Kubrick, mes couilles.
7.0 Alain Chabat joue Jason Tantra. Il y a déjà quelque chose de l’ordre du Gregor Samsa de La métamorphose. Si le pitch évoque d’emblée Blow out, on comprend néanmoins très vite que Réalité n’aura strictement rien à voir avec le chef d’œuvre de Brian de Palma. Enchâssements de films, de rêves, de réalités, collisions spatio-temporelles, interférences variées, Dupieux s’en donne à cœur joie.
Un présentateur télé est sujet à des démangeaisons provoqués par une crise d’eczéma dont il est le seul à voir les plaques sur son corps ; Une petite fille retrouve une mystérieuse VHS dans les viscères d’un sanglier chassé par son père ; Un caméraman de télé cherche le cri parfait afin de trouver les financements pour son futur film d’horreur ; Le proviseur d’une école se déguise en femme et roule dans une jeep de l’armée ; Un producteur est confronté à un auteur moderne obsédé par le moment de l’endormissement d’une fillette.
C’est à la fois très ludique et cauchemardesque, léger et fort. Je retrouve le Dupieux de Wrong, ses angoisses, son obsession pour les stratifications incongrues. C’est d’autant plus impressionnant ici que pour une fois la musique n’est pas de lui. Seul Music with Changing Parts de Glass se fait entendre ici et là pour accentuer cette boucle infinie, vertigineuse, géniale.
Des situations absurdes qui se chevauchent, malgré leur différent niveau de réalité, se connectent entre elles, se déconnectent ensuite, dans un temps incertain, un espace troublé, selon des boucles infinies et des personnages coincés dans les rêves des autres. A ce niveau de non-sens génialement mortifère, jouissif et sans frontières, on pense aux heures Buñuelliennes, Daliennes et Cronenbergiennes. Entre Le charme discret de la bourgeoisie, Le Rêve causé par le vol d’une abeille autour d’une grenade, une seconde avant l’éveil et Videodrome. Plaisir de se perdre, angoisse de se retrouver. Du Dupieux en état de grâce.
La grande force de Réalité et du cinéma de Dupieux en général, c’est de quasi systématiquement ouvrir un plan dans l’inconnu le plus total, de manière à installer un trouble immédiat et durable. On se souvient à ce titre de l’ouverture de Steak. Le fait est que c’est un procédé qu’il utilise au maximum, donc que ce manque de discernement des liants soit répété en continu, crée une proximité avec le spectateur intime avec le cinéma de Dupieux autant qu’il contribue à installer un état d’envoutement permanent.
L’autre atout majeur de Réalité c’est Alain Chabat. Qu’on le veuille ou non, sa présence provoque des relents de l’humour des Nuls. C’est peut-être le propre du cinéma de Quentin Dupieux : Parvenir à capter cinématographiquement l’essence d’un humour sans égal, ici avec Chabat, comme dans Steak avec Eric et Ramzy. Avoir la volonté de mettre en scène cet humour sans que celui-ci ne la dévore. Dans Réalité, plus que dans Steak, d’ailleurs, il faut bien reconnaitre que c’est l’univers du cinéaste qui domine outrageusement l’univers de l’acteur.
Il y a une quête perpétuelle de la pulsion dans son cinéma et au fond, son film ne parle que de ça. Wrong aussi. Et c’est peut-être parce qu’ils ne parlent que de ça qu’ils font autant maîtrisé qu’amateur. J’ai l’impression que ce compromis me touche, que ce juste dosage assez délicat à offrir me séduit. Ce n’est pas tant pour son obsession de la mise en abyme que pour un certain aveu d’impuissance. Derrière cette quête du No reason se cache en effet un désir de raconter encore des choses, de se raconter et de raconter le cinéma. En ce sens je comprends pourquoi je trouve Rubber raté. Et pourquoi j’ai moins d’attirance pour l’ovni total que constitue Wrong cops.