le film est sur le même tempo, effréné, anxiogène.

     On est en 1972. French Connection est un film de son époque – Quand Sorcerer semble lui être hors du temps. Deux flics hallucinés – Finis les policiers tous lisses et sages, place à Jimmy « Popeye » Doyle, véritable brute dopé à l’adrénaline, ripou déterminé, violent, abusif et raciste – ont décidés de faire la peau aux trafiquants de Brooklyn dont la dope envahit les rues et remontent petit à petit jusqu’au numéro un mafieux français, Charnier (Fernando Rey) qui permet l’échange entre Marseille et New York. Le film est plus ou moins tiré de faits réels où en 1962 la brigade des stups avait mis la main sur un important trafic avec la France et 50kg de poudre cachée dans les bas de caisse d’une voiture.

     Au moyen d’une mise en scène nerveuse et réaliste (caméra à l’épaule non-stop) Friedkin insuffle à ce polar à priori banal, un rythme qui lui est propre. On n’entrera jamais dans la dimension personnelle des deux poulets, French Connection choisit de montrer les gestes, rien de plus. La filature très souvent en attente, où Gene Hackman semble perdre la sensation de ses orteils dans les rues New-Yorkaises, transis de froid. La filature du trottoir opposé, récurrente ici, dont l’une qui aboutira à une séquence d’anthologie dans le métro. Et en tout début de film une poursuite à pied, effrénée, dans les rues de Harlem qui aboutira à un lynchage total dans un terrain vague par deux flics absolument prêt à tout.

     La fameuse séquence de French Connection c’est celle-ci : Le trafiquant est dans le train, il braque le conducteur pour ne pas qu’il s’arrête à la prochaine station ; Gene Hackman est dans une voiture sous les rails et poursuit sa proie à une vitesse inconsciente, les mimiques sont exagérées illustrant toute sa folie vengeresse, son appétit de violence et d’adrénaline plus que de respect de la justice. L’un des trucs les plus dingues que j’ai pu voir sur un écran. Dix minutes de tension pure aussi limpides qu’aliénées.

     Et une autre séquence formidable encore (James Gray s’en est probablement beaucoup inspiré pour We own the night) après l’échange de la drogue dans un hangar, sous un pont. On est à la toute fin du film, la tension est palpable, le climat a encore gagné en obscurité, c’est pesant. Dans le Gray c’était Joaquin Phoenix, dans le Friedkin c’était Gene Hackman et Roy Scheider. Dans l’un les roseaux, dans l’autre un labyrinthe obscur de ruines, de saletés où les flics là aussi, sont prêt à s’entretuer.

     Friedkin ira jusqu’à engager comme conseillers les flics de la véritable affaire. Un réalisme qui passe inéluctablement par son plus fidèle représentant : la présence de vrais décors. Ainsi le cinéaste tourne tout dehors, entre New York et Marseille et tout en lumière naturelle. C’est l’hiver, c’est brumeux, sale, triste. Il fallait rendre compte de cela. Parti pris renforcé par le choix de filmer majoritairement à l’épaule, où tout sera dynamisé au montage, afin de crée une sorte de réel absolu, proche du docu d’investigation.

     French Connection est un polar incroyable, haletant, idéal, réalisé par un spécialiste du cinéma de genre – partagé entre le fantastique (L’exorciste) et l’action movies. C’est un film tout en ambiguïté et en absurdité. A l’image de l’œuvre entière du cinéaste. La quasi absence musicale accentue ce trouble et cette angoisse qui contamine chaque séquence d’un film construit sur les accalmies et les soubresauts, n’hésitant pas expérimenter leurs extrêmes retranchements, soit varier entre un déroutant statisme et une nervosité de mouvement jamais vu.

Adolphe – Benoît Jacquot – 2002

10. Adolphe - Benoît Jacquot - 2002Les désenchantés.

   4.5   Avant Les adieux à la reine, Jacquot avait déjà donné dans le film costumé. Deux fois : Marianne (que je verrai bientôt) et Adolphe. Malheureusement trop guindée et ronronnante cette adaptation du roman de Benjamin Constant est une muraille d’ennui, qui n’était d’emblée pas pourvue d’une interprétation fait pour me séduire puisque réunissant Adjani, Merhar, Duris et Chattot. Autant dire qu’il valait mieux assurer derrière avec de telles contraintes. Niveau mise en scène Jacquot fait le job, classieux, cadré, quasi Viscontien. Mais il y a si peu de générosité dans sa démarche, de folie dans ses enchaînements que l’objet complet me tient inéluctablement à l’écart. Espérons maintenant que Marianne soit davantage du calibre du très beau Les adieux à la reine

