Archives pour juin 2015

Game of thrones – Saison 5 – HBO – 2015

11061319_10152981930167106_1047643884083260129_nThe wars to come.

   8.0   Comme l’an passé, le grand frisson aura pour moi été atteint sur le final de l’épisode 8. L’attaque des marcheurs blancs succède donc au combat entre Oberyn « La vipère » Martell et Gregor « La Montagne » Clegane. C’est un grand moment, admirablement construit, tout simplement parce qu’il nous prend au dépourvu. On attendait quelque chose, mais pas comme ça. Plutôt entre la Garde et les sauvageons, quoi. C’est hyper fluide, lisible et crescendo à l’image de cette saison toute entière. On ne donnait pas cher pour John Snow, après ça. Bref.

     J’ai vraiment la sensation, pour la première fois, avec Game of thrones, qu’un cap est passé, que le combat des trônes se relègue progressivement derrière cette menace infiniment plus grande, derrière le mur, plus si loin en fin de compte. Et puis ils sont nombreux, ces cons de white walkers, n’empêche et n’ont pas fini de l’être. On est quoiqu’il en soit loin du sprint final (Combien de saisons en perspective ? Difficile à dire) mais un avant-goût est lancé. Reste à savoir comment les grosses entités vont se croiser. Dragons/Marcheurs, Daenerys/Snow, Feu/Glace. Si tant est qu’ils se croisent, tu me suis, toi qui es allé jusqu’au bout de cette saison. No spoiler ! Je fais au mieux.

     Dans les à-côtés, Braavos reste floue mais très excitante ; A Meereen ça me plait ; A Dorne c’est assez anecdotique mais je suis archi fan des décors et des Aspics des sables, évidemment. A Winterfell on attendait que ça pète. Et ça a pété. Trois secondes. Carnage absolu, inattendu, magnifique. Il y a une élégance dans les partis pris qui me fascine. Comment peut-on autant mousser un lieu (qui engage Ramsay, Theon, Sansa, Stannis, Brienne…) et le dissoudre aussi violement ? J’adore. Dingue de constater combien cette cinquième saison aura pris son temps. Et ça l’est tout autant de la voir aussi saisissante et démesurée lors de ces trois épisodes finaux. Je ne sais d’ailleurs pas si je la trouve aussi réussie que la précédente – Haut fait de Game of thrones, définitivement, de bout en bout – mais la plupart des choix force le respect. Les types sont vraiment balèzes quand même.

     On pourrait d’ailleurs parler construction. Celle des deux dernières saisons assez différentes, pour ne pas dire inversées. Cette année on peut dire que durant sept épisodes (qui m’ont laissé quelque peu sceptiques) ça aura bien ronronné jusqu’à lâcher les chevaux à la fin (Trois derniers épisodes d’une puissance hallucinante) même si toujours dans un esprit de cohérence, de crescendo adéquat. L’an passé, il y avait ce deuxième épisode (Les noces de Joffrey) qui redistribuait toutes les cartes très vite, même si là encore la série avait fini en furie (Oberyn, l’attaque du mur). Quoiqu’il en soit, le dernier épisode marque une vraie rupture. A celui lumineux, espacé, optimiste de fin de saison 4 répond celui terrible, confiné et funeste de cette saison 5.

     C’est fou comme cette série parvient à renverser toutes les certitudes, contourner toutes le attentes, Cette dernière heure qui clôture donc notre plongée dans GoT avant sa reprise dans un an, est probablement ce que la série aura offert de plus fort, une totale maitrise, autant dans l’écriture, la mise en scène, la gestion de chaque séquence, sa brièveté (Winterfell, donc), sa longueur (Sublime dialogue entre Daenerys & Tyrion), son malaise (Cersei, séquence hallucinante), sa violence (Arya), sa soudaineté (Snow). Un crescendo dramatique d’orfèvre. Je ne savais plus où j’habitais, à l’image de Daenerys perdue avec son dragon dans ce qui ressemble à une steppe de Dothraki. Quant à la marche expiatoire, c’est probablement le truc le plus terrifiant jamais vu dans du Game of thrones. Pour en arriver à avoir de la compassion pour Cersei, il fallait frapper fort. Jamais la série n’avait atteint ce point de malaisance.

