8.5 Avant de me lire, je tiens à te préciser que je spoile comme un cochon, donc c’est à tes risques et périls. Ensuite, juste dire que j’en suis sorti dévasté, laminé comme ça faisait longtemps que je n’avais pas été défait par un film. Larmes, sanglots, frissons partout, vers le milieu, pendant la fin, après le film en y repensant. Bref, la totale. J’ai marché à fond. Dommage que la séquence post générique soit aussi mauvaise que son ultime séquence pré générique est déchirante.
I origins m’a fait pensé à Black Mirror. A peu près tout le temps. A plein d’autres trucs aussi, mais j’y reviendrai. En fait, quand je découvrais Black Mirror il y a peu, je me suis souvent demandé ce que ça pourrait donné au cinéma, sur un format long, avec tout le côté Sundance que ça peut convoquer. Je crois que ça donnerait quelque chose comme I origins. Autant dans sa flamboyance que dans sa roublardise, ses tentatives comme ses facilités, dans son montage épileptique et sa manière de revisiter les récits à chapitres. White Christmas, le dernier épisode en date, c’était déjà un peu ça, le condensé magnifique de tout Black Mirror, dans ce que ça libère de promesses, de générosité et d’extravagance. Un tourbillon. I origins aussi est un tourbillon. De ceux qui te font passer par tous les états. Si on accepte tout, ferme les yeux sur plein de choses, les ouvre grand pour d’autres, le voyage vaut le détour. Le film est d’ailleurs construit en trois parties : la comédie romantique, le deuil impossible et la quête spirituelle, grossièrement parlant. Construction qui achève de rapprocher le film de la série anthologique.
J’ai d’abord été très sceptique. Je l’avais aussi été au début de Blue Valentine, de Derek Cianfrance, je me souviens. Deux films assez proches, autant dans leurs tics et effets que dans leur ellipse imposante de sept ans. Je ne trouve pas le début douloureux, mais je reste à distance, sur mes gardes, face à cette rencontre un peu insolite mais pas trop, cette vie de couple déroutante mais pas trop. Une histoire de découverte scientifique fumeuse qui prend le pas sur la mise en scène qui n’est qu’enrobage en roue libre. L’imposante dualité entre science et spiritualité. Mais avec le recul, ce que je trouve très beau avec le début c’est son côté rom’com déjà perverti à savoir que les scènes les plus sensuelles mais enfouies sont celles avec sa collègue, donc sa future femme. Il y a une complicité avec elle qu’il n’y a pas avec l’autre. C’est ce décalage étonnant qui me plait.
Et puis il y a eu cette première scène d’ascenseur. Ce n’est pas une question de mise en scène, relativement moyenne à ce moment-là, ni une question de surprise étant donné qu’on s’attend un peu à un bouleversement, alors quoi ? Je ne sais pas trop ce qui m’a secoué mais ça m’a tellement secoué que le film ne m’a alors plus lâché. Il lui fallait ce tournant dramatique féroce pour vraiment décoller. Une porte d’entrée dans le tourbillon. Croire, comme il fallait croire dans Interstellar.
Des images de lieux prennent soudainement une force inouïe : Un ascenseur, une ferme, un restaurant. Le visage d’une vieille femme. Un chien. Un volontarisme et une masse émotionnelle sans renoncement qui m’ont rappelé ce que m’avait procuré le superbe film de Saverio Costanzo, La solitude des nombres premiers.
Pour le dire clairement, je n’avais pas autant morflé depuis Incendies. Lequel s’ouvrait sur une séquence ridiculement clipesque sous Radiohead, mais qui venait finalement te cueillir et t’achever au bout de deux heures. I origins se ferme sur du Radiohead, par ce morceau divin qui fermait leur meilleur album à ce jour, Kid A. Une scène incroyable. Une scène qui soit te fait lever les yeux au plafond (comme tu l’avais fait préalablement durant la première séquence pivot) soit te fait chialer ta race.
Au-delà de ça je trouve le film assez fort dans ses enchaînements et parti pris narratif. Les ellipses sont bien amenées, les bifurcations moins brusques aussi. La scène de la masturbation parfum/photo avec la discussion de couple qui s’ensuit derrière, c’est absolument formidable. Quel cinéaste moyen (Sundancien) se permet cela aujourd’hui ? Il y a aussi ce moment génial en Inde où le personnage fait la rencontre d’une institutrice, avec laquelle ils parlent de Salomina, la petite aux yeux étrangement identiques à ceux de Sofi. Un moment, discrètement, dans le fond, on entend le cri d’un paon, l’animal préféré de Sofi. C’est totalement gratuit, voilà pourquoi c’est beau. Et puis j’adore sa façon d’aborder le thème casse-gueule de la réincarnation, en passant outre explications et poncifs – Sauf donc cette outrageuse scène post générique, qu’il faudrait songer à couper.
Je suis d’autant plus ravi et surpris que Another earth, le premier et précédent film de Mike Cahill était assez raté sur ce point de vue, méfiant et trop décousu, pas suffisamment attachant. On sentait qu’il y avait quelque chose en gestation mais ça ne débouchait sur rien de probant. Avec I origins, Cahill semble ne plus avoir peur de rien. Il ballait tout sur son passage. C’est un film d’une grande tendresse. Maladroit parfois, mais avec de beaux instants de grâce l’instant suivant. Les faiblesses sont dévorées par une générosité sans limite, ça m’a fait penser à The leftovers. C’est tout aussi éprouvant émotionnellement, d’ailleurs.