Les vampires – Louis Feuillade – 1915/1916

0000946_gal_003_medFlic ou voyou.

   8.0   L’intérêt de ce film feuilleton, au-delà du fait qu’il ait cent ans cette année, c’est de le recontextualiser dans son présent, dans la mesure où il intervient en pleine guerre et qu’il semble faire office de guérisseur moral des maux et de toutes les obsessions au travers d’une société en faillite sociale, économique et institutionnelle. Il brise tous les repères mais comme ceux-ci sont déjà brisés, il en crée d’autres. Un monde de flics et de voleurs, de personnages haut en couleur, d’argent, de fête, de dédoublement à n’en plus finir. Une magie fascinante tant elle est poussée à l’extrême. Il y a un jeu qui s’étire jusqu’au plaisir de la retrouvaille des personnages à la manière des séries, les permanents (Guérande, Mazamette, Irma Vep) mais aussi ceux qui débarquent et/ou disparaissent (Satanas, Moreno, Le grand vampire, Vénénos…) sans parler de tous les doubles, quelque chose de l’ordre du pur plaisir soap, infini, addictif. Un peu banal en apparence mais il faut le voir dans son entièreté, sa progression, sa capacité à continuellement changer de fusil d’épaule. On finit par s’habituer au sur jeu de Marcel Lévesque, un tantinet brusque et extravagant, aux regards caméras exagérément mystérieux de Musidora, à la gomina troublante de Edouard Mathé. C’est un autre temps.  Et puis ce qui ne l’est pas banal, c’est d’imaginer un feuilleton de cent ans d’âge. Là est toute la singularité et la préciosité de la chose. Le premier feuilleton, enfin tout du moins la première preuve, tant le film fit l’objet d’une importante restauration. 700 cartons à recréer, tout de même. Ce qui est par ailleurs agréable c’est que l’on ne nous inonde jamais de ces cartons, Feuillade prend le temps d’installer chaque situation dans le cadre, privilégiant la longueur des plans, tous admirablement composés. La composition des plans c’est le maître mot de son cinéma – Se souvenir de celui, magnifique, durant la soirée chez les Mortesaigues. Et puis il suffit de revoir les huit minutes de L’orgie romaine (1911) et ses sept plans pour à peine une dizaine de cartons, pour s’en convaincre. Cette indolence participe pleinement à offrir au film une ambiance aussi légère que mortifère. Je reviens sur l’utilisation du son. Chaque épisode est accompagné d’une bande sonore, qui n’a rien de sensationnelle, certes, mais qui s’arrime assez bien aux images. Le troisième épisode, Le cryptogramme rouge  est disponible avec l’accompagnement d’un arrangement électro signé Château flight qui parvient à créer une dimension hyper anxiogène. J’ai choisi de varier les plaisirs. J’ai même accompagné certains épisodes d’un album de ma discothèque, c’était très bien. Et j’ai fait une grande découverte : J’ai aussi regardé deux épisodes sans son et j’ai adoré. Je trouve que ça rajoute à l’ambiance crépusculaire du film. C’est très beau.

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