     J’ai lu des trucs désespérants à son propos, on a vraiment l’impression que certains aiment vomir leur bile pour se décréter une forme de pouvoir. Surtout que la plupart de ces lignes, il faut le reconnaître, sont mal écrites, à peine argumentées. Je trouve que c’est un season final honnête pour du GoT au sens où il correspond parfaitement à son dessein, se glisse dans son univers. Ce qui aurait mal fonctionné peut-être c’est de se servir de tout ça comme d’un twist un peu fumeux, alors que tout parait cohérent, inéluctable. Non, franchement, je trouve cette saison admirable à tout point de vue. Tous les arcs narratifs mis en place durant dix épisodes se ferment à la perfection pour en ouvrir d’autres à l’image de la fuite de Sansa. De quoi alimenter une attente considérable. Avec un peu de frustration, aussi. Bref, tout ce que l’on aime.

The Myth of the American Sleepover – David Robert Mitchell – 2010

960Masculin, féminin.

   8.0   S’il fallait trouver des référents à ce coup d’essai ils seraient à chercher du côté de Sixteen candles et Dazed and confused. Un mélange de Hugues et de Linklater, oui tiens, pourquoi pas, auxquels on pourrait adjoindre le American graffiti de Lucas ainsi que le Adventureland de Mottola. Quatre films, quatre décennies différentes. Je n’y avais même pas prêté attention. Néanmoins, le cinéma de David Robert Mitchell ne ressemble à aucun de ces teen movies, dans le fond. Il ne partage ni leur ancrage nostalgique ni leur pendant comique, burlesque ou très dialogué. Il y a quelque chose chez lui qui sonne presque européen. Pas étonnant qu’il cite Truffaut comme étant sa principale source d’inspiration. Et pas étonnant non plus que son approche me parle infiniment, jusqu’à l’hypnose, telle que je voudrais le voir s’étirer à l’infini.

     Le cinéaste raconte qu’il a construit The myth comme un rêve et It follows comme un cauchemar. L’un étant finalement le versant fantasmé de l’autre, suivant le fantasme qu’on lui prête. A chaud, je ne saurais pas dire lequel je préfère, je pense que cela dépend de l’humeur. Mais ce sont les mêmes films, à mon avis. C’est un peu comme lorsque Demy fait Les parapluies de Cherbourg et Les demoiselles de Rochefort. Si le tragique et la lumière s’invitent dans les deux, il y a deux danses : l’une terrible, l’autre merveilleuse. On pourra toujours se dire qu’It follows témoigne d’une consécration narrative et plastique mais cela n’enlèvera rien à ce premier film, moins maitrisé certes, mais accompagné tout du long par une singularité d’une grâce folle.

     Toujours est-il qu’il est le seul aujourd’hui à filmer l’adolescence ainsi, sous le joug de la fixation charnelle, de l’angoisse de la sexualité, de la tentative maladroite. C’est ici un garçon qui cherche la fille à la robe jaune dont il a croisé le regard au supermarché, là un autre dans son désir de retrouver deux sœurs jumelles dont il était tombé amoureux lors d’une soirée ultérieure. Il y a aussi Maggie en plein imbroglio  sentimental partagé entre son emprise sur un camarade de classe et son attirance pour le garçon de la piscine. Tous déambulent dans une sorte d’impasse, entre leur solitude affective et le plaisir de la découverte, à l’image de Claudia qui vient d’emménager et fait la connaissance de ceux qu’elle côtoiera quotidiennement lors de la prochaine année scolaire. C’est une impasse, mais une belle impasse, tant Mitchell capte ce spleen avec une infinie tendresse. On a envie d’être avec eux, de partager leur loose. J’ai aussi beaucoup pensé au film de Matthew Porterfield, I used to be darker, qui partage avec lui cette même approche sensible, aérienne.

     C’est une nuit où rien ne bascule concrètement, mais où tous les souvenirs se jouent. Une nuit, rien qu’une nuit, entre soirée pyjama, errance entre les quartiers anonymes, baignade dans le lac. A l’image de son titre, Mitchell se situe moins dans le réalisme que dans le mythe. Au-delà de son aspect cruel – toutefois moins cruel que dans It follows – on navigue dans une version fantasmée de l’adolescence. Et The myth est comme cela parcouru d’une ambiance mystérieuse (pas encore fantastique, mais presque) et ouatée où les plus doux moments sont captés comme des caresses, on pense notamment à ce « baiser respiratoire » dans un sous-sol ou à cette évasion nocturne sur un toboggan ou encore à cet étrange immeuble en ruines – que l’on retrouvera aussi dans le film suivant, lors d’une séquence inversée, terrifiante – où semblent être pratiquées des rencontres anonymes, jusqu’au baiser langoureux, sinon plus.

