Cette fête dont je suis l’otage.
7.5 Une gare et un appartement. Les deux premières longues séquences du film sont élaborées au sein de ces deux uniques lieux. D’un côté l’enclos ouvert, multiple, foisonnant et indomptable, quotidien de mouvement duquel soudain apparait une entité fixe, qui ne se déplace tout du moins pas comme les usagers, homme observant un balai d’échanges et de déplacements d’une bande de jeunes de l’est, scrutant du regard puis poursuivant physiquement l’un d’entre eux. Une attirance muette qui se conclut sous un escalator. C’est puissant. De l’autre côté une bulle fermée, statique, individuelle et silencieuse dans laquelle surgit une entité groupée puis une dimension (faussement) festive. Deux bouleversements insensés et étirés au sein de deux mondes très codés. Deux séquences en quasi temps réel d’une durée totale de 33 minutes. Le La est donné.
Eastern boys aurait pu être dévoré par ces deux grands actes d’ouverture, qui occupent tout de même un tiers de film. C’est d’ailleurs ce que j’ai pensé quand le troisième chapitre fait retomber la tension. Pourtant, si la suite braque soudainement et ce à plusieurs reprises, la limpidité du récit ne s’en trouve aucunement altérée. C’est une histoire simple et complexe. Une histoire de désir, mise en scène avec une telle audace, franchement, que ça file le vertige. A part si elle échoit à Bonello je ne vois vraiment pas à qui d’autre l’on pourrait remettre un prix de mise en scène aux Césars. Mais bon, ne nous affolons pas, le film repartira bredouille hein. Même Ferran, avec Bird people, autre film caméléon de 2014, si elle tentait pas mal de choses en ratait beaucoup trop pour provoquer la sidération d’un Eastern boys.
Campillo assume lui la totalité de ses partis pris sans aucun compromis, à tel point que son film est souvent très déstabilisant flirtant même avec un certain hermétisme sans jamais toutefois y tomber. C’est vraiment bluffant. Je trouve cela dit le film un peu prisonnier de ses intérieurs, comme s’il voulait passer en force, en métaphores et symboles, plus qu’il n’en a le besoin. C’est ce maigre reproche qui m’empêche de crier au chef d’œuvre. Mais bon, la démarche globale est tellement renversante et singulière que le film fascine aussi jusque dans ses imperfections. Je ne reviens volontairement pas sur la suite du film en détails, mieux vaut s’y abandonner pleinement, juste signaler que s’il dévie, bifurque à tout va, il conserve son homogénéité tout du long. Et puis je ne vois pas qui à part Campillo se serait permis de faire une fin pareille, aussi violente, puissante, élastique et controversée.
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