L’armée des ombres.
9.0 Les hors-la-loi vieillissants de The wild bunch ont ceci de fascinants que les casses entrepris sont leur dernier coup, ils appartiennent déjà à un monde qui n’existe plus. Le film s’ouvre sur leur arrivée à San Rafael, petite ville frontalière du Texas, où ils s’apprêtent à voler, vêtus d’uniformes de soldats, un transfert de fonds dans une gare de chemin de fer. En parallèle, des enfants jouent et rient en observant un scorpion se faire malmener dans une fourmilière, avant d’y mettre le feu. La fin du film est racontée dans ces plans introductifs anodins. Ces types sont dans une fourmilière. Qu’importe leur résistance, le combat est vain, on y mettra le feu. Le banal cambriolage de cette ouverture est piégé et prend l’allure d’une fusillade sanglante.
Le cinéma de Peckinpah investit le western, genre en disparition, en lui assenant le coup de grâce. Un film régi par les lois d’une violence absurde et totale, dans la mesure où en plus d’être un carnage absolu comme on en avait jamais vu (Aussi bien dans la première séquence de tuerie que dans la dernière, où l’on raconte qu’il y a plus de morts à l’écran que de figurants au tournage) il épargne ni femmes ni enfants. La violence est ici une chorégraphie, les corps encaissent les balles, s’écroulent, sont maculés de sang ; Une violence à vitesse réelle alterne avec des ralentis. Les plans se chevauchent les uns dans les autres. Les inserts en tout genre sont légion, toujours saisis dans une limpidité d’orchestration minutieuse.
La bande hors-la-loi est poursuivie par des chasseurs de primes (dont le cerveau est un ancien hors-la-loi, prêt à racheter sa place en prison) et tous sont bientôt suivis par des soldats, jusque dans un Mexique en pleine révolution. Ils ont traversés l’Ouest sur leurs chevaux, on leur présente des automobiles. Et dire qu’ils en font maintenant qui volent, dira Pike aka William Holden. Ils débarquent avec leurs fusils mais croisent une mitrailleuse. Dans le générique d’ouverture, leur apparition était systématiquement suivie d’un plan figé, en noir et blanc, les inscrivant déjà dans la légende. Les trois processions du film sont en somme les leurs.
Néanmoins, une certaine douceur compense ce climat sauvage et crépusculaire. Une douceur qui provient d’un respect mutuel désespéré entre hommes qui se jettent bon gré mal gré dans un opéra suicide. Ce ne sont pourtant pas des héros : Pike abrège les souffrances d’un complice blessé, sans broncher. Dutch (Ernest Borgnine) laisse Angel aux mains de Mapache. Mais le film capte quelque chose de très beau dans leur regard ou leur absence ou leur folie : Un abandon tranquille qui va jusqu’à exploser dans ces nombreuses séquences potaches où chacun rie à gorges déployées, au bord d’un feu, dans un sauna ou dans des cuves à vin.
Dans son village natal, pillé par des soldats mexicains, Angel voudra venger la mort de son père, en n’ayant plus comme seule obsession que de tuer son bourreau. Mais qu’importe son bourreau pour les autres, ce qui compte in fine c’est que son père soit mort en homme. Dès lors, si tant est qu’on en avait laissé échapper le sens jusqu’alors, le film est une dernière danse, funèbre, noyée dans la poussière et le sang. Le village, le train, le pont, Aqua Verde sont autant de situations terminales qui voient ou repoussent provisoirement un peu de leur propre mort à chacun. Un butin de pièces d’or convoité se transforme en coup manqué où l’on en récupère que des rondelles de fer grises. Le braquage du train, transportant des caisses de munitions d’armes, est vendu à ceux qui les tueront à la fin. Pas de miracle là non plus. Il s’agit de mourir ensemble.
La cruauté d’enfants qui baignent dans cette violence, observent béat – comme ils observaient le scorpion pris dans l’embuscade des fourmis – les règlements de compte avant de les imiter plus tard dans leur propre monde, encore factice. Mais c’est bien eux qui portent sur Pike le coup de grâce final. Et la course absurde entre anciens comparses hors-la-loi devenu les plus grands ennemis, parce que l’un s’est fait prendre un jour sans l’autre, prend une dimension encore plus absurde dans la toute dernière séquence, post carnage. Leur attendue rencontre n’a pas lieu. Il y a en aura une autre à la place : Deux hommes vieux, l’un touché sur son cheval, l’autre avachi sur le sol, dévoré par le sable, refont alors route ensemble vers rien.
0 commentaire à “La horde sauvage (The Wild Bunch) – Sam Peckinpah – 1969”