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Archives pour février 2016

Ce sentiment de l’été – Mikhaël Hers – 2016

ce-sentiment-de-l-eteL’éternité et un jour.

   8.5   La mort suit le cinéma de Hers depuis ses premiers courts. En filigrane ou de manière frontale, elle fait toujours partie intégrante du décor. Dans Montparnasse, déjà, le segment central suivait la discussion entre deux hommes, ayant le même dénominateur commun : Aude. C’était la fille de l’un, la petite amie de l’autre. Elle n’existe plus mais elle traverse pourtant cette nuit entière, du restaurant à la gare, en passant par les galeries. Ce segment s’appelait d’ailleurs Aude, quand les deux autres portaient celui de son héroïne visible, vivante. Dans Memory Lane, il y a ce papa dont le diagnostic de cancer avait fait revenir ses filles de Beaune et Lyon. Dans Primrose Hill, il y avait une disparition, quelque part, impalpable. Une voix off surgissait par moments et appartenait vraisemblablement à cette fille, dont le souvenir ou le rêve semblait s’extirper des limbes. La disparition est le cœur de son cinéma sans qu’elle soit pourtant au cœur des déambulations de ses personnages.

     Ce sentiment de l’été aborde une fois de plus cette thématique mais de façon diamétralement opposée, à savoir que la mort est ici le déclencheur du récit. Hers qui avait toujours soigneusement choisi de bifurquer ces durs sujets, de les enfouir et les éclairer brièvement au détour d’un dialogue ou d’un souvenir, entreprend d’ouvrir son film dessus : Une femme sort de son lit, emprunte les rues Berlinoises, s’en va travailler. Elle fait de la sérigraphie. Puis, sa journée s’achève, elle quitte son travail pour rejoindre son compagnon, mais s’effondre dans un jardin public. C’est la première fois que la mort agit aussi brutalement et explicitement (On voit la jeune femme tomber, s’évanouir sous les rayons de l’été, s’affaisser dans le cadre) et c’est d’autant plus troublant qu’elle touche l’une de ses muses, Stéphanie Déhel. Une manière pour Hers d’avancer, de gommer et de recommencer, probablement.

     Dans Montparnasse, après être allé boire un verre, Leila et Jérémie, le musicien, décident de marcher. Longue marche, longue discussion vers des cimes prometteuses qu’on ne verra pas. Les films de Hers saisissent à merveille ces sublimes entrelacs, d’apparence anodine, qui sont en fait de sublimes naissances. Les personnages marchent beaucoup dans le cinéma de Hers, mais jamais en sans but, ils rejoignent des points, tracent des lignes sur Sèvres, Montparnasse, ou ici Berlin, Paris, New York pour aller d’un lieu vers un autre. Les acteurs sont parfois même essoufflés. On n’avait pas traité cela ainsi depuis Guy Gilles ou Rivette je crois, dans la solitude comme dans une dimension parfois collective. Parce que l’autre constante c’est le groupe. Même quand celui-ci n’existe pas distinctement, il y a volonté d’inscrire les personnages dans un groupe : La famille à Annecy, l’anniversaire de la sœur de Lawrence à New York, les collègues de bureau de Sacha à Berlin. De les saisir ensemble ainsi que dans leur éclatement. Là où son cinéma semblait se dérouler dans une temporalité restreinte, sur une heure (Montparnasse) ou sur une journée (Primrose Hill) ou sur une semaine (Memory lane) il utilise pour la première fois de grandes ellipses, qui permettent de travailler d’une part sur la durée invisible et d’autre part de constituer une sorte de boucle toujours renouvelée, engrenage habituel dont l’été (et le souvenir de ce décès) constituerait le marqueur indélébile.

     La nouveauté c’est donc de situer cette histoire sur trois étés, en trois lieux différents et de voir ce qu’un événement, aussi tragique qu’une mort brutale et injuste, peut avoir comme répercussions sur son entourage. Jamais le cinéaste n’avait été si loin dans le traitement de la disparition. C’était un risque. Pourtant, son cinéma est resté identique : Saisir ce qui peut s’extirper d’émotion d’un instant en apparence trivial. Il y a ici ce repas post funérailles où l’on apprend à se connaître et où l’on se met à rire franchement, malgré la douleur, par décompression nerveuse. On se souvient dans Memory Lane de ce moment de complicité entre une mère et sa fille, faisant leurs courses au marché, ensemble comme à l’époque peut-on y voir, avant que ne surgisse la pensée de l’insurmontable, qu’elle devienne trop forte, au détour d’une marche sur un square – Se promener, encore et toujours, il n’y a jamais de scène de voiture chez Hers, presque jamais de scènes de transport. Pire quand Raphael, devait garder la fille d’un ami et qu’il paniquait, tandis que la petite, du haut de ses huit ans, semblait comprendre son mal-être et tentait de l’aider de ses modestes moyens. Les enfants ont une place importante dans son cinéma : Ils marquent la frontière brutale entre les grands, accentuent le passage du temps. Dans Ce sentiment de l’été, Nils est un personnage essentiel, puisqu’il sert de passerelle entre le chagrin et l’espoir d’abord, puis plus tard, ellipse aidant, devient un poids malgré lui, au centre d’une séparation qui aura pour nous sévit hors-champ.

     Dans trois de ses cinq films, Ce sentiment de l’été compris, un personnage explique qu’il ne va pas y arriver et s’effondre. C’est une constante d’autant plus émouvante qu’elle n’est jamais ostensible. Et chaque fois pourtant, le personnage en question est accompagné et se sent terriblement seul. Evidemment, chez Lawrence c’est assez simple de savoir d’où cette sensation provient – Rappelons que le titre du film est venu d’une chanson de Jonathan Richman, dont le titre est That summer feeling. Chez Sandrine dans Montparnasse et Raphael dans Memory Lane c’est beaucoup plus flou, d’une part car ils se situent soit à la périphérie du récit, soit le récit ne cherche justement pas à traiter un éventuel background explicatif. Mais ce n’est pas important. La cause chez Hers importe moins que le sentiment présent. Et en aucun cas il faudrait forcément traverser les plus grands drames pour avoir l’impression de ne pas y arriver. Le grand drame c’est celui de la confusion dont on fait tous l’expérience un jour ou l’autre, à plus ou moins grande échelle.

     L’été chez Hers est doux et triste. Il n’y avait pas tant l’influence des saisons dans ses courts, tandis que depuis Memory Lane, on sent une volonté d’ancrer coute que coute, jusqu’à la répétition annuelle ici, son récit dans une ambiance estivale. Je pense que ce n’est pas anodin. C’est un cinéma qui a besoin de lumière, de chaleur. J’adore sans réserve Primrose Hill et Montparnasse, mais leur cachet hivernal ou nocturne les rend plus rêche, disons difficile à apprivoiser, en tout cas sur le long terme. L’émerveillement chez Hers nait plus aisément sur un terrain de handball à Manhattan, plongé dans une clarté qui rappelle la crudité solaire d’un Larry Clark, que dans une sente gelée, silencieuse ou sous un réverbère. Je me dis  que mon infime réserve vient du fait que ce nouveau film est trop solaire pour moi, trop solaire par rapport à