Etat des lieux.
4.5 J’y allais vraiment à reculons. Pour ce qu’il a traîné derrière lui comme polémique depuis Cannes, d’une part, mais aussi parce que De rouille et d’os m’avait poliment gonflé. Je suis assez mitigé. J’aime des choses, je ne vais pas le nier, mais d’autres m’agacent tellement. Cela dit, bien qu’il faille se farcir la mise en scène toujours trop stylisée d’Audiard, tout le début fonctionne plutôt bien. Dès l’instant que le film se pose dans le HLM de Poissy où Dheepan en sera le gardien, j’apprécie ce que crée le cinéaste au sein de la cellule faussement familiale, notamment la naissance du désir, la crainte de l’apparence, les relations avec l’enfant, mais aussi ce que le film raconte de l’entourage ; ça pourrait être hyper schématique mais les personnages qui semblaient à priori entrer dans des cases révèlent leurs nuances, tandis que ce sont ceux qui dans ce type de film, qui sont généralement les catalyseurs des futurs drames, à savoir les guides (ici l’interprète tamoul ou plus tard le type à tout faire dans la cité) sont ici les plus bienveillants. J’aime à ce titre beaucoup la séquence des boites à lettre. Elle est sans équivoque, c’est très beau. Mais le film prépare son virage. Il y a d’abord ce rapprochement un peu trop bisounours entre Yalini (la femme de Dheepan) et le gros caïd du coin, Brahim – Excellent Vincent Rottiers, comme d’hab. Puis lorsque Dheepan se retrouve à nouveau confronté à son passé, le monde des armes, en croisant son colonel en chef de longue date au Sri Lanka. Le lieu fermé dans Un prophète permettait à Audiard de préserver sa ligne de conduite et son intensité de bout en bout. Là non. Il faut ce carnage. Façon Travis Bickle. Mais Audiard n’est pas Scorsese loin s’en faut et cette montée en enfer, comme si Dheepan remontait son passé, est assez grossière. Sans parler de cette dernière séquence absolument minable, même pas maladroite ou ratée, non, minable. Allez si parlons-en : Londres est ensoleillée, accueillante, estivale ; Les arbres bourgeonnent, les rues sont désertes, un bébé est là, on se passe la main dans les cheveux sur un canapé dans un jardin luxuriant, en pleine barbecue party. Au secours. On pourrait citer une autre scène symptomatique d’une réalisation lourdingue : la double séquence Eléphant, inutile, sinon présente pour satisfaire le public bobo qui a besoin de ce détachement pseudo onirico-spirituel. Dommage, vraiment car dès qu’il y a deux personnages dans le plan, Audiard saisit quelque chose et prouve qu’il est capable de le faire même si très souvent il ne lui laisse pas le temps d’éclore.