     Comme je le disais précédemment, ça pourrait être sans fin. Il n’y a pas vraiment de règles dans ce teen movie de poète, le jour ne pourrait jamais supplanter la nuit que l’on s’y ferait. En ce sens ça évoque aussi beaucoup le Deep end de Skolimowski, ode passionnée à la fuite des corps. Et les frontières y sont toutes abolies : Scott rejoint une fac de l’autre ôté d’un pont, Rob ne cesse de croiser sa mystérieuse déesse sans la voir, tout le monde entre chez tout le monde, les garçons sont autorisés à pénétrer dans une soirée pyjama fille. Cette idée de frontière est d’ailleurs le cœur du cinéma de Mitchell tant il symbolise autant l’ouverture que la peur. Le bonheur et la torture, à la fois. Comme l’avoue Scott à Ady et Anna, quand il reconnait ne pas pouvoir choisir entre les deux. Tous sont maladroits dans le moindre geste, la moindre des paroles. Garçons comme filles. Ils ne savent pas choisir. C’est en somme leur première expérience avec le choix, à travers le poids de leur virginité.

     Et puis il y a le Michigan, tout particulièrement Détroit, déjà, avant qu’il ne soit encore au cœur de It follows. Mais The myth est entièrement lesté de toute notion d’espace-temps. On est en banlieue, peut-être dans les années 70, attendant un éventuel crush avec le Halloween de Carpenter, comme on est aujourd’hui, dans un Détroit fantôme. C’est comme pour It follows, où les voitures sont actuelles mais les téléviseurs dans les maisons datent des années 80 et le cinéma du quartier projette Charade, de Stanley Donen. Il n’y a pas pour autant volonté de faire quelque chose d’universel et de le placarder comme tel, mais d’entrer dans le mythe de manière à creuser les personnages dans leur intimité, en nous ôtant par la même tous nos repères habituels. Les parents sont par ailleurs absents du film, entièrement. La mère de Rob apparait dans le supermarché poussant son caddie, les parents de Sean sont de retour un moment, hors champ. C’est tout. Comme si la métamorphose de leurs enfants paissait inévitablement par leur absence commune.

School of rock – Richard Linklater – 2004

School-of-Rock-2“No way! That’s so punk rock.”    

