Dans les griffes du cauchemar.
8.0 C’est un film complètement fou, qui navigue entre les rêves les plus baroques et un réel quasi documentaire. La quasi-totalité de l’action se déroule en Haïti, en pleine période de révolution face à la dictature en place, le régime Duvalier, alors constitué de milices privés, rituels vaudous, sacrifices sanguinaires et magie noire.
Un anthropologue américain débarque avec comme ambition de rapporter sur son sol un poison qui permet dis-t-on de ressusciter les morts selon un processus très méthodique de zombification. Une quête d’emblée périlleuse, jonchée par les barbares, la milice des Tontons Macoutes et les cadavres exhumés de leur cercueil. Au-delà du récit barré calqué sur la plume de Wade Denis, biologiste s’étant inspiré de son expérience personnelle (un voyage haïtien) pour étudier, au travers de ces rituels inexpliqués, ces étranges cas de zombies, c’est la déstructuration même du récit qui frappe et donc la mise en scène alerte d’un Craven qui ne lésine sur rien, fustigeant les constructions standards en multipliant à outrance les aléas oniriques et horrifiques.
S’en dégage un film infiniment chargé, torturé, chaotique d’une générosité sans fin, traversé de visions hallucinogènes où les corps sont malmenés entre danses chamaniques et déformations dérangeantes. Corps que l’on enterre vivant ici, têtes que l’on tranche là, visages exorbités, scrotum mutilé, gorge pulvérisée par un serpent, lèvres caressées par un scorpion, visage inerte dévoré par les vers, paupières piétinées par une mygale, tombeaux infinis, montagnes de crânes… Sublime représentation de l’enfer que ce lot considérable de scènes effrayantes.
Rarement vu autant de fulgurances de la sorte dans un film de genre, qui plus est au sein du climat exotique qui l’accompagne. Exit les cartes postales des grandes Antilles, ne reste que l’horreur. Même les instants les plus doux à l’image de cette idyllique baignade dans une crique, renversante de beauté, sont relayés par des ruptures détraquées, ici une baise effrénée aux relents vaudous.
Niveau effets spéciaux, le film s’en tire avec les honneurs, sans doute car hormis lors de la toute fin et cette combustion un poil trop exploitée, il jongle à merveille avec la brièveté de ce qu’il doit montrer et/ou suggérer. Bref, c’est idéal pour parvenir à préserver la force de ce trip vaudou, voguant entre cauchemar et fantasme.
Je ne suis pas prêt d’oublier la démarche titubante (façon Roy Scheider à la fin de Sorcerer) de Bill Pullman et son visage zombifié. Il est à l’image du reste : Un cauchemar en continu duquel il est impossible de s’extraire. Les rares fois où le personnage parvient à en réchapper, il s’y trouve aussitôt replongé, en une ou deux séquences grand max. Superbe scène de diner avec cette main de cadavre dans la soupe suivie d’une incarnation diabolique de l’hôtesse prise d’un accès de violence spontané.
Craven garde ses précédentes tentatives sous le coude et si le film semble enfin être son récit scientifique réussi, on ne pourra que le rapprocher de Nightmare on Elm street dans sa manière, cette fois exploitée jusqu’à la démesure, de jouer avec l’instabilité et l’insondable que provoque cette immense zone de rêves.