Sheepdog in the sandstorm.
7.0 Je ne comprends pas trop les motivations de cette polémique générale envers le dernier Eastwood. Dire qu’il est ambigu, d’accord, mais ce n’est pas comme si son cinéma ne l’avait jamais été. Depuis son passage devant la caméra de Siegel dans Dirty Harry jusqu’à son diptyque sur la bataille d’Iwo Jima, le cinéaste républicain a toujours attiré les foudres. Non pas que son cinéma soit de morale douteuse mais qu’il ne se contente aucunement de placarder des discours antimilitariste ajustés qu’un spectateur du dimanche soir s’attend à recevoir.
J’admets avoir un peu lâché Clint ces dernières années, parce que cette somme de films classiques un peu trop suffisants me satisfait moins, au point de ne pas m’être déplacé pour Jersey boys, son cru 2014. Je le regrette. Allez, je m’emballe, évidemment, mais je pense qu’American sniper est le meilleur film d’Eastwood depuis Mystic river. Voilà, c’est dit. Je me sens mieux.
Ce que le film raconte sur la transmission est passionnant. Ce n’est même que ça puisque d’enfants, il en est question en permanence : De celui que Chris Kyle était (très beau flashback parallèle introductif) à celui que sa femme attend, aux enfants qu’il a parfois dans son viseur. Et ces enfants, qu’ils soient issus du Texas profond, pas bouseux hein Chris y tient, ou plongés au milieu d’un champ de guerre, sont élevés dans la violence et dans le culte de sa réussite. Le film s’achève d’ailleurs sur une autre transmission, une autre absurdité, la mort du tireur d’élite des Navy SEAL, par un vétéran américain. Lui que l’on surnommait The legend, pour toutes les vies américaines qu’il avait sauvées et vies ennemis (160 parait-il) qu’il avait volées. Quant à ce surnom exagérément héroïque, le tireur ne s’en accommodait pas. Et tout le film parle de ça. De ce décalage perpétuel entre ce qu’il veut être et ce qu’il est aux yeux des autres. De cette certitude quant à son engagement troublé progressivement dans son cheminement intime, du retour du front de son petit frère défait qui l’ébranle aux dommages qu’il subit quotidiennement mais qu’il ne veut accepter.
On a souvent employé cette expression passe partout de « film dénonçant l’absurdité de la guerre » notamment lors des nombreuses œuvres autour de la guerre du Vietnam. Et je pense qu’American sniper, même si ambigu, mais subtil dans son ambiguïté, se situe dans cette veine là. Et c’est d’autant plus tangible ici que le film me parait être une sorte de point culminant du cinéma sur la guerre absurde, dans la mesure où son personnage, dont le film prend le parti de suivre l’intégralité de ses mouvements derrière son viseur comme au sein de sa vie privée, de laquelle il n’est bientôt plus que le fantôme de lui-même, est condamné à associer n’importe quel bruit quotidien aux horreurs qu’il a traversées, à entendre un brouhaha guerrier permanent même lorsque la télévision est éteinte (superbe plan dévoilant cette masse guerrière tétanisée devant cet écran vide).
Si le film ne prône aucunement le nationalisme belliqueux et encore moins la glorification des héros de guerre, il ne s’aventure pas non plus sur le terrain politique et s’il utilise les attentats de Nairobi puis l’effondrement des tours jumelles comme prétexte au conflit Irakien c’est moins une question de raccourcis que parce qu’il s’aligne sur les impressions limités de son personnage, qui ne fait que répondre aux loups en chien de berger, comme son père lui a inculqué et comme il inculquera aussi à son propre fils.
Les images d’archives finales bien qu’assez gênantes dans leur apparente distribution de larmes et de lauriers crée autre chose : la sensation que la société américaine vénère moins ses vivants que ses morts, qu’elle préfère tout construire sur des ruines et du sang. Rester le chien de berger qui protège ses brebis, le fort qui vient au secours des faibles. Une société en guerre dès la naissance. Que le film fasse de Chris Kyle un bon chien de berger bas du front, qui n’a aucune conscience politique et qui construit une famille pour créer d’autres chiens de berger est sans équivoque à mon sens. C’est le portrait d’un paumé issu du rodéo, qui n’a d’autre ambition que de servir sa patrie, protéger les siens contre cette barbarie qui selon lui sont les autres.