Mea culpa – Fred Cavayé – 2014

17. Mea culpa - Fred Cavayé - 2014Taken 73.

   1.5   C’est très mauvais mais le plus douloureux, je crois, étant de s’en rendre compte dès le premier plan. Là tu le sais, tu le sens, tu t’engages dans un calvaire. Les deux premiers films de Cavayé étaient pourtant tout à fait regardables, modestes polars (que j’ai cependant vite oublié) tout en tension, mouvement et simplicité. Si l’on excepte ici deux séquences d’action correctement fichues (encore qu’il faille passer outre un montage parallèle particulièrement lourdingue) que sont la poursuite post Corrida (Le montage garçon/animal à cet instant c’est du niveau de Lucy) et le TGV, le film est noyé sous un déluge formel absolument ridicule, des dialogues pathétiques, à la manière des pires productions Besson et des pires réalisations de Marchal réunies. Pas facile à faire, j’en conviens.

Donoma – Djinn Carrenard – 2011

14.-donoma-djinn-carrenard-2011-1024x680Guerilla film-making.

   4.5   Oui, oui mais non. J’apprécie la tentative atypique, le geste mais c’est tout. C’est parfois pas loin d’être insupportable, sauf paradoxalement lorsque ça s’étire suffisamment. Mais tout ce flou, ces jump-cuts, ces tremblements franchement, c’est moins libre que complètement calculé, c’est volontairement plus laid que ça ne devrait l’être : mélange inutile de couleurs, contours de cadre foireux, pellicule faussement abimée. Et puis toute la dimension marginale est hyper forcée comme si le film s’autocélébrait dans chaque séquence d’être un électron libre. Après oui, je reconnais qu’il y a quelques instants savoureux (la prof d’espagnol) pour lesquels je peux comprendre un peu l’emballement général qui voit ça comme un nouveau Pialat ou un nouveau Cassavetes – Hum hum. Kechiche lui-même semble porter le film aux nues. Mais faut pas déconner, on est bien loin de L’esquive pour ne citer que sa vraie première réussite critique et césarisée. La démarche chez lui n’a rien de contradictoire, elle va toujours de pair avec son sujet. Donoma et son délire choral bien rance n’est à ce titre pas dans la bonne dynamique. Cela dit, pour 150€ (le budget tant revendiqué du film) il valait mieux que l’interprétation soit de haute volée et c’est le cas. Le film a aussi l’idée ingénieuse de varier ses choix formels mais il ne les tient pas, construit un dispositif qu’il détruit aussitôt. Et puis l’autre souci majeur et pas des moindre, c’est qu’on se fiche royalement de ces personnages pantins.

Retour vers le futur II (Back to the future, part II) – Robert Zemeckis – 1989

retour-vers-le-futur-2-1989-02-gPleasure paradise.

   5.5   J’adore tellement le film de lancement et sa fin est si excitante et ouverte (« Là où l’on va, on n’a pas besoin de route !« ) qu’immanquablement à tous les coups je revois la suite dans la foulée. Bon, j’ai une relation particulière avec cette saga, je l’ai découverte sur le (très) tard, il y a dix ans, voilà c’est dit. Je me sens délesté d’un poids. Ce genre de poids que tu traînes jusqu’au lycée où le film remporta haut la main me concernant la palme du plus grand nombre d’indignations du style « Bordel, t’as jamais vu Retour vers le futur ?! » mais j’imagine qu’on a tous nos petits manqués. On les traîne parfois même plus longtemps. Bref, quoiqu’il en soit, je me suis plutôt bien rattrapé depuis, puisque je visionne les deux premiers volets tous les deux ans, grosso merdo. Le troisième non, enfin ce n’est pas systématique – pourtant je l’aime beaucoup aussi – et je crois que j’ai enfin compris pourquoi aujourd’hui. Explication. Ne pas me lyncher, please. En fait, je trouve que le deuxième volet n’est pas bon. Décevant. J’y ai cru pendant dix ans – tout en avouant chaque fois le trouver moins fort que le précédent – mais in fine ça va beaucoup plus loin : Outre mon éternel attachement aveugle, je le trouve mauvais, foutraque, cartoon, hystérique, systématique, pas toujours inspiré, asphyxiant. Quand l’autre avait tout pour lui, en positif. Sans compter que c’est une suite entièrement dépendante de l’original. Franchement je ne me vois pas le revoir sans avoir revu l’autre juste avant. C’est déjà un problème en soi. Mais au-delà de ça le dispositif me paraît grossier, toujours dans une surenchère mal dosée, exploitant un filon qui a déjà fait ses marques. La fin en forme de teaser du troisième volet est aberrante à souhait d’ailleurs. Alors Ok ça reste super drôle (Les fameux paradoxes temporels, la virtuosité du Doc’s show, les autres sois…) et méga vertigineux (Trois niveaux de temporalité) mais c’est finalement plus lourd qu’émouvant, plus extravagant que limpide, c’est une représentation de cirque – Biff Tannen est INSUPPORTABLE, l’acteur est nul. Dans le premier, la simplicité – après le suivant le premier paraît rudimentaire – faisait naître l’émotion. C’était un vrai film d’amour. The power of love. Il ne reste là qu’un tunnel de sophistication, tout est scénario. Alors je l’aime toujours en tant que suite, jouissive, démesurée, mais il ne me dupe plus en tant que film à part entière. Pire, la deuxième partie m’ennuie. Voilà pourquoi je n’enchaîne presque jamais sur le troisième. Ce dernier a au moins pour lui d’être pareil en étant complètement différent, plus ramassé, romantique et c’est un tout autre décor. En définitif je crois que je préfère le 3 au 2 pour la toute première fois. 