   8.5   Je suis très sensible au cinéma de Linklater, de plus en plus. Je ne sais pas si c’est une passade, mais c’est pile ce que j’ai envie de voir ces temps-ci – cette année. Je suis en revanche nettement moins sensible au jeu de Jack Black, à priori. C’est donc avec une curiosité sceptique que je me suis lancé dans School of rock (oublions le titre utilisé chez nous) qui prenait gentiment la poussière sur une étagère. Et nom d’un petit bonhomme, c’est absolument génial ! Assurément même, l’un de mes futurs films de chevet. La réussite insolente du film qui réussit à peu près tout ce qu’il entreprend, ne tient pas qu’à la présence de Jack Black – absolument extraordinaire ici et je pèse mes mots, à tel point que ça effacerait d’un trait toutes ses autres prestations qui jusqu’ici m’avaient gonflées – mais beaucoup à lui, quand même, malgré tout. Cette énergie qu’il parvient à insuffler à chaque scène, la douce euphorie qu’il génère autour de lui, ses penchant one man sans en faire trop, ce statut de looser magnifique qu’il égrène avec brio relayé par un coup du sort improbable, l’aisance de son jeu dans les circonstances les plus incommodantes (chanter, jouer, danser) et la tendresse de son personnage de manière générale. Franchement, il m’a bluffé. Ça aurait pu être suffisant. Mais même pas et tant mieux.      School of rock est un super film de mise en scène. C’est fou comme de film en film et sur des sujets qui n’ont à priori rien à voir entre eux, Linklater impose son style, étoffe chaque situation par sa science de l’écriture et du découpage et réussit à donner à chacun des personnages – gosses compris, surtout eux qui plus est – une densité de jeu, de caractère, bref une présence indéniable. Tout son cinéma se résume dans cette fusion : Une somme d’individualités passionnantes se révélant à l’intérieur d’un tout. C’était ça dans la dilatation temporelle de Boyhood, le récit volontiers choral de Fast food nation ou la trajectoire initiatique de Dazed and confused. Léger en apparence, complexe dans sa profondeur. Faire de cette multiplicité une globalité magnifique, juste et émouvante. Et School of rock a peut-être ce truc supplémentaire d’être aussi un bel objet théorique sitôt qu’on le replace dans l’approche cinématographique de Linklater en général. Puisque le groupe est le sujet même du film. Jack Black y campe en effet un prof imposteur qui veut faire de sa classe un groupe de rock, avec un guitariste, un batteur, un synthé, une basse. Sans oublier le chant, la lumière, la sécurité, le management et j’en passe. Chacun des élèves aura une place à part entière, chaque personnage existera, évoluant même au gré des envies, doutes, requêtes, bouleversements en tout genre. Linklater aurait pu en faire une série – Je le verrai bien évoluer sous ce format, d’ailleurs.      C’est donc passionnant à tous les niveaux. C’est rythmé, c’est drôle, c’est osé. Le « I have been touched by your kids… and I’m pretty sure that I’ve touched them.” Sérieux ? Qui ose ça ? Et puis c’est un peu le même film que Dazed and confused, dans la mesure où l’univers cadenassé est souillé de l’intérieur en faisant succomber l’ennui et la crainte par l’abandon et l’épanouissement, dans lequel les personnages de McConaughey dans l’un et Jack Black dans l’autre pourraient être le miroir l’un de l’autre, à la différence que le premier rejouait l’ado pour un soir tandis que le second est resté cet ado-là. Ce qui n’empêche pas le film, au contraire, au moyen de son utopie flagrante (dérider l’institution, contourner les lois, laisser le parent hors-champ) de replacer son récit dans un contexte réaliste. La fin est très belle à ce titre. Et puis bon, c’est un peu l’un des plus beaux génériques de fin ever – Avec celui d’Inland empire. Qui va d’ailleurs jusqu’à rejouer malicieusement cette dimension théorique sans la surjouer, offrant à chacun sa part de scène, jusqu’aux plus jeunes, nouvelle recrues anonymes initiés par cet ami sur le retour, qui a trouvé comment combiner son confort et son rêve. C’est un grand film de transmission. Et puis c’est un peu un rêve, tout ça, quoi : Avoir une matière en primaire qui t’enseigne l’histoire du rock, avec un prof aussi cool. Bref, c’est très beau. Et puis c’est fou car on voit tout venir dans les grandes lignes, ou presque, mais c’est tellement bien écrit que c’est toujours surprenant. Je ne suis pas prêt d’oublier cette petite classe. Et ravi d’avoir enfin découvert un Jack Black à la juste valeur de son jeu. Quant à Linklater je pense pouvoir officiellement dire que c’est l’un des cinéastes américains en activité qui compte le plus à mes yeux. 

Louie – Saison 4 – FX – 2014

11156358_10152826701412106_7369821600611682093_nBack.

   7.5   A l’instar d’Engrenages, avant de me pencher sur la saison 5, parlons un peu de celle-ci. Je suis resté ici sceptique le temps de deux épisodes, le premier sans intérêt et le deuxième très drôle mais un peu trop wtf pour moi. Tout s’est très vite embrasé avec l’épisode 3 notamment puis avec la rencontre avec la voisine hongroise (les six épisodes Elevator sont ce que la série a fait de plus beau je trouve) puis avec le retour de Pamela – On a vraiment quelque chose du Two lovers de Gray là-dedans. C’est sublime. Et c’est d’autant plus beau que cette saison donne la part belle aux enfants de Louie, plus encore qu’avant et se permet le temps de deux épisodes allongés d’effectuer un judicieux parallèle avec son enfance à lui. Cette saison réussi à créer trois niveaux passionnants tout en restant hyper cohérent, franchement chapeau. On ne peut décidément rien prévoir, bref j’aime de plus en plus. Et puis la fin dans la baignoire, mon dieu…

La sapienza – Eugène Green – 2015

maxresdefaultLumière silencieuse.

