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Archives pour janvier 2015



Top 25 Albums 2014

J’ouvre une nouvelle page concernant les albums qui m’ont le plus marqués durant cette année 2014. Je m’en tiens à 25, qui me satisfont pleinement. Très belle année musicale. Même si je n’ai pas vraiment un disque qui se détache. Disons que les quatre premiers, dans leur genre, sont ex-aequo.

Thurston-Moore-The-Best-DayThurston Moore, The best day
L’acoustique Demolished thoughts déjà, avait été un monument il y a deux ans. C’était un album insondable, tout en indécision. Thurston Moore récidive et enfonce le clou dans ce sublime album libérateur, retour de mélancolie en forme de spin off de Sonic Youth, dont on y retrouve atmosphères et sonorités. Moore est en terrain connu, il a bientôt soixante ans et s’abandonne à nouveau à ses première amours, alliant perfection rock, dérive post punk, instrumental dégénéré et voyage mélodique d’une classe de légende.
 
Pjusk, Solstøv
Epais brouillard tout en textures fragiles. Une affaire d’échos distendus, d’apparitions de trompettes, de voix qui nous extirpent parfois de l’immensité pour mieux nous y engloutir ensuite. L’ambient proche de la perfection, avec ses infimes variations, ses crépitements inattendus (Blaff tient du génie pur). L’enchainement final Glod/Skimt est probablement ce que j’ai entendu de plus beau et vertigineux cette année, quelque part entre Mogwaï et Mountains, à leur meilleur.
 
Sunn o))) & Scott Walker, Soused
Association rêvée entre les cris gutturaux de l’un et le drone tellurique des autres, Soused est un gros magma lugubre, épaisse mélasse combinant un lourd métal ambient et des collages vocaux magnifiques, qu’Argento aurait rêvé en bande son. Le climat est oppressant et saturé à souhait et les élans de Walker crispants. Le mélange de boucles aliénées (Lullaby) et d’expérimentations abstraites (Fetish) font de cet album un brulant objet sans égal ni précédent.
 
Swans, To be kind
Un Swans gros calibre ! Une machine infernale de deux heures, vrai rock de taulard bien viscéral. Moins parfait et immédiat que The seer, mais plus fou et torturé. Plus inépuisable aussi je pense. Preuve est qu’à chaque nouvelle écoute j’ai l’impression d’entendre un album un peu différent. Ovni monstrueux. Et violent.
 
Valentin Stip, Sigh
Les lumières s’éteignent lentement. La nuit enveloppe tout, caressante. Léthargie gracieuse et enivrante. Le voyage va être doux, sensuel, mystique. C’est une douce plongée sous hypnose voguant entre le cinéma d’Herzog et celui de Kiarostami, perdus entre les berges et les déserts, l’enlisement et le sillonnement. Ça pourrait durer des heures.
 
Timber Timbre, Hot dreams
Petite (43min) chamber pop d’une élégance continue, reléguant Tindersticks (dont le dernier album Yprès n’est guère passionnant) au placard. Bulle down tempo brillante sans fausse note, en perpétuelle évolution, où la moindre variation relance tout l’album, qui ne se repose jamais sur un tracé attendu. La piste centrale Grand canyon m’y fait presque visiter ses grottes et cavernes.
 
Lucy, Churches schools & guns
Dark techno grasse et généreuse, bombe rythmique transcendantale, quelque part entre Reznor, Tzolkin et Monolake.
 
Francesco Clemente & Heinrich Dressel, Il faro
Entre fines nappes ambiantes à la Eno et ritournelles à la Tangerine Dream, de Fog à Sorcerer, en passant par des dérives cauchemardesques tendance Cronenberg pour s’achever dans les rivières d’un Fitzcarraldo, Clemente atteint le sublime. La partition de Dressel est plus opaque, enfouie à la fois dans le fantastique 80’s et le film d’horreur rêvé, avec ces nappes d’épouvante aux sons de cloches dans une grotte, avant de s’élever vers les cimes cosmiques nous invitant brièvement dans le Interstellar de Nolan dans lequel on aurait ôté l’orgue à Zimmer. La dérive finale dans des eaux glaciales achève de rendre cet album incontournable et d’en faire l’un de mes gros coups de cœur de l’année.
 
Yom, Le silence de l’exode
Alchimie exaltante, épique et solaire fait de clarinette, contrebasse et violoncelle (qu’on n’a jamais entendues ensemble ainsi), de percussions étonnantes, de respirations pleine de souffrance, qui donne envie d’accompagner Daenerys et ses dragons dans leur long périple désertique vers Westeros. A l’origine c’est une commande, à la fin c’est un pur album aventurier, une traversée divine où même Moïse serait en pleine transe.
 
Lawrence English, Wilderness of mirrors
D’habitude on a Tim Hecker, cette année c’est Lawrence English, qui nous offre un drone métallique, qui te catapulte dans les ténèbres ou sous la glace, au choix, avant de t’étreindre dans une dernière piste interstellaire d’une terrifiante beauté.
 
Sébastien Tellier, L’aventura
J’avais un peu laissé Tellier de côté sur les deux derniers albums sans avoir quoi que ce soit à leur reprocher par ailleurs, simplement c’était un peu moins pour moi quoi. Là je retrouve celui de Sexuality. C’est beau, ça donne envie de danser, de plonger dans les vagues, de prendre la voiture. C’est d’une élégance sans bornes. Un vrai bonheur. Qui contient l’un des plus beaux titres de l’année, dans la lignée de sa ritournelle. Idéal avec le beau temps,  pour accompagner la coupe du monde, avec sa tendance brasilou.
 
Damien Jurado, Brothers and sisters of the eternal son
Véritable rêverie folk aux accents psychédéliques, nuage métallique en forme de retour de Maraqopa, assez différent, sans saison, incantatoire, accidenté. Album hallucinogène et cosmique dans lequel je m’y sens comme dans mon lit.
 