Retour vers le futur (Back to the future) – Robert Zemeckis – 1985

retour-vers-le-futurThe power of love.

   8.0   Le premier plan avec générique incrusté, tournoie lentement dans une pièce pleine de trucs et d’inventions en tout genre, qu’on aurait comme laissés là à l’abandon, en état de marche. Ici un dispositif de repas régulier pour chien, ici une télévision branchée, là un service à café coulant dans le vide… Et tout un tas improbables d’horloges, réveils, montres et pendules. Le film est déjà traversé par la folie du temps bien que les soubresauts de ce dernier ne nous atteignent pas encore. Cette pièce c’est le local fou du docteur Emmett Brown, scientifique déraillé, qui a entrepris de construire une machine à remonter le temps depuis qu’il s’est cogné la tête dans ses toilettes voilà trente ans lui offrant illuminations et révélations insoupçonnées.

     La première partie du film, avant le rendez-vous donné par Doc (Christopher Lloyd, cabotin magnifique) à Marty (Michael J. Fox, jeune chien fou) sur le parking du supermarché des deux pins est une véritable mine d’indices et détails en apparence futiles, qui seront par la suite alambiqués jusqu’à jubilation. C’est le propre de ces films d’époque, Les goonies la même année, Un jour sans fin un peu plus tard, de jouer sur une générosité sans fin, posant leur décor dans une longue introduction avant de le réutiliser et de le malaxer dans tous les sens un peu plus tard.

     Ce qui au départ s’avère être un pur jeu avec le temps sans réel point de chute attendu – Une Dolorean, du plutonium, un convecteur temporel, une vitesse requise de 88 miles à l’heure – devient vite un jeu dangereux avec leurs vies – Doc est brutalement refroidi par le groupe extrémiste à qui il avait préalablement subtilisé – clin d’œil à la télé au tout début – l’élément chimique nécessaire – et avec la vie future – Marty entre en contact et bien plus encore (il sauve son père de l’accident qui avait fait rencontré ses parents, là-aussi les indices sont dans l’introduction) avec sa famille ascendante.

     S’installe alors un subtil jeu de cache-cache ô combien jouissif où les situations les plus folles s’enchaînent pour tenter de réimbriquer le puzzle mélangé afin que l’avenir ne soit pas modifié. Une photographie de famille sert d’appui – Unique élément qui me paraît peu convaincant, par ailleurs – permettant à Marty de vérifier de temps à autre s’ils sont parvenus à tout bien remettre en place. Il y aura forcément une histoire avec cette horloge, celle du clocher qui ne fonctionne plus depuis que la foudre s’est abattue sur la ville trente ans auparavant. Pile dans ce passé dans lequel Marty se retrouve coincé. Tout a un sens et celui-là plus encore que les autres puisqu’il est l’unique porte de sortie de cette temporalité passée qui deviendrait à jamais alternative si Marty ne parvenait pas à regagner son propre temps. Mais il lui faut pour cela réunir une puissance de 2.21 gigawatts. Mission impossible en 1955. Sauf par la foudre. Mais on ne sait jamais où elle tombe. Sauf cette fois-là. Voilà tout le délire volontiers euphorique dans lequel nous plonge Zemeckis.

