Contes sans saison.
7.0 C’est un petit Rohmer, qui dans sa structure n’atteint par exemple pas la force d’un Quatre aventures de Reinette et Mirabelle. Une sorte d’ancêtre du film aux vingt courts Paris je t’aime, en bien plus beau. Ce n’est pas non plus du niveau de ses chefs-d’œuvre, le problème des films divisés est qu’ils divisent évidemment le ressenti personnel. N’empêche, c’est un film que j’aime beaucoup tant il parvient à me passionner brillamment pour ses trois histoires qui n’ont absolument rien en commun sinon Paris. Il faut le voir au moins pour Paris captée subtilement par la caméra du cinéaste. Dans mes souvenirs le deuxième récit, Les bancs de Paris, qui voit un couple d’amants visiter les beaux lieux de Paris en attendant que le mari de celle-ci la quitte ou l’inverse, était plus faible que les deux autres. C’est pourtant aujourd’hui celui que j’ai préféré, comme quoi.
Il y a peu de cinéma où l’on réfléchit sur les lieux que l’on foule. Chez Rohmer, c’est systématique. Dans le deuxième épisode, lui est fasciné par les cimetières elle y est plutôt indifférente, il est inspiré par le jardin du Luxembourg, elle n’aime pas son cachet rectiligne. Bon, il faut dire que l’on tient là le personnage féminin le plus insupportable de la filmographie de Rohmer. Heureusement que c’est l’épisode central car c’est agaçant. Rohmer se venge, lui qui avait souvent par le passé taillé ce genre de caractère à ses personnages masculins. Ici c’est l’homme qui se plie aux désirs de la demoiselle de ne pas l’accueillir chez lui tant qu’elle n’a pas rompu avec son mari. L’issue (l’hôtel) est l’un des trucs les plus infâmes que l’on puisse faire à un homme. Pire qu’un simple mensonge, c’est un véritable coup-bas, dégueulasse.
Le premier épisode, Les rendez-vous de sept heures, bien que relativement cruel lui aussi dans sa finalité, joue davantage la carte du vaudeville improbable. C’est un classique Rohmérien qui jouit d’un géant quiproquo, de la coïncidence invraisemblable avec un plaisir assumé. En gros Esther rencontre par hasard Aricie (une bête histoire de portefeuille volé) qui, il se trouve, à rendez-vous à la même heure qu’elle, au même endroit, avec un garçon qui sera en fait le petit ami de la première tandis que celle-ci y avait donné rendez-vous au garçon du marché dont elle suppose être le voleur de son portefeuille. Aviateur, collier ou portefeuille, sont chaque fois des détails qui ouvrent le film sur quelque chose qui le dépasse et dépasse aussi les personnages. Quant à Mère et enfant 1907 il se concentre sur un peintre, qui au détour d’une relation qui n’a pas même pas débutée, croise le regard d’une fille dans la rue et la suit jusqu’au musée Picasso. L’heure suivante sera déterminante sur sa créativité, à défaut de l’être sur un plan sentimental. Au point de me demander si cette dernière partie ne serait pas justement du très grand Rohmer, dans ce qu’elle représente de rencontre et de quiproquo ?
Ce qui intéresse avant tout Rohmer, depuis toujours, ce sont les lieux. Ici la place Beaubourg, là le musée Picasso. Entre ces deux pôles que constituent ces deux segments aux extrémités, se greffe un épisode central, qui cartographie presque tous les lieux de promenades de Paris. Deux amants se donnent rendez-vous chaque semaine (une page d’agenda avec le nom du lieu inscrit rythme chaque introduction à une journée nouvelle) entre La fontaine Médicis, Le parc Montsouris, Le parc de la Villette et dans bien d’autres lieux encore. Plus que l’immense coïncidence du premier segment et plus que la mystérieuse double rencontre du dernier, il y a dans ce segment quelque chose de l’ordre de la cruauté, au sein même d’une absolue légèreté, que n’avait pas encore entrevu Rohmer, je trouve. C’est très beau.