   7.5   C’est toujours un peu délicat d’entrer dans un film d’Eugène Green, d’autant plus pour moi qui suis habituellement pas le plus sensible à son cinéma. Le pont des arts (2004) et La religieuse portugaise (2009) sont des films que j’admire mais pour lesquels je ne parviens pas à m’investir autant que je le voudrais, la faute à des postulats mise en scénique qui m’extraient de cette pesanteur dont Green, cinéaste de la lumière, de la beauté en est le parangon moderne. La sapienza ne déroge pas à la règle. C’est un film très beau mais qui me laisse régulièrement en retrait, de part cette construction méthodique des plans, notamment ces champ/contrechamp chers à Green, où l’on a le sentiment gênant que les personnages tentent de briser la toile en s’adressant à nous, les yeux dans les yeux. Déroutant au possible. Au moins le premier quart d’heure puis on s’y fait, on accepte, on se plie aux volontés de Green, même s’il faut accepter d’être déstabilisé, à l’image de cette distance un peu trop appuyée qui règne au début au sein du couple. Evidemment, le récit viendra magnifiquement justifier cela mais en attendant une aide narrative je trouve les intonations de la langue ainsi que les postures figées bien trop appuyées pour laisser respirer le couple, aussi fragile soit-il. Le film me plait davantage dès l’instant qu’il brise le couple géographiquement, en redistribuant ses cartes, proposant deux relations, les hommes d’un côté en route pour Rome, les femmes de l’autre rivées à Stresa. Cette idée de dédoublement intergénérationnel est la grande idée du film, qui n’est qu’obsession du temps, des fantômes, de la lumière. On n’avait peut-être pas vu ça depuis L’étrange affaire Angelica, du regretté Oliveira. Et surtout, Eugène Green parvient à filmer l’espace qu’il met en lumière. Il y en a peu qui traversent vraiment le film mais il les filme, dans leur densité, leur profondeur, leur mystère : Le lac-majeur, le Saint-Suaire de Turin, une boite de nuit. Décors sublimés. Et lorsqu’il resserre sur les visages, il les filme alors avec la même tendresse que lorsqu’il scrute les parois architecturales. Le corps d’Alexandre (Fabrizio Rongionne) est d’abord extrêmement figé jusqu’aux lèvres à peine entrouvertes lorsqu’il parle, avant de se détendre progressivement, s’ouvrir et sourire. Ce qui est moins le cas de Lavinia (je suis ravi de retrouver la jeune Arianna Nastro, qui jouait dans La solitude des nombres premiers : il y a en elle et dans son jeu une légèreté mystique assez fascinante) atteinte d’une curieuse maladie de langueur, qui reste fidèle d’un bout à l’autre à son rôle protectrice, garante de la lumière, au moins pour son frère qui l’inquiétait. Cette lumière c’est la transmission, le savoir, la sagesse, une certaine idée de la sapience, terme dont on connait le sens mais avons perdu l’usage, pour citer les mots d’Alexandre. Je trouve le film très beau sur ce qu’il raconte du couple qui survit aux ténèbres, un ami suicidé, un enfant décédé. Et cette manière qu’il a de rejouer la rivalité (Borromini/Bernin, Jeunesse/Sagesse, Harmonie/Chaos, Baroque/Hiératisme, Lac Majeur/Périph de Paris, Passé/Présent) sur une somme considérable de niveaux de lecture est hyper stimulante. Bref, je pense que c’est à ce jour le film d’Eugène Green qui me touche le plus. Surtout que plastiquement, architecture italienne aidant, c’est absolument somptueux. 

Engrenages – Saison 4 – Canal+ – 2012

10151956_10152088359907106_4635921358698888042_nHaute tension.    

   8.5   Et donc Engrenages, quatrième opus. Je suis a deux doigts de crier au chef d’œuvre. Je ne sais pas encore si je préfère celle-ci ou la troisième saison. Toujours est-il qu’on a ingurgité non-stop ces douze sublimes épisodes. Tous plus surprenants, angoissants et tristes les uns que les autres. Je ne suis pas prêt d’oublier les doutes de Tintin, la scène de la péniche, l’arrestation du sans-papier, ce commissaire ignoble, le dilemme de Laure, la scène de la carrière, celle du commissariat à la fin, entre autres car j’en oublie. J’en ai des frissons rien qu’en y repensant. Et puis j’adore le fait que cette saison reprenne quasiment là où s’arrêtait la précédente. Franchement je n’ai jamais vu un groupe (dans la police) aussi bien rendu, étoffé, réel que dans Engrenages. C’est fascinant à quel point la mise en scène ne fait que des bons choix. Je parle très bientôt de la saison 5, promis.