     Ayant troublé le futur en se faisant renverser par la voiture de son grand-père maternel, prenant malencontreusement la place de son père, Marty se retrouve alors convoité par sa propre mère, qui ne cesse de l’appeler Pierre Cardin, pensant que son nom est inscrit sur son caleçon. Effet Florence Nightingale, cité d’ailleurs par Doc, couplé d’un paradoxe du grand-père et d’un complexe d’Œdipe, on peut dire que Marty a foutu malgré lui un sacré bazar dans cette temporalité dans laquelle il n’est pas encore censé exister.

     Alors on pourra quand même y déceler un certain éloge du Reaganisme. Oui, c’est ma grosse réserve, pour chipoter. La fin fait un poil trop l’apologie du bonheur par la réussite professionnelle. Mais bon, s’il avait été beau de ne pas finir en happy-end ça aurait néanmoins inéluctablement tout plombé. Surtout qu’il faut clairement le garder comme une pure comédie. De celles que l’on peut revoir à l’infini qu’elles nous amuseraient toujours. De celles où le décalage temporel permet toutes les facéties les plus folles, se permettant de malicieuses uchronies inconséquentes – Le frère de Chuck Berry offrant par téléphone le Johnny B. Goode improvisé de Marty, qui en profite pour inventer le duckwalk tandis que le même jour il inventait le skateboard – à un brassage total de la pop culture – Références directes à Star Wars, Star Trek, Michael Jackson et j’en passe. Soit l’un des trucs les plus jubilatoires que le cinéma ait fait éclore.

C’est la fin (This is the end) – Seth Rogen & Evan Goldberg – 2013

07.-cest-la-fin-this-is-the-end-seth-rogen-et-evan-goldberg-2013-1024x680Dernière danse.

   5.5   C’est un film aussi intéressant théoriquement, sur ce qu’il raconte et symbolise de la fin d’un courant, la comédie US façon Apatow, que vain en tant que pure comédie, avec cette mécanique nombriliste et rébarbative sans grande imagination. Disons que la première partie pré-apocalypse est très drôle, tout en autodérision et blindée de méta références – l’idée géniale est de faire jouer les acteurs dans leur propre rôle, évoquant leur passé commun (Délire express, par exemple), caricaturant leurs anciens rôles ou en travaillant gentiment les caméos – puis tout se dissout progressivement avant un dernier tiers avec des monstres pas loin d’être nul. On a vraiment l’impression que la bande avait le point de départ mais qu’ils se sont égarés ensuite. Et là aussi on ne peut qu’y déceler une sorte de parallèle funeste avec le nombre de produits du même style – sauf rares exceptions – qui ne tiennent pas toutes leurs promesses, si tant est qu’elles en avaient. Du coup c’est un film important. Pour ce qu’il est, ce qu’il ferme, avec punch mais sans audace, dégommant allégrement tout ce qui l’a fondé avec comme seul crédo de tout remettre sur le compte de l’amitié. Un dernier tour de piste avec toute la bande qui bien que je ne connaisse pas encore tous leurs délires – me mettant probablement à l’écart de certains trips – fait du bien, malgré tous ses défauts et son évidente paresse créative.

L’aventure du Poséidon (The Poseidon adventure) – Ronald Neame – 1973

22. L'aventure du Poseidon - The Poseidon adventure - Ronald Neame - 1973« Au milieu du chemin de notre vie
Je me retrouvai dans une forêt obscure,
Dont la route droite était perdue. »

     10.0   Je connais ce film depuis ma plus tendre enfance. Je l’ai revu hier pour la énième fois. Comme chaque année. J’y vois toujours ce maître étalon et précurseur du genre, le film catastrophe, et bien plus encore. Un grand film sur le confinement et la survie dans une société à son point de rupture. Une parabole sur la majorité, l’effet de groupe. Un voyage dans les enfers avant un salut désenchanté. Je vais essayer d’en parler et tenter de rester le plus objectif possible, mais je ne garantis rien.

     Dans les années 70 naissaient les films catastrophes. Le film de Ronald Neame côtoyait celui de John Guillermin, qui réalisa La Tour infernale. Il y’en a probablement d’autres mais ce sont les deux seuls que je connaisse ou qui m’aient véritablement marqués. Ce genre a repris du galon dans les années 90/2000 se concentrant davantage sur ses effets spéciaux, le couronnement étant l’insipide 2012 de Roland Emmerich. Il a même fallu attendre 2006 pour qu’Hollywood nous gratifie d’un remake du Poséidon, réalisé par Wolfgang Petersen (dont c’est à ce jour le pire film) qui ne propose rien de nouveau à l’original si ce n’est une débauche d’effets spéciaux curieusement nullissimes.

