7.5 Les vampires, Louis Feuillade, ça a d’emblée quelque chose d’un peu écrasant. Mais sa réussite tient finalement moins dans l’hommage, très beau, que dans sa stature résolument indéfinie. Avant d’avoir campé un cinéaste X voulant métamorphoser le cinéma pornographique dans le film de Bonello, Jean Pierre Léaud jouait chez Assayas le rôle d’un réalisateur dans le déclin, tourmenté et dépressif, sur le point de tourner une commande, un remake du film de Feuillade. Le film s’ouvre dans l’urgence d’un tournage à démarrer, une scène à tourner, dans une séquence prototype du cinéma d’Assayas, dans laquelle les corps se frôlent et se heurtent, les agacements succèdent aux rires nerveux, les différentes langues se chevauchent. Chez Assayas, la langue est autant une barrière qu’un motif de séduction. Il y a aussi cela dans les films de Claire Denis. Dans Irma Vep, Maggie Cheung débarque à la bourre dans cette production française modeste, avec son seul anglais, confronté à un environnement assez hostile sinon chaotique, l’abordant avec anxiété et un anglais approximatif. Il y a d’emblée quelque chose de perverti et décousu dans ce tournage. Les techniciens n’ont plus vraiment foi en leur maître de cérémonie et ce dernier, intellectuel un peu oublié, quitte même la séance de projection de rushs, en criant que c’est de la merde. En effet, à l’écran, on s’attend à voir revivre Les vampires mais ce n’est pas vraiment le cas. Puis le film s’évade, à mobylette d’abord, deux femmes, la costumière et l’actrice bientôt réunies dans une soirée quelconque, familiale, amicale, habituelle. La séquence Bonnie and Clyde est magnifique. Puis un jeu de séduction assez sublime se met en marche. Une affaire de latex. La nuit s’embrase, le film aussi. Sonic Youth résonne et Irma Vep dans la peau de Maggie Cheung semble reprendre vie lorsqu’elle se faufile dans les couloirs d’un hôtel et les toits de Paris après le vol d’un collier. Et le lendemain le tournage reprend mais le cinéaste a disparu. C’est comme si Rivette avait soudainement rencontré Carax. Alors on embauche un cinéaste de substitution qui ne veut lui pas de l’actrice chinoise. Un critique s’enflamme sur le cinéma de John Woo mais conchie le cinéma d’auteur français. Et puis il y a une projection finale complètement folle. Bref, c’est certain ce n’est pas le film le plus accessible d’Assayas, c’est un essai malade et désordonné, spontané. Ce n’est pas celui de ses films qui me touchent le plus, comme Persona n’est pas le Bergman qui me touche le plus non plus, mais c’est assurément le plus fou. Un film qui semble vouloir saluer les esprits indomptables, les ambitions sinueuses, les grands incompris. Le montage final en est l’exemple le plus représentatif mais la séquence des bijoux aussi. Un désir de s’approprier sans posséder. Un pur désir de cinéma.
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- > Archives pour le Samedi 14 février 2015