Nostalgie de la lumière.
8.0 Sokurov raconte ce voyage nocturne à la première personne, entre la Russie et l’Europe, entre St Pétersbourg et Rotterdam, tente de nouer quelques liants entre ces deux pôles, quelque attraction, les compare, les rapproche, s’y perd dans leurs méandres, s’abandonne dans leur énergie. C’est un mélange de rêve et de souvenir, de méditation et de mémoire. Plastiquement, le film est dément. L’image flotte, ondule comme si elle était soumise à une source de chaleur menaçante. Ouatée comme un rêve. Je me demande si ce n’est pas l’objet le plus expérimental du cinéaste russe, dans son approche formelle autant que dans sa mise en abyme. C’est à la fois très simple (des mots chuchotés sur des images triturées) et vertigineux. Disons que l’on peut apprécier cela de différentes manières. En tant que poème imagé ou en tant que voyage dystopique ; Ou comme une douce caresse des formes et des matières ; Ou simplement c’est une réflexion sur le mouvement, le mouvement dans l’art. Les forces invisibles, la disparition. Des routes, des forêts, la mer, la lune, des frontières. Ici un arbre sans feuillage affrontant l’hiver avec ses fruits jaunes. Là ce très beau passage sur la route qui rappelle, différemment, le travail sur les lumières de Tati dans Playtime. Il y a aussi cette drôle de rencontre, avec un homme de passage. Un personnage au hasard, symbole étrange du tumulte des Hommes, entre la force créatrice et la haine. C’est dans la peinture que Sokurov finit par se mouvoir et se réfugier, entre Bruegel et Van Gogh, La tour de Babel et Allée des peupliers puis dans Place Sainte-Marie de Peter Saenredam. Une collision entre le réel et sa représentation. Collision rêvée, collision temporelle. C’est un voyage tour à tour enivrant, envoutant, inquiétant, extatique, accompagné d’un arrangement électronique de Mochkov reprenant des fragments d’œuvres de Chopin, Mahler ou Tchaïkovski. On navigue dans le sublime. Je me rends compte que j’aime le Sokurov du déplacement sans fin, sans issue, en lévitation, à l’image de cet homme marchant en attendant la mort de sa mère (Mère et fils) ou de cette traversée sensuelle de l’Ermitage (L’arche russe). Dès qu’il se fige ou s’enlise, j’ai tendance à vite perdre pied.
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