     Les effets spéciaux de L’aventure du Poséidon sont obtenus avec les moyens du bord, jamais sensationnels, jamais grotesques, juste minimalistes et relégués derrière le récit. Le minimalisme n’a que du bon de toute façon, il suffit de voir combien cela fonctionne de faire tanguer imperceptiblement – Lors de sa partie introductive, le film est déjà dans ces petits balancements – une caméra et y apporter un son étouffé de taule qui grince. Au début du film, le générique défile sous les plans du paquebot naviguant dans les eaux pas encore déchaînées accompagné de la musique de John Williams. Puis il y aura un petit texte d’introduction expliquant que le navire en question a fait naufrage un 31 décembre et que le film souhaite raconter l’histoire des survivants du naufrage. C’est donc un film de survie. Le paquebot n’est qu’un décor.

     Il y a deux idées majeures dans le film qui se révèlent intéressantes : D’abord le choix de ne jamais compenser le drame de l’intérieur par l’extérieur. Le film se fige dans le bateau il n’ira pas ailleurs, aucun point de vue n’en sera apporté de l’autre monde. Ensuite, il se concentre rapidement sur un petit groupe de personnes, pas forcément liées dans le récit, dont on comprend qu’ils le seront après la catastrophe. Au centre de ce groupe, un révérend, joué par Gene Hackman. Homme de foi progressiste qui prône le courage, l’essai, les vainqueurs et n’accepte pas de se soumettre aux prières. L’image pourrait être grossière mais le film ne s’en porte que mieux. Ce sera lui l’artisan d’une évasion un peu folle comme s’il trouvait là une matérialisation à son salut, un moyen de combler ce qu’il recherche depuis toujours. Je vais heurter les puristes mais ce schéma me rappelle Stalker de Tarkovski dans la mesure où il s’agit là aussi d’un guide, orgueilleux, aveuglé par la foi et obsédé par cette transmission de la foi.

     Le film ne fait pour autant pas son apologie. A première vue on serait pourtant tenter de dire que si, puisque à cette initiative de grimper vers la salle des machines (rappelons que le paquebot s’est retourné, d’ailleurs la reconstitution à l’envers est très réussie) acceptée par neuf personnes et refusée par une majorité qui fait confiance en une possible arrivée des secours, répond cette suite des évènements tout juste post grimpette dans l’arbre de Noël servant à atteindre les cuisines (rappelons que le bas c’est le plafond) deux explosions et l’inondation de l’étage. Tous se précipitent, désormais animaux dans la plus pure des représentations de survie, et échouent leur sauvetage dans un sapin factice qui s’écroule sous le poids bien trop élevé de ses innombrables hôtes. Le révérend Scott peut fermer les portes des cuisines, après avoir été impuissant à ce climat de panique suprême situé en dessous de ses pieds et le film, comme survie par pièces et par étapes, peut repartir autrement.

     C’est que pourtant, dans cette scène précédant le drame, le révérend tente de convaincre encore et encore et jette son ultime dévolu sur cet ami, prêtre classique, qui lui avoue ne pas pouvoir abandonner ses confrères, même s’il sait qu’ils sont irrémédiablement condamnés. Le révérend voudrait un avis sur son sermon (du début de film) espérant qu’il trouvera là le parfait argument pour que son ami le suive. C’est un sermon pour les forts, lui répondra t-il. Cette scène est forte car elle a au moins le mérite de replacer cette idéologie extrême dans son égoïsme, sa dévalorisation de la peur et son aspect téméraire difficilement confortable. On pourrait se dire, en rapport aux évènements qui suivent et atteignent le petit groupe de survivants, qui sera quasiment décimé de moitié à la fin du film que c’est un choix légitime que de choisir de mourir en toute sérénité, de ne pas accepter le combat, de ne pas vouloir jouer les héros.