Frenzy – Alfred Hitchcock – 1972

Frenzy - Alfred Hitchcock - 1972 dans * 730 Hitchcock-cameo-Frenzy-1972Le maniaque sexuel de Londres.

   9.0   A l’instar de Fenêtre sur cour, l’ouverture est un lever de rideau virtuose. Un plan aérien rejoint La Tamise, s’y engouffre et pénètre dans la capitale en se faufilant façon péniche sous le Tower bridge dont les routes se lèvent pour nous laisser entrer. Un monde de possibles, d’espoir et de réussite semble s’ouvrir à l’image de la musique entrainante qui l’accompagne et les promesses d’un speech gouvernemental sur le procès de l’industrialisation du fleuve. Tout le film naviguera sur ce procédé de pur trompe l’œil. Aussitôt les acclamations d’un auditoire satisfait on découvre le corps d’une jeune femme dans ce même fleuve, non pas dépecée à la mode de Jack L’éventreur comme le fait remarquer ironiquement un homme dans la foule (le film sera régulièrement parcouru de pointes d’humour carrément décalées) mais étranglée à la cravate. Et ce n’est semble-t-il pas la première. C’est une apparence de monde plein de promesses, relayée violement par le crime.

     Frenzy est l’un des tout derniers films d’Hitchcock, son pénultième pour être exact et c’est l’un de ses meilleurs, fascinant de maîtrise et d’expérimentations mise en scénique. Chaque fois il me passionne, me sidère différemment. Hitch règle en réalité ses comptes avec Psychose, autant qu’il se synchronise avec cette vague giallesque qui jaillit du cinéma italien durant cette même période, genre brièvement populaire alors à son apogée commerciale. Et en somme, oui, Frenzy c’est un peu le giallo à la mode d’Alfred. Pas de couteau ici ni d’ambiance volontiers excentrico-surréaliste mais une volonté de jouer dans cette cour, de manipuler ses propres codes en les malaxant avec ceux du genre. Une double référence qui s’impose finalement durablement, au moins dans le ton, assez unique dans un film d’Hitchcock, qui s’impose au fil du récit.

     Frenzy est parcouru par quatre meurtres, tous mis en scène de façon différente. La découverte macabre d’abord, post accomplissement, ce corps tuméfié flottant dans les eaux sales, s’échouant sur la berge. Plus tard, le geste tant attendu, lent, frontal, d’une violence inouï. Plus tard encore, celui hors champ (fameux travelling arrière de légende) étonnamment relayé par sa périlleuse évacuation. Et le dernier, qui ferme le film comme il l’avait ouvert, sur le corps cette fois inerte d’une inconnue, encore chaud. Un défilé de visages pétrifiés, langues sorties, yeux exorbités, en quatre mouvement. Quelque soit sa divulgation chaque meurtre est représenté sous le sceau de l’image choc : Un visage en cut terrifiant ici, un corps mélangé avec des patates là, un que l’on extrait des eaux, un autre que l’on sort de la couette. Ce sont vraiment les abysses du macabre.

     Alors pourquoi Psychose ? Tout simplement car Hitch se permet cette fois de faire disparaitre non pas un mais deux personnages féminins moteurs du récit, gravitant autour d’un innocent que tout accable. En un sens c’est tout le cinéma de Hitch qui se rejoint. Le thème du tueur en série et du faux coupable. Le mouvement, le divertissement et le macabre. Puisque la broche du tueur évoque aussi la clé dans Le crime était presque parfait, autant que la rousse qui se substitue à la blonde rappelle les rouages de Vertigo. Les escaliers ceux de chez Norman Bates. Un moment même, le héros malmené est englouti sur une place londonienne par un vol groupé d’oiseaux. Frenzy se permet absolument tout, dans la durée comme dans l’humour, à l’image de ces nombreuses séquences chez l’inspecteur, condamné à se farcir les expérimentations culinaires improbables (Cannetons aux cerises, soupe de lotte…) de son épouse, tandis que dans le même temps elle finit par lui faire ouvrir les yeux sur la véritable identité du serial killer. Il y a une corrélation jubilatoire entre la nourriture et le meurtre, comme dans La corde. J’aime cette folie qui émane dans chaque séquence. On pourrait tout aussi bien évoquer cette longue scène de camion transportant des sacs de pommes de terre, tant son épure, sa longueur, le suspense qui en émane, teinté d’humour, fait partie des plus grandes scènes folles qu’Hitchcock aura créé.

