Au pan coupé – Guy Gilles – 1968

Au pan coupé - Guy Gilles - 1968 dans * 730 au%20pan%20coup%C3%A9Partir et mourir.

   9.5   Le noir et blanc, tout en gris et dégradés de roses et bleus, est associé au présent, il est cerné, ombragé, morose ; La couleur s’invite parfois, appartenant aux temps de grâce, aux souvenirs.

     Il y a les prémisses d’Un amour de jeunesse dans Au pan coupé. La sensation que l’éphémère échappe au temps. Le visage du garçon convoque d’ailleurs celui du film de Mia Hansen-Løve. Son désencrage du monde et son envie de fuite avec.

     La mort brise l’élan passionnel, romanesque. Elle ouvrait le film dans le récit d’une vieille dame, déjà, qui allait aussi ouvrir ce pan de souvenir. Le film est rempli de ces petites parenthèses infinie, qui surgissent ci et là, au gré des glissements. Souvent, les souvenirs s’invitent au sein d’autres souvenirs.

     « Je préfèrerais le savoir mort que chaque jour l’imaginer loin de moi » dira Jeanne à cet homme qui l’écoute lui raconter ses souvenirs, qui ne sont eux-mêmes pas vraiment ancrés dans le passé puisqu’ils se sont séparés sans jamais se revoir. Le narrateur annonce même que Jeanne ne saura jamais que Jean est mort.

     Il y a aussi du Carax là-dedans dans cette façon qu’ont les personnages de raconter un moment, un souvenir, le souvenir d’un souvenir. C’est écorché, saccadé autant que les plans qui les traversent, courts, comme des flashs. Jean est à Gilles ce qu’Alex sera à Carax. Dans chaque cas ce sont des morceaux d’eux, une incarnation de leur solitude.

     Quelquefois, certains lieux saisis à la volée, se dédoublent. Un gris du présent fondu dans l’image vive du passé, l’errance suicidaire fondue dans la passion insouciante. On exagère volontairement la beauté du passé dans le cinéma de Guy Gilles. C’est une image intime, mouvante. Les visages y prennent souvent tout le cadre.

     Macha Méril, sublime, est ce regard trouble, double, apaisant, bouleversant qui traverse tout le film. Ses yeux sont un océan de divagations et de tristesse. 

     Jean, lui, est ailleurs. Il est fasciné par les murs, ce qu’ils racontent, ce qui y est inscrit. Les murs sont pour lui des poèmes. Jeanne fera l’expérience de cette révolte suicidaire puis elle devra se séparer de ce passé, franchir ce mur, déchirer une vieille lettre, ranger une photo, trier des cartes postales, afin de faire ressurgir tous ces souvenirs, ces instants inoubliables et cet éternel regret de ne pas avoir offert à Jean le goût de la vie.

« Je me souviens » répète souvent Jeanne.

Se souvenir comme vivre.

Se rattacher à la vie.

     Un vieil album lui fait se souvenir. Un vieil album qui raconte la vie d’une femme, inconnue, puisque Jeanne explique que ce vieil album photo, elle l’avait trouvé dans une brocante. C’est pour elle le souvenir d’une vie qui défile racontée, improvisée par Jean. La photo d’un rire rappelle ce rire. Il rappelle sa douceur. « Je voudrais tout recommencer ».

     Là c’est un immeuble en ruines, qui dévore Jeanne et le cadre. Que représente t-il d’autre qu’un engloutissement du passé ? Une dame vient avouer à la jeune femme qu’elle aurait aimé vivre là jusqu’au bout, avec tous ses souvenirs. Elle aussi a le droit à sa couleur, dans un bref souvenir de Jeanne, image figée, image malgré tout.

     Jean dira de la vie qu’elle est perdue loin dans le temps. Qu’en somme, le privilège c’est la vie et non la trace qu’on en laisse. Je ne sais pas si Guy Gilles aura vécu mais il aura laissé cette trace fine, délicate, belle et terrible. C’est un film extrêmement fragile. Pas étonnant que Guy Gilles ait écrit L’été recule à la fin de sa vie. C’est au Memory Lane, de Mikael Hers que Au pan coupé me fait surtout pensé, en fin de compte.

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