Butterfly in the snowfall, Butterfly in the snowfall
La voix de Chauveau et le génie harmonique font de ce folk ambient sublime une sorte de rêverie lunaire en solitaire ou un abandon dans un western sauvage. Album de l’ascète parfait. La deuxième piste, End of silence, est l’une des plus belles choses écoutées cette année.
 
Beck, Morning phase
Songwritting mélancolique, reprenant les traits de Sea Change, en plus lent et plus folk, donnant envie d’enfiler un plaid en se blottissant à deux au coin d’un feu. Pépite sublime aux relents d’un Neil Young 70’s en pleine réincarnation.
 
Francis Harris, Minutes of sleep
Deep-house jazzy down tempo d’une délicatesse infinie. A la fois triste et joyeuse, riche et rudimentaire, l’écoute peut tout aussi bien glisser sans éveiller quelque attention ou s’immiscer durablement, avec sa rythmique fine en bouche qui fond sous le palais, ses trompettes et violoncelles ci et là qui élèvent le tout vers des cimes cotonneuses, d’une pudeur et d’une fragilité extraordinaire. Tout est posé, sans forcer, ce ne sont que boucles et petites touches aériennes qui s’échappent de nulle part. Parfait pour les fins de soirées trop arrosées, comateuses, disque d’été pour s’enivrer des étoiles, flâner dans les rues, écumer les dernières bières sur sa terrasse, s’endormir là sur une chaise longue ou sur une plage.
 
Sunn o))) & Ulver, Terrestrials
Album charbonneux tout en cuivre, atonal. Matière grinçante, hypnotique, dévoilant de vastes paysages apocalyptiques plein d’angoisse et de douceur funestes mêlées. La superbe libération vocale finale n’est qu’un leurre, disparaissant progressivement dans le retour d’une pesanteur terrifiante.
 
Shxcxchcxsh, Linear S decoded
Moins tétanisant et hypnotique que le précédent qui était d’une violence sans nom, ce deuxième essaie révèle une techno plus aguicheuse, éclectique et dense, sans pour autant que le groupe ne renie ses racines bestiales dans une avalanche rythmique chevronnée et mélancolique. Quiconque cerne un minimum mes sensibilités dans le genre sait que c’est un album pile poil pour moi. Inégal certes, mais bordel ce que ça déboite !
 
Andy Stott, Faith in strangers
Le morceau d’ouverture ainsi que la pochette évoquent le Tzolkin de l’an passé, on s’attend donc à encaisser du tribal à gogo. Mais hormis quelques légères stridences au sein de l’épaisse brume qui enveloppe le morceau, le tempo attendu se meurt puis s’englue ailleurs. Du pur Andy Stott, en somme. Les voix surgissent de l’effroi, muraille de sons tout droit sortis d’un Portishead sous MDMA, avant que Science and industry ne brise soudainement tout, revisitant à sa façon un post punk à la Tropic of cancer. En fait ça pourrait presque être du club si les morceaux n’étaient pas aussi étirés et distordus. Idem sur No surrender dont on a l’impression qu’elle s’en va chevaucher les plates-bandes des Chemical Brothers avant de fuir à toute berzingue vers une sorte d’Amon Tobin. C’est un album difficile à définir, sans cesse surprenant. J’aime un chouia moins sa seconde partie, trop dark par rapport au reste peut-être bien que l’avant dernière piste clubesque fasse un bien fou.
 
The pains of being pure at heart, Days of abandon
Un troisième album remarquable, tout en cohérence et en retombées cotonneuses. Moins shoegaze que pop la partition est néanmoins très fine et se révèle un parfait accompagnant pour quitter la fraicheur printanière. C’est doux, c’est rond c’est idéal pour la voiture. Un album à l’image du titre de sa plus belle piste, de corail et d’or.
 
Lee Gamble, Koch
Nécessite un nombre considérable d’écoutes pour en balayer tous ses recoins, en ouvrir ses nombreux tiroirs – Ne serait-ce que pour saisir le moment d’écoute idéal. Mais une fois en condition, c’est un album techno plus que savoureux, partagés entre pures pépites clubby pour défoncés et expérimentations sonores mélodico-psychotiques. C’est parfois un peu long, un peu fort de café, mais la liberté qui s’en émane me fait presque autant de bien que le Black noise de Pantha du Prince. Mixture dans la mixture : un combo Oneiric contur/Jove Layup/Frame drag (oui, dans cet ordre) vous procurera frissons de terreur et apaisement hypnotique soit un bel aperçu de sa démesure.
 
Quentin Sirjacq, Piano memories
Quentin et son piano m’emmènent où ils veulent, quand ils veulent. Je les suis les yeux fermés, dans les souvenirs presqu’autant que dans la chambre claire.
 
Aphex Twin, Syro
Assagi le garçon ce qui ne l’empêche pas de livrer un album de grande classe, d’une richesse débordante.
 
Richard Pinhas & Oren Ambarchi, Tikkun
Probablement le truc le plus sale et éprouvant entendu cette année. Trois morceaux. 1h10. Une boucherie. Evidemment, mieux vaut être d’humeur mais si c’est le cas, tu en prends pour ton grade.
 
Baxter Dury, It’s a pleasure
Petite douceur pop d’un raffinement infini. Oui, j’aime aussi ce qui est soyeux. Et chanté.
 
Positive Centre, In silent series
Tu aimes la techno et tu la veux pure, pas coupée ? De la méthamphétamine bleue cuisinée par Walter White, éthérée à 97% qui t’envoie sur Saturne ? Pour te perdre dans un volcan au cœur du magma ? Je te prescris cette écoute, tu verras, c’est plutôt efficace. Mais faudra pas venir te plaindre des effets secondaires.

French connection II – John Frankenheimer – 1975

french-connection-2-1975-01-gL’ennemi public n°1.