     Plus tard, lorsque le film se concentrera uniquement sur le petit groupe, les mêmes divergences apparaîtront, de façon à mettre au centre les divisions entre les humains. Le confort passe soit par la certitude, soit par le nombre. Ils ne sont qu’un petit groupe qui suit un révérend qui avance à tâtons. Y a plus décontracté que ça comme situation. C’est parfois d’ailleurs assez drôle, essentiellement entre Scott et Rogo – le premier n’hésitant pas à faire remarquer au second qu’il l’insupporte puisqu’il en est son miroir. Et les doutes sonnent souvent par couple de personnages. Monsieur et madame Rosen en premier lieu, un couple de retraités qui fait le voyage vers Israël afin de voir leur petit fils pour la toute première fois. Belle et Manny. Leurs noms sont déjà porteurs de tragédie. La forte personnalité c’est elle mais ici elle ne vaut plus rien selon elle, son poids devient un handicap, il faudrait l’abandonner au bas du sapin puis plus tard devant le corridor étroit menant aux cheminées puis plus tard tout simplement parce qu’elle ne sent plus la force de poursuivre elle offre à son mari le pendentif de la vie qu’elle souhaite voir remettre à son petit fils. Il y a aussi Nonnie et Monsieur Martin, deux démunis de la vie, elle parce que son frère est mort pendant la culbute du paquebot, lui car c’est un célibataire éternel. La perte de son frère l’affecte tellement qu’à plusieurs reprises elle n’est pas loin de déposer les armes, et il lui faut un garçon comme lui pour lui faire reprendre confiance.

     Le film joue beaucoup là-dessus. Tout est question de foi. Sauter sans réfléchir dans un rideau bien tendu. Plonger à l’aveugle dans un corridor détruit et submergé. La curiosité d’un enfant est plus forte et efficace que la sagesse des aînés. C’est une sorte de revanche des faibles : Le commissaire est inutile, le capitaine est d’emblée sacrifié, le pasteur est résigné. Il faut compter sur un révérend aux méthodes peu orthodoxes puisqu’il refuse tout refuge vers la prière, un enfant guide dont l’extrême curiosité conduira le groupe vers le bon côté, un flic bourru et tout en contradictions qui lui permettent à la fois de servir d’image rejet ou de supplanter les héros malmenés quand la situation le demande – la cheminée, l’écoutille, le couloir sous les eaux.

     Le film devient une progression sur plusieurs niveaux, d’un palier à l’autre. Comme à la maison – la croisière est censée rejoindre Athènes depuis New York – Broadway est l’unique lien entre les extrémités, ici la proue et la poupe. Un axe évoqué que l’on ne verra véritablement jamais tant chacune de ses zones semble avoir subie la dure loi des explosions à répétition. Le groupe ne cesse donc de contourner son tracé idéal – coursives, cheminées, poches d’air, passerelles – pour atteindre son but : L’arbre d’hélice, cet endroit convoité où la coque ne fait qu’un pouce d’épaisseur. Le dernier plan du film, parfait, c’est l’arbre d’hélice, vu de l’extérieur, unique porte de salut depuis le début du film. Depuis que Robin s’en allait dire à sa soeur que le mécanicien des machines allait lui faire visiter. Enfant guide, déjà.

     Il y a finalement très peu de musique. La bande son est essentiellement composée de craquements, froissement de tôle, bruits métalliques, liquides. Il y a tout une dimension angoissante autour de l’eau, de ces vagues menaçantes à la lame de fond, avant cette montée progressive entre les compartiments avant cette apothéose tout en tension, héroïsme et cruauté que constitue le couloir submergé. L’eau, élément fort. Le décor aussi. Tout est à l’envers. Cuisines. Toilettes. Salon de coiffure. Salle des machines. Ce ne sont que des passages de relais à travers un décor bouleversé. Des pertes humaines qui font progresser les survivants. Le salut ne sera dû qu’à une avalanche de bruits de métaux sur une coque. Chaque regard est alors cadré lentement, tragiquement dans un final bouleversant qui contient toutes les épreuves et les victimes dont ces deux superbes et éprouvantes heures sont remplies.

     C’est le propre de tous ces films catastrophes de l’époque, ils ne sont pas tendre avec leurs personnages, n’hésitant pas à les éliminer, au moyen de sacrifices (Belle et Scott) ou de simples aléas anodins (Linda et Acres). Belle, la vieille femme juive précédemment pétrifiée à l’idée de brûler vive dans les cuisines – On sait ce que l’idée convoque – se retrouve confrontée à ce qu’elle sait faire, nager, alors que jusqu’ici elle n’était qu’un boulet (l’espadon de Robin pêché à Hawaï) et s’en va délivrer d’une situation embarrassante le révérend parti en éclaireur dans une salle des machines inondée. Son cœur ne tiendra pas. Le révérend quant à lui voit son salut ultime à bout de bras, renfermant la vapeur qui se libérait et empêchait d’ouvrir la toute dernière porte de ce parcours titanesque. Il disparaîtra, sacrifié, dans les eaux, sous les flammes. Acres, seul serveur sauf des cuisines, et durablement blessé au genou n’aura pas de chance dans la cheminée, disparaissant vers les fonds lors du tremblement du paquebot causé par l’une des multiples explosions. Linda subira le même sort à la toute fin du film et fera le saut de l’ange dans les flammes.

     Le révérend avait sans doute raison, il fallait au moins se donner les moyens de vaincre. Mais à quel prix ? C’est aussi ce que le film raconte, les divergences entre les hommes. Il ne donne pas de point de vue définitif, dans l’un comme dans l’autre, l’issue contient sa fatalité. Toujours est-il que ces nombreux contrepoints au discours du révérend sont intéressants dans la mesure où ils apportent une nuance. Dans la grande salle de fête il avait raison, il fallait grimper, enfin tout du moins on n’imagine personne ne se sortir du guêpier dans lequel il les laisse, dans lequel on les voit pour la dernière fois. Mais dans ce grand couloir, qu’en est-il de ces survivants dont personne n’avait anticipé la possibilité de les croiser ? Le révérend se croyait seul. Du haut de son orgueil, il pensait être le seul à avoir échappé provisoirement à l’issue fatale. Cette nuance ne sera qu’une nuance. Les quelques passagers croisés, qui doivent correspondre aux malades laissés dans les chambres, qui suivent aveuglément le docteur comme les autres suivent presque aveuglément le révérend, prennent l’option de filer vers la proue quand notre petit groupe garde celui de s’échapper vers l’arrière. Ils disparaîtront du récit aussi vite que leur inattendue et brève apparition.

     C’est le purgatoire de Dante. Caton y est remplacé par Poséidon. L’embouchure du Tibre par le large de la Crète. Ils vont au plus profond du bateau, écartent les corps, leur passent dessus pour s’en sortir, perdent une partie du groupe en cours de route. Et il y a forcément, impossible qu’il s’agisse d’une coïncidence, la figure christique du sacrifié lors de la séquence sublime de la valve rouge où le révérend entonne sa colère à dieu. Les signes religieux sont manifestes ce qui n’empêche aucunement au film de faire exister son groupe, ses personnages, de sortir du concept pour proposer un pur récit d’aventure et de survie dans la tradition (future) du genre.

     Le film souffre de quelques erreurs de montage principalement liées à la montée des eaux, dès l’instant que tout s’accélère. Titanic de Cameron vingt-cinq ans plus tard était parfait à ce niveau-là. Pourtant, ça n’est pas gênant ici, le film garde néanmoins son angoisse et tient en haleine tout du long. Depuis cette alarme. Un bruit qui lance tout. Casse les festivités. Un son que je n’oublierai jamais. C’est précis, sans fausses notes, avec les pointes d’humour coutumières du genre, cette musique entêtante qui ne m’a pas quitté depuis tout petit, et les dialogues ne sont jamais bêtes et faciles et quand ils n’en sont pas loin, témoignent d’une inquiétude ou d’une mélancolie appartenant à la situation dans le récit. Quant à la fin (la partie salle des machines) ça n’a pas changé, je la trouve incroyablement oppressante et bouleversante. Assurément l’un de mes films de chevet.

L’arbre, le maire et la médiathèque – Eric Rohmer – 1993

36.-larbre-le-maire-et-la-mediatheque-eric-rohmer-1993-1024x670Les sept hasards.

   8.5   Afin de rappeler qu’il est toujours ce magicien des mots, qui aime détourner les plus infimes apparences, Rohmer a d’abord conçu un titre bâtard en forme de triple aventure, agrémenté d’un sous-titre que tout le monde a oublié : Les sept hasards. Une thématique qu’il chérit comme d’aucuns. Le film s’ouvre dans une école où un instituteur chevronné donne son cours sur la proposition subordonnée circonstancielle de condition. Autant dire qu’on est déjà dans le jeu, ludique partie de cache-cache avec les tournures, les apparences et les situations.

     L’Arbre, le maire et la médiathèque comme auparavant Perceval le gallois ou plus récemment Quatre aventures de Reinette et Mirabelle, est structuré en chapitres. Les parties suivent la suggestion du sous-titre du film, ces fameux hasards. Sept chapitres, sept hasards qui exploitent évidemment la thématique du film, à savoir présenter le quotidien d’un maire socialiste d’une petite bourgade de Vendée et son projet de construire un complexe sportif et culturel dans un lieu abandonné du village.

     Le maire de Saint-Juire est incarné par l’excellent Pascal Greggory, déjà présent chez Rohmer dans Pauline à la plage, ici surprenant en campagnard politique décalé, Delanoïste vendéen en quête d’une joie de vivre solidaire, qu’il imagine dans un petit village isolé dont l’idée un peu foutraque attire autant les doutes que les encouragements. Rohmer poursuit donc toujours sa quête 80’s d’un affrontement Ville/Campagne, en le politisant cette fois davantage, très proche, en somme, d’un conte de La Fontaine.

     Mais le titre du film est déjà – encore – un leurre. Un demi-leurre. Un arbre qui n’est bientôt plus. Un maire qui n’est déjà plus. Une médiathèque qui n’est pas encore. Le film se dénommerait La romancière, la journaliste et la petite fille qu’il serait déjà plus représentatif de sa propre dynamique. Une affaire de femmes, une fois de plus, dans un jeu de rôles dans lequel l’homme n’est qu’un pion figé, chacun dans son monde à lui, autour duquel les femmes proposent les vrais aboutissants.

     La place est laissée aux personnages. Il y a cette amie écrivain, personnage sophistiquée (de ceux que Dombasle prend un malin plaisir à incarner) qui sert en quelque sorte d’agent au maire sortant et découvre les joies de la campagne et l’appui dans son projet ; cet homme rédacteur très réputé qui évalue son projet avec un scepticisme évident ; cette femme qui par le plus grand des hasards se retrouve embauchée pour écrire un article sur cette idée ; cet instituteur qui refuse cette implantation ; la fille de ce dernier qui se révèle plus patiente et réfléchie que son père… Et tout ce petit monde gravite autour de ce maire et interagissent pour faire aboutir ou capoter son idée. Le choix de cette découpe en chapitres est probablement l’idée la plus judicieuse car en accord parfait avec son récit.

     Et bien entendu il y a cette évocation des hasards, principe très rohmérien (cf. Le Rayon Vert ou Conte d’Hiver) qui participe ici pleinement à l’élaboration de ce projet, aussi futiles soient-ils au départ. Une fois c’est un répondeur débranché, ailleurs c’est un ballon qui se retrouve malencontreusement chez le voisin. Et ces petits événements concourent à changer le destin de cette petite histoire de construction de médiathèque.

     Il ne faut évidemment pas oublier l’humour permanent, inhérent au cinéma de Rohmer mais plus développé ici encore. Et ce naturel qui ressort de nombreuses séquences donnant l’impression d’une part libre à l’improvisation – ce qui est rarement le cas chez Rohmer – et de fraicheur – La fameuse prise unique. En ce sens, Fabrice Luchini et Arielle Dombasle sont les plus prodigieux. Cette scène où il effectue un monologue colérique inutile où il défend comme il peut sa terre, son arbre, que sa fille interrompra bientôt par un « Tu parles dans le vide papa » ou cette scène où elle démontre par A+B l’inutilité, la froideur, la laideur des places de parkings sont des séquences absolument géniales. A se tordre.

     Alors bien sûr, beaucoup diront que le film de Rohmer est d’une naïveté déconcertante – l’intervention de cette fille de 10 ans étant la plus fervente démonstration – mais n’est-ce pas avant tout pour servir un récit, une réflexion qui elle, relève du faussement naïf ? Car mine de rien c’est un grand film politique aussi. Bien ancré dans une époque où l’écart gauche/droite se faisait déjà de plus en plus étroit.

     Cette parenthèse rohmérienne vaut surtout pour son curieux mélange des genres. A la fois très éloignée de ses essais habituels, contes saisonniers et moraux comme comédies proverbiales, tout en étant proche de certains autres, moraux essentiellement. Plus découpés, chapitrés, à la manière du Signe du lion ou de Quatre aventures de Reinette et Mirabelle. Et situé à mi-chemin entre Rozier, Eustache et Depardon, plus encore qu’à l’accoutumée. Il y a l’utopie passagère du premier, la gravité masquée du deuxième, la parole au réel du dernier. Un film où les politiques ont le premier mot (l’idée), les paysans le bon mot (la réalité) et les enfants le dernier (le rêve).

     C’est donc une sorte de disserte pour rire made in Rohmer. Sur ses interrogations politiques, et le rôle prépondérant du hasard. C’est aussi la convocation de certains termes « piliers » dans la politique (Réac/écolo, socialisme/libéralisme, Ambition/mégalomanie) qui ne trouvent pas de signification directe ici. Et tout cela pour accoucher non pas sur un récit d’une lourdeur indigeste mais plutôt sur quelque chose de léger, drôle, subjectif, rythmé qui en fait l’un des films les plus passionnants et jouissifs de son auteur.

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