Le bureau des légendes – Saison 1 – Canal+ – 2015

11407036_10152962216222106_1525682781981198622_nDans l’œil du cyclone.

   7.5   C’est un grand récit d’espionnage, à raison d’agents doubles, de missions secrètes internationales, de recrutement poussé, de test d’intégrité, d’infiltrations, de surveillances en tout genre. C’est d’une telle richesse, d’une telle complexité, ça frise parfois l’hermétisme, avec ces tunnels de dialogues qui succèdent aux longs entretiens en trompe l’œil. Et la construction est étonnante, variant les points de vue, les fonctionnements narratifs, les ellipses. Clairement ce que Rochant a fait de mieux depuis Les patriotes. Au-delà de cette impression positive je n’oublie pas aussi m’être régulièrement désintéressé du récit à de nombreuses reprises, sans doute car format aidant, j’ai la sensation qu’elle se disperse trop ;  c’est assez inégal, surtout au début, il faut réussir à y entrer.  Car paradoxalement je trouve que ça manque de grandes séquences, qui te restent, te collent à la peau. La série joue tellement peu la virtuosité et c’est tout à son honneur, qu’elle en devient parfois monotone. J’ai un peu pensé au Carlos de Assayas, qui lui justement se permettait ce grain de folie, se laissait gagner par l’étirement et l’énergie de sa mise en scène. Ça se regardait aisément d’une traite, Le bureau des légendes, moins, déjà. Mais je reste impressionné globalement par la densité de la chose, autant dans la caractérisation des personnages que dans l’écriture narrative. Tu sens le travail de fourmi en amont. Mais surtout, je trouve la série assez touchante, je pense que c’est là-dessus qu’elle est venue me cueillir. Moins par sa truculence et sa multiplicité donc que dans l’intimité qu’elle parvient à saisir de certains personnages, notamment Malotru (Mathieu Kassovitz) amoureux d’une libanaise (qui a est aussi pleine de secrets) sous son identité de légende, qu’il va revoir à Paris ce qui est formellement interdit dès que la mission est achevée. La série creuse aussi minutieusement ses rapports distants avec sa fille qu’il n’avait pas vue depuis six ans, pendant qu’il était en mission à Damas. Cette manière de tout resserrer sur l’intimité du personnage crée une identification forte. Il y a aussi Marina Loiseau (Sara Giraudeau) une jeune sortante de polytechnique, que l’on forme violement (à toute forme de résistance) avant de l’envoyer sur le terrain en Iran. Immense personnage. Et l’actrice est formidable, elle réussit merveilleusement à jouer la maîtrise et la candeur sans que l’on y décèle fausseté ou performance. C’est finalement cette part formatrice de la peinture de la DGSE qui me fascine vraiment dans Le bureau des légendes, moins ce qui tourne autour de Cyclone, un de leurs agents enlevé en Syrie. La fin est mortelle, surtout qu’elle annonce clairement le début d’autre chose ; La fin de l’affaire Cyclone, mais l’ouverture sur une infinité de possibles. Hâte de retrouver cette petite équipe secrète (Malotru, Pépé, Mémé, Moule à gaufres, Rim, Marie-Jeanne…) dans une prochaine saison.

Möbius – Eric Rochant – 2013

84778590_o     5.5   La partie mélo est belle. La partie espionnage, moins. Curieux. Je suis probablement l’un des seuls mais j’ai trouvé ça pas mal. Alors évidemment juste pas mal, car on est bien loin du grand Rochant, croisé avec Les Patriotes, le film est parfois confus, un peu mal branlé, parsemé d’invraisemblances et mécanique, mais j’aime malgré tout son tempo, sa sensualité et la relecture libre du Notorious d’Hitchcock.

Le lys de Brooklyn (A tree grows in Brooklyn) – Elia Kazan – 1948

12. Le lys de Brooklyn (A tree grows in Brooklyn) – Elia Kazan - 1948   8.0   Second film que je vois de Kazan. Celui-ci est son premier de cinéma après sa carrière de théâtre et c’est incroyable de voir à quel point il transcende son sujet et tous les oripeaux théâtraux car ce film là avait tout pour n’être qu’un théâtre filmé. En fait c’est absolument magnifique. Film social, familial d’une énergie fulgurante. Ce qu’il reste de son passage au théâtre : ses acteurs, tous très bons, tout particulièrement celle qui joue la gamine, personnage difficile à campé et tout bonnement bouleversant.

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