   8.0  Je suis ravi de l’avoir revu. Déjà parce que mon souvenir du film était flou et surtout parce qu’il n’était pas bon. Cette suite du film mythique de Friedkin est un très bon polar, classique, nerveux, efficace, qui s’inscrit dans la veine des meilleurs Labro et Deray, parfois même pas si loin d’un Melville. Si je le compare à une certaine frange du cinéma français c’est que French Connection 2 bien que réalisé par un cinéaste américain se déroule entièrement sur le sol de l’hexagone, à Marseille plus exactement. En avril. Il y a donc un contraste éminemment climatique – en plus d’un contraste mise en scénique – entre les deux opus et tant mieux. Frankenheimer ne cherche pas à imiter Friedkin. En revanche il pari complètement sur l’idée de suite, complémentaire.

     L’action semble prendre place quelques mois plus tard. La police new-yorkaise nous envoie le valeureux et imprévisible Popeye (Gene Hackman toujours, heureusement tandis que Roy Scheider aura entièrement disparu du casting) pour clore cette affaire en interceptant définitivement l’anguille Charnier dont on devra se contenter d’accepter qu’il se soit littéralement évaporé dans cette incroyable séquence de hangar désaffecté qui fermait le chef d’œuvre de Friedkin. C’est sa punition : Aller se débarrasser de son obsession sur une terre qu’il ne connait pas. Punition somme toute relative tant on le sait obnubilé par ce trafiquant, Frog one comme il le surnomme.

     Le film accompagne donc Popeye au plus près, d’abord aux côtés de ses collègues français, qu’il méprise gentiment, sur un terrain où il n’est qu’un invité, où il ne peut qu’écouter et observer, ce qui évidemment ne va pas le satisfaire. On connait l’animal. On le suit jusque dans son kidnapping par les hommes de Charnier, qui l’avait débusqué un peu par hasard sur le remblai d’une plage. Oui, Popeye est censé être là incognito mais ça ne l’empêche pas de taquiner le ballon ni de porter des chemises à fleurs. Puis on le suit aussi dans sa désintox – après avoir été séquestré et drogué dans un hôtel miteux – et sa dernière course-poursuite haletante à travers Marseille et le Trolleybus.

     Le film est là aussi traversé de séquences virtuoses, à l’image de l’efficace scène de la cale-sèche. Mais c’est paradoxalement quand il se repli qu’il fascine, qu’il suive Popeye se murger dans un bar (la scène en question est désopilante, le film jouant aussi énormément sur le décalage entre les langues « Whisky avec glace ? – Yes, in a glass ! » Je n’imagine pas une seconde l’intérêt de voir le film dans sa version française, ça doit être ridicule) ou se lâcher dans un monologue génial sur le base-ball ou dans son agonie durant son enfermement. Il faut à ce titre rendre grâce au jeu habité et délirant de Gene Hackman qui est probablement le meilleur cabotin de la planète. Il en fait en effet beaucoup ici mais bordel ce qu’il le fait bien ! Mais c’est aussi la limite du film que de se reposer majoritairement sur lui. Attention je ne dis pas que les acteurs français du film ne sont pas bons, au contraire ils sont excellents (Fresson, Leotard, Castaldi…) mais que Hackman prend beaucoup de place ce qui brise un peu l’unité miraculeuse qui émanait du premier French Connection.

     A part ça j’adore la scène où Charnier découvre (et a donc un temps d’avance) que Popeye est à ses trousses sur ses propres terres. La mise en scène y est très simple, très belle et inventive : Une plage, une partie de volley-ball, un ballon, une femme. La scène parait anodine, détachée, comme si le policier américain était soudainement en vacances et nous avec. Puis la caméra virevolte lentement – abandonnant pour la première fois Popeye – vers un restaurant voisin dans lequel Charnier est en train de manger, parler affaire avec un probable client et découvre par le hasard d’un regard perdu, par le coin d’une fenêtre, le flic immobile au loin sur le remblai. Vraiment très fort.

     Ce n’est donc pas le même film que le précédent mais je le répète c’est tant mieux. Plus écrit, plus aéré, printanier, mais Frankenheimer lui insuffle suffisamment de matière et de punch pour en faire une suite digne, digeste et foisonnante.

French connection – William Friedkin – 1972

French connection - William Friedkin - 1972 dans * 100 1349815057_2Welcome to New York.

   10.0   Plus je le vois plus il me sidère. A tel point que je le considère aujourd’hui après ce nouveau visionnage, dans un blu ray extrêmement granuleux accentuant la saleté qui transpire littéralement tout le film, comme un chef d’œuvre absolu, quasi sans parole, tout en filatures et poursuites. Un sommet du genre. Un polar urbain parfait. J’avais en mémoire surtout quelques scènes d’anthologie (métro, voiture sous les rails, hangar) mais en fait tout le film est sur le même tempo, effréné, anxiogène.

     On est en 1972. French Connection est un film de son époque – Quand Sorcerer semble lui être hors du temps. Deux flics hallucinés – Finis les policiers tous lisses et sages, place à Jimmy « Popeye » Doyle, véritable brute dopé à l’adrénaline, ripou déterminé, violent, abusif et raciste – ont décidés de faire la peau aux trafiquants de Brooklyn dont la dope envahit les rues et remontent petit à petit jusqu’au numéro un mafieux français, Charnier (Fernando Rey) qui permet l’échange entre Marseille et New York. Le film est plus ou moins tiré de faits réels où en 1962 la brigade des stups avait mis la main sur un important trafic avec la France et 50kg de poudre cachée dans les bas de caisse d’une voiture.

     Au moyen d’une mise en scène nerveuse et réaliste (caméra à l’épaule non-stop) Friedkin insuffle à ce polar à priori banal, un rythme qui lui est propre. On n’entrera jamais dans la dimension personnelle des deux poulets, French Connection choisit de montrer les gestes, rien de plus. La filature très souvent en attente, où Gene Hackman semble perdre la sensation de ses orteils dans les rues New-Yorkaises, transis de froid. La filature du trottoir opposé, récurrente ici, dont l’une qui aboutira à une séquence d’anthologie dans le métro. Et en tout début de film une poursuite à pied, effrénée, dans les rues de Harlem qui aboutira à un lynchage total dans un terrain vague par deux flics absolument prêt à tout.

     La fameuse séquence de French Connection c’est celle-ci : Le trafiquant est dans le train, il braque le conducteur pour ne pas qu’il s’arrête à la prochaine station ; Gene Hackman est dans une voiture sous les rails et poursuit sa proie à une vitesse inconsciente, les mimiques sont exagérées illustrant toute sa folie vengeresse, son appétit de violence et d’adrénaline plus que de respect de la justice. L’un des trucs les plus dingues que j’ai pu voir sur un écran. Dix minutes de tension pure aussi limpides qu’aliénées.

     Et une autre séquence formidable encore (James Gray s’en est probablement beaucoup inspiré pour We own the night) après l’échange de la drogue dans un hangar, sous un pont. On est à la toute fin du film, la tension est palpable, le climat a encore gagné en obscurité, c’est pesant. Dans le Gray c’était Joaquin Phoenix, dans le Friedkin c’était Gene Hackman et Roy Scheider. Dans l’un les roseaux, dans l’autre un labyrinthe obscur de ruines, de saletés où les flics là aussi, sont prêt à s’entretuer.

     Friedkin ira jusqu’à engager comme conseillers les flics de la véritable affaire. Un réalisme qui passe inéluctablement par son plus fidèle représentant : la présence de vrais décors. Ainsi le cinéaste tourne tout dehors, entre New York et Marseille et tout en lumière naturelle. C’est l’hiver, c’est brumeux, sale, triste. Il fallait rendre compte de cela. Parti pris renforcé par le choix de filmer majoritairement à l’épaule, où tout sera dynamisé au montage, afin de crée une sorte de réel absolu, proche du docu d’investigation.

     French Connection est un polar incroyable, haletant, idéal, réalisé par un spécialiste du cinéma de genre – partagé entre le fantastique (L’exorciste) et l’action movies. C’est un film tout en ambiguïté et en absurdité. A l’image de l’œuvre entière du cinéaste. La quasi absence musicale accentue ce trouble et cette angoisse qui contamine chaque séquence d’un film construit sur les accalmies et les soubresauts, n’hésitant pas expérimenter leurs extrêmes retranchements, soit varier entre un déroutant statisme et une nervosité de mouvement jamais vu.

Adolphe – Benoît Jacquot – 2002

10. Adolphe - Benoît Jacquot - 2002Les désenchantés.

   4.5   Avant Les adieux à la reine, Jacquot avait déjà donné dans le film costumé. Deux fois : Marianne (que je verrai bientôt) et Adolphe. Malheureusement trop guindée et ronronnante cette adaptation du roman de Benjamin Constant est une muraille d’ennui, qui n’était d’emblée pas pourvue d’une interprétation fait pour me séduire puisque réunissant Adjani, Merhar, Duris et Chattot. Autant dire qu’il valait mieux assurer derrière avec de telles contraintes. Niveau mise en scène Jacquot fait le job, classieux, cadré, quasi Viscontien. Mais il y a si peu de générosité dans sa démarche, de folie dans ses enchaînements que l’objet complet me tient inéluctablement à l’écart. Espérons maintenant que Marianne soit davantage du calibre du très beau Les adieux à la reine

Mea culpa – Fred Cavayé – 2014

17. Mea culpa - Fred Cavayé - 2014Taken 73.

   1.5   C’est très mauvais mais le plus douloureux, je crois, étant de s’en rendre compte dès le premier plan. Là tu le sais, tu le sens, tu t’engages dans un calvaire. Les deux premiers films de Cavayé étaient pourtant tout à fait regardables, modestes polars (que j’ai cependant vite oublié) tout en tension, mouvement et simplicité. Si l’on excepte ici deux séquences d’action correctement fichues (encore qu’il faille passer outre un montage parallèle particulièrement lourdingue) que sont la poursuite post Corrida (Le montage garçon/animal à cet instant c’est du niveau de Lucy) et le TGV, le film est noyé sous un déluge formel absolument ridicule, des dialogues pathétiques, à la manière des pires productions Besson et des pires réalisations de Marchal réunies. Pas facile à faire, j’en conviens.

Donoma – Djinn Carrenard – 2011

14.-donoma-djinn-carrenard-2011-1024x680Guerilla film-making.

   4.5   Oui, oui mais non. J’apprécie la tentative atypique, le geste mais c’est tout. C’est parfois pas loin d’être insupportable, sauf paradoxalement lorsque ça s’étire suffisamment. Mais tout ce flou, ces jump-cuts, ces tremblements franchement, c’est moins libre que complètement calculé, c’est volontairement plus laid que ça ne devrait l’être : mélange inutile de couleurs, contours de cadre foireux, pellicule faussement abimée. Et puis toute la dimension marginale est hyper forcée comme si le film s’autocélébrait dans chaque séquence d’être un électron libre. Après oui, je reconnais qu’il y a quelques instants savoureux (la prof d’espagnol) pour lesquels je peux comprendre un peu l’emballement général qui voit ça comme un nouveau Pialat ou un nouveau Cassavetes – Hum hum. Kechiche lui-même semble porter le film aux nues. Mais faut pas déconner, on est bien loin de L’esquive pour ne citer que sa vraie première réussite critique et césarisée. La démarche chez lui n’a rien de contradictoire, elle va toujours de pair avec son sujet. Donoma et son délire choral bien rance n’est à ce titre pas dans la bonne dynamique. Cela dit, pour 150€ (le budget tant revendiqué du film) il valait mieux que l’interprétation soit de haute volée et c’est le cas. Le film a aussi l’idée ingénieuse de varier ses choix formels mais il ne les tient pas, construit un dispositif qu’il détruit aussitôt. Et puis l’autre souci majeur et pas des moindre, c’est qu’on se fiche royalement de ces personnages pantins.

Retour vers le futur II (Back to the future, part II) – Robert Zemeckis – 1989

retour-vers-le-futur-2-1989-02-gPleasure paradise.

   5.5   J’adore tellement le film de lancement et sa fin est si excitante et ouverte (« Là où l’on va, on n’a pas besoin de route !« ) qu’immanquablement à tous les coups je revois la suite dans la foulée. Bon, j’ai une relation particulière avec cette saga, je l’ai découverte sur le (très) tard, il y a dix ans, voilà c’est dit. Je me sens délesté d’un poids. Ce genre de poids que tu traînes jusqu’au lycée où le film remporta haut la main me concernant la palme du plus grand nombre d’indignations du style « Bordel, t’as jamais vu Retour vers le futur ?! » mais j’imagine qu’on a tous nos petits manqués. On les traîne parfois même plus longtemps. Bref, quoiqu’il en soit, je me suis plutôt bien rattrapé depuis, puisque je visionne les deux premiers volets tous les deux ans, grosso merdo. Le troisième non, enfin ce n’est pas systématique – pourtant je l’aime beaucoup aussi – et je crois que j’ai enfin compris pourquoi aujourd’hui. Explication. Ne pas me lyncher, please. En fait, je trouve que le deuxième volet n’est pas bon. Décevant. J’y ai cru pendant dix ans – tout en avouant chaque fois le trouver moins fort que le précédent – mais in fine ça va beaucoup plus loin : Outre mon éternel attachement aveugle, je le trouve mauvais, foutraque, cartoon, hystérique, systématique, pas toujours inspiré, asphyxiant. Quand l’autre avait tout pour lui, en positif. Sans compter que c’est une suite entièrement dépendante de l’original. Franchement je ne me vois pas le revoir sans avoir revu l’autre juste avant. C’est déjà un problème en soi. Mais au-delà de ça le dispositif me paraît grossier, toujours dans une surenchère mal dosée, exploitant un filon qui a déjà fait ses marques. La fin en forme de teaser du troisième volet est aberrante à souhait d’ailleurs. Alors Ok ça reste super drôle (Les fameux paradoxes temporels, la virtuosité du Doc’s show, les autres sois…) et méga vertigineux (Trois niveaux de temporalité) mais c’est finalement plus lourd qu’émouvant, plus extravagant que limpide, c’est une représentation de cirque – Biff Tannen est INSUPPORTABLE, l’acteur est nul. Dans le premier, la simplicité – après le suivant le premier paraît rudimentaire – faisait naître l’émotion. C’était un vrai film d’amour. The power of love. Il ne reste là qu’un tunnel de sophistication, tout est scénario. Alors je l’aime toujours en tant que suite, jouissive, démesurée, mais il ne me dupe plus en tant que film à part entière. Pire, la deuxième partie m’ennuie. Voilà pourquoi je n’enchaîne presque jamais sur le troisième. Ce dernier a au moins pour lui d’être pareil en étant complètement différent, plus ramassé, romantique et c’est un tout autre décor. En définitif je crois que je préfère le 3 au 2 pour la toute première fois. 

Retour vers le futur (Back to the future) – Robert Zemeckis – 1985

retour-vers-le-futurThe power of love.

   8.0   Le premier plan avec générique incrusté, tournoie lentement dans une pièce pleine de trucs et d’inventions en tout genre, qu’on aurait comme laissés là à l’abandon, en état de marche. Ici un dispositif de repas régulier pour chien, ici une télévision branchée, là un service à café coulant dans le vide… Et tout un tas improbables d’horloges, réveils, montres et pendules. Le film est déjà traversé par la folie du temps bien que les soubresauts de ce dernier ne nous atteignent pas encore. Cette pièce c’est le local fou du docteur Emmett Brown, scientifique déraillé, qui a entrepris de construire une machine à remonter le temps depuis qu’il s’est cogné la tête dans ses toilettes voilà trente ans lui offrant illuminations et révélations insoupçonnées.

     La première partie du film, avant le rendez-vous donné par Doc (Christopher Lloyd, cabotin magnifique) à Marty (Michael J. Fox, jeune chien fou) sur le parking du supermarché des deux pins est une véritable mine d’indices et détails en apparence futiles, qui seront par la suite alambiqués jusqu’à jubilation. C’est le propre de ces films d’époque, Les goonies la même année, Un jour sans fin un peu plus tard, de jouer sur une générosité sans fin, posant leur décor dans une longue introduction avant de le réutiliser et de le malaxer dans tous les sens un peu plus tard.

     Ce qui au départ s’avère être un pur jeu avec le temps sans réel point de chute attendu – Une Dolorean, du plutonium, un convecteur temporel, une vitesse requise de 88 miles à l’heure – devient vite un jeu dangereux avec leurs vies – Doc est brutalement refroidi par le groupe extrémiste à qui il avait préalablement subtilisé – clin d’œil à la télé au tout début – l’élément chimique nécessaire – et avec la vie future – Marty entre en contact et bien plus encore (il sauve son père de l’accident qui avait fait rencontré ses parents, là-aussi les indices sont dans l’introduction) avec sa famille ascendante.

     S’installe alors un subtil jeu de cache-cache ô combien jouissif où les situations les plus folles s’enchaînent pour tenter de réimbriquer le puzzle mélangé afin que l’avenir ne soit pas modifié. Une photographie de famille sert d’appui – Unique élément qui me paraît peu convaincant, par ailleurs – permettant à Marty de vérifier de temps à autre s’ils sont parvenus à tout bien remettre en place. Il y aura forcément une histoire avec cette horloge, celle du clocher qui ne fonctionne plus depuis que la foudre s’est abattue sur la ville trente ans auparavant. Pile dans ce passé dans lequel Marty se retrouve coincé. Tout a un sens et celui-là plus encore que les autres puisqu’il est l’unique porte de sortie de cette temporalité passée qui deviendrait à jamais alternative si Marty ne parvenait pas à regagner son propre temps. Mais il lui faut pour cela réunir une puissance de 2.21 gigawatts. Mission impossible en 1955. Sauf par la foudre. Mais on ne sait jamais où elle tombe. Sauf cette fois-là. Voilà tout le délire volontiers euphorique dans lequel nous plonge Zemeckis.

     Ayant troublé le futur en se faisant renverser par la voiture de son grand-père maternel, prenant malencontreusement la place de son père, Marty se retrouve alors convoité par sa propre mère, qui ne cesse de l’appeler Pierre Cardin, pensant que son nom est inscrit sur son caleçon. Effet Florence Nightingale, cité d’ailleurs par Doc, couplé d’un paradoxe du grand-père et d’un complexe d’Œdipe, on peut dire que Marty a foutu malgré lui un sacré bazar dans cette temporalité dans laquelle il n’est pas encore censé exister.

     Alors on pourra quand même y déceler un certain éloge du Reaganisme. Oui, c’est ma grosse réserve, pour chipoter. La fin fait un poil trop l’apologie du bonheur par la réussite professionnelle. Mais bon, s’il avait été beau de ne pas finir en happy-end ça aurait néanmoins inéluctablement tout plombé. Surtout qu’il faut clairement le garder comme une pure comédie. De celles que l’on peut revoir à l’infini qu’elles nous amuseraient toujours. De celles où le décalage temporel permet toutes les facéties les plus folles, se permettant de malicieuses uchronies inconséquentes – Le frère de Chuck Berry offrant par téléphone le Johnny B. Goode improvisé de Marty, qui en profite pour inventer le duckwalk tandis que le même jour il inventait le skateboard – à un brassage total de la pop culture – Références directes à Star Wars, Star Trek, Michael Jackson et j’en passe. Soit l’un des trucs les plus jubilatoires que le cinéma ait fait éclore.

C’est la fin (This is the end) – Seth Rogen & Evan Goldberg – 2013

07.-cest-la-fin-this-is-the-end-seth-rogen-et-evan-goldberg-2013-1024x680Dernière danse.

   5.5   C’est un film aussi intéressant théoriquement, sur ce qu’il raconte et symbolise de la fin d’un courant, la comédie US façon Apatow, que vain en tant que pure comédie, avec cette mécanique nombriliste et rébarbative sans grande imagination. Disons que la première partie pré-apocalypse est très drôle, tout en autodérision et blindée de méta références – l’idée géniale est de faire jouer les acteurs dans leur propre rôle, évoquant leur passé commun (Délire express, par exemple), caricaturant leurs anciens rôles ou en travaillant gentiment les caméos – puis tout se dissout progressivement avant un dernier tiers avec des monstres pas loin d’être nul. On a vraiment l’impression que la bande avait le point de départ mais qu’ils se sont égarés ensuite. Et là aussi on ne peut qu’y déceler une sorte de parallèle funeste avec le nombre de produits du même style – sauf rares exceptions – qui ne tiennent pas toutes leurs promesses, si tant est qu’elles en avaient. Du coup c’est un film important. Pour ce qu’il est, ce qu’il ferme, avec punch mais sans audace, dégommant allégrement tout ce qui l’a fondé avec comme seul crédo de tout remettre sur le compte de l’amitié. Un dernier tour de piste avec toute la bande qui bien que je ne connaisse pas encore tous leurs délires – me mettant probablement à l’écart de certains trips – fait du bien, malgré tous ses défauts et son évidente paresse créative.

L’aventure du Poséidon (The Poseidon adventure) – Ronald Neame – 1973

22. L'aventure du Poseidon - The Poseidon adventure - Ronald Neame - 1973« Au milieu du chemin de notre vie
Je me retrouvai dans une forêt obscure,
Dont la route droite était perdue. »

     10.0   Je connais ce film depuis ma plus tendre enfance. Je l’ai revu hier pour la énième fois. Comme chaque année. J’y vois toujours ce maître étalon et précurseur du genre, le film catastrophe, et bien plus encore. Un grand film sur le confinement et la survie dans une société à son point de rupture. Une parabole sur la majorité, l’effet de groupe. Un voyage dans les enfers avant un salut désenchanté. Je vais essayer d’en parler et tenter de rester le plus objectif possible, mais je ne garantis rien.

     Dans les années 70 naissaient les films catastrophes. Le film de Ronald Neame côtoyait celui de John Guillermin, qui réalisa La Tour infernale. Il y’en a probablement d’autres mais ce sont les deux seuls que je connaisse ou qui m’aient véritablement marqués. Ce genre a repris du galon dans les années 90/2000 se concentrant davantage sur ses effets spéciaux, le couronnement étant l’insipide 2012 de Roland Emmerich. Il a même fallu attendre 2006 pour qu’Hollywood nous gratifie d’un remake du Poséidon, réalisé par Wolfgang Petersen (dont c’est à ce jour le pire film) qui ne propose rien de nouveau à l’original si ce n’est une débauche d’effets spéciaux curieusement nullissimes.

     Les effets spéciaux de L’aventure du Poséidon sont obtenus avec les moyens du bord, jamais sensationnels, jamais grotesques, juste minimalistes et relégués derrière le récit. Le minimalisme n’a que du bon de toute façon, il suffit de voir combien cela fonctionne de faire tanguer imperceptiblement – Lors de sa partie introductive, le film est déjà dans ces petits balancements – une caméra et y apporter un son étouffé de taule qui grince. Au début du film, le générique défile sous les plans du paquebot naviguant dans les eaux pas encore déchaînées accompagné de la musique de John Williams. Puis il y aura un petit texte d’introduction expliquant que le navire en question a fait naufrage un 31 décembre et que le film souhaite raconter l’histoire des survivants du naufrage. C’est donc un film de survie. Le paquebot n’est qu’un décor.

     Il y a deux idées majeures dans le film qui se révèlent intéressantes : D’abord le choix de ne jamais compenser le drame de l’intérieur par l’extérieur. Le film se fige dans le bateau il n’ira pas ailleurs, aucun point de vue n’en sera apporté de l’autre monde. Ensuite, il se concentre rapidement sur un petit groupe de personnes, pas forcément liées dans le récit, dont on comprend qu’ils le seront après la catastrophe. Au centre de ce groupe, un révérend, joué par Gene Hackman. Homme de foi progressiste qui prône le courage, l’essai, les vainqueurs et n’accepte pas de se soumettre aux prières. L’image pourrait être grossière mais le film ne s’en porte que mieux. Ce sera lui l’artisan d’une évasion un peu folle comme s’il trouvait là une matérialisation à son salut, un moyen de combler ce qu’il recherche depuis toujours. Je vais heurter les puristes mais ce schéma me rappelle Stalker de Tarkovski dans la mesure où il s’agit là aussi d’un guide, orgueilleux, aveuglé par la foi et obsédé par cette transmission de la foi.

     Le film ne fait pour autant pas son apologie. A première vue on serait pourtant tenter de dire que si, puisque à cette initiative de grimper vers la salle des machines (rappelons que le paquebot s’est retourné, d’ailleurs la reconstitution à l’envers est très réussie) acceptée par neuf personnes et refusée par une majorité qui fait confiance en une possible arrivée des secours, répond cette suite des évènements tout juste post grimpette dans l’arbre de Noël servant à atteindre les cuisines (rappelons que le bas c’est le plafond) deux explosions et l’inondation de l’étage. Tous se précipitent, désormais animaux dans la plus pure des représentations de survie, et échouent leur sauvetage dans un sapin factice qui s’écroule sous le poids bien trop élevé de ses innombrables hôtes. Le révérend Scott peut fermer les portes des cuisines, après avoir été impuissant à ce climat de panique suprême situé en dessous de ses pieds et le film, comme survie par pièces et par étapes, peut repartir autrement.

     C’est que pourtant, dans cette scène précédant le drame, le révérend tente de convaincre encore et encore et jette son ultime dévolu sur cet ami, prêtre classique, qui lui avoue ne pas pouvoir abandonner ses confrères, même s’il sait qu’ils sont irrémédiablement condamnés. Le révérend voudrait un avis sur son sermon (du début de film) espérant qu’il trouvera là le parfait argument pour que son ami le suive. C’est un sermon pour les forts, lui répondra t-il. Cette scène est forte car elle a au moins le mérite de replacer cette idéologie extrême dans son égoïsme, sa dévalorisation de la peur et son aspect téméraire difficilement confortable. On pourrait se dire, en rapport aux évènements qui suivent et atteignent le petit groupe de survivants, qui sera quasiment décimé de moitié à la fin du film que c’est un choix légitime que de choisir de mourir en toute sérénité, de ne pas accepter le combat, de ne pas vouloir jouer les héros.

     Plus tard, lorsque le film se concentrera uniquement sur le petit groupe, les mêmes divergences apparaîtront, de façon à mettre au centre les divisions entre les humains. Le confort passe soit par la certitude, soit par le nombre. Ils ne sont qu’un petit groupe qui suit un révérend qui avance à tâtons. Y a plus décontracté que ça comme situation. C’est parfois d’ailleurs assez drôle, essentiellement entre Scott et Rogo – le premier n’hésitant pas à faire remarquer au second qu’il l’insupporte puisqu’il en est son miroir. Et les doutes sonnent souvent par couple de personnages. Monsieur et madame Rosen en premier lieu, un couple de retraités qui fait le voyage vers Israël afin de voir leur petit fils pour la toute première fois. Belle et Manny. Leurs noms sont déjà porteurs de tragédie. La forte personnalité c’est elle mais ici elle ne vaut plus rien selon elle, son poids devient un handicap, il faudrait l’abandonner au bas du sapin puis plus tard devant le corridor étroit menant aux cheminées puis plus tard tout simplement parce qu’elle ne sent plus la force de poursuivre elle offre à son mari le pendentif de la vie qu’elle souhaite voir remettre à son petit fils. Il y a aussi Nonnie et Monsieur Martin, deux démunis de la vie, elle parce que son frère est mort pendant la culbute du paquebot, lui car c’est un célibataire éternel. La perte de son frère l’affecte tellement qu’à plusieurs reprises elle n’est pas loin de déposer les armes, et il lui faut un garçon comme lui pour lui faire reprendre confiance.

     Le film joue beaucoup là-dessus. Tout est question de foi. Sauter sans réfléchir dans un rideau bien tendu. Plonger à l’aveugle dans un corridor détruit et submergé. La curiosité d’un enfant est plus forte et efficace que la sagesse des aînés. C’est une sorte de revanche des faibles : Le commissaire est inutile, le capitaine est d’emblée sacrifié, le pasteur est résigné. Il faut compter sur un révérend aux méthodes peu orthodoxes puisqu’il refuse tout refuge vers la prière, un enfant guide dont l’extrême curiosité conduira le groupe vers le bon côté, un flic bourru et tout en contradictions qui lui permettent à la fois de servir d’image rejet ou de supplanter les héros malmenés quand la situation le demande – la cheminée, l’écoutille, le couloir sous les eaux.

     Le film devient une progression sur plusieurs niveaux, d’un palier à l’autre. Comme à la maison – la croisière est censée rejoindre Athènes depuis New York – Broadway est l’unique lien entre les extrémités, ici la proue et la poupe. Un axe évoqué que l’on ne verra véritablement jamais tant chacune de ses zones semble avoir subie la dure loi des explosions à répétition. Le groupe ne cesse donc de contourner son tracé idéal – coursives, cheminées, poches d’air, passerelles – pour atteindre son but : L’arbre d’hélice, cet endroit convoité où la coque ne fait qu’un pouce d’épaisseur. Le dernier plan du film, parfait, c’est l’arbre d’hélice, vu de l’extérieur, unique porte de salut depuis le début du film. Depuis que Robin s’en allait dire à sa soeur que le mécanicien des machines allait lui faire visiter. Enfant guide, déjà.

     Il y a finalement très peu de musique. La bande son est essentiellement composée de craquements, froissement de tôle, bruits métalliques, liquides. Il y a tout une dimension angoissante autour de l’eau, de ces vagues menaçantes à la lame de fond, avant cette montée progressive entre les compartiments avant cette apothéose tout en tension, héroïsme et cruauté que constitue le couloir submergé. L’eau, élément fort. Le décor aussi. Tout est à l’envers. Cuisines. Toilettes. Salon de coiffure. Salle des machines. Ce ne sont que des passages de relais à travers un décor bouleversé. Des pertes humaines qui font progresser les survivants. Le salut ne sera dû qu’à une avalanche de bruits de métaux sur une coque. Chaque regard est alors cadré lentement, tragiquement dans un final bouleversant qui contient toutes les épreuves et les victimes dont ces deux superbes et éprouvantes heures sont remplies.

     C’est le propre de tous ces films catastrophes de l’époque, ils ne sont pas tendre avec leurs personnages, n’hésitant pas à les éliminer, au moyen de sacrifices (Belle et Scott) ou de simples aléas anodins (Linda et Acres). Belle, la vieille femme juive précédemment pétrifiée à l’idée de brûler vive dans les cuisines – On sait ce que l’idée convoque – se retrouve confrontée à ce qu’elle sait faire, nager, alors que jusqu’ici elle n’était qu’un boulet (l’espadon de Robin pêché à Hawaï) et s’en va délivrer d’une situation embarrassante le révérend parti en éclaireur dans une salle des machines inondée. Son cœur ne tiendra pas. Le révérend quant à lui voit son salut ultime à bout de bras, renfermant la vapeur qui se libérait et empêchait d’ouvrir la toute dernière porte de ce parcours titanesque. Il disparaîtra, sacrifié, dans les eaux, sous les flammes. Acres, seul serveur sauf des cuisines, et durablement blessé au genou n’aura pas de chance dans la cheminée, disparaissant vers les fonds lors du tremblement du paquebot causé par l’une des multiples explosions. Linda subira le même sort à la toute fin du film et fera le saut de l’ange dans les flammes.

     Le révérend avait sans doute raison, il fallait au moins se donner les moyens de vaincre. Mais à quel prix ? C’est aussi ce que le film raconte, les divergences entre les hommes. Il ne donne pas de point de vue définitif, dans l’un comme dans l’autre, l’issue contient sa fatalité. Toujours est-il que ces nombreux contrepoints au discours du révérend sont intéressants dans la mesure où ils apportent une nuance. Dans la grande salle de fête il avait raison, il fallait grimper, enfin tout du moins on n’imagine personne ne se sortir du guêpier dans lequel il les laisse, dans lequel on les voit pour la dernière fois. Mais dans ce grand couloir, qu’en est-il de ces survivants dont personne n’avait anticipé la possibilité de les croiser ? Le révérend se croyait seul. Du haut de son orgueil, il pensait être le seul à avoir échappé provisoirement à l’issue fatale. Cette nuance ne sera qu’une nuance. Les quelques passagers croisés, qui doivent correspondre aux malades laissés dans les chambres, qui suivent aveuglément le docteur comme les autres suivent presque aveuglément le révérend, prennent l’option de filer vers la proue quand notre petit groupe garde celui de s’échapper vers l’arrière. Ils disparaîtront du récit aussi vite que leur inattendue et brève apparition.

     C’est le purgatoire de Dante. Caton y est remplacé par Poséidon. L’embouchure du Tibre par le large de la Crète. Ils vont au plus profond du bateau, écartent les corps, leur passent dessus pour s’en sortir, perdent une partie du groupe en cours de route. Et il y a forcément, impossible qu’il s’agisse d’une coïncidence, la figure christique du sacrifié lors de la séquence sublime de la valve rouge où le révérend entonne sa colère à dieu. Les signes religieux sont manifestes ce qui n’empêche aucunement au film de faire exister son groupe, ses personnages, de sortir du concept pour proposer un pur récit d’aventure et de survie dans la tradition (future) du genre.

     Le film souffre de quelques erreurs de montage principalement liées à la montée des eaux, dès l’instant que tout s’accélère. Titanic de Cameron vingt-cinq ans plus tard était parfait à ce niveau-là. Pourtant, ça n’est pas gênant ici, le film garde néanmoins son angoisse et tient en haleine tout du long. Depuis cette alarme. Un bruit qui lance tout. Casse les festivités. Un son que je n’oublierai jamais. C’est précis, sans fausses notes, avec les pointes d’humour coutumières du genre, cette musique entêtante qui ne m’a pas quitté depuis tout petit, et les dialogues ne sont jamais bêtes et faciles et quand ils n’en sont pas loin, témoignent d’une inquiétude ou d’une mélancolie appartenant à la situation dans le récit. Quant à la fin (la partie salle des machines) ça n’a pas changé, je la trouve incroyablement oppressante et bouleversante. Assurément l’un de mes films de chevet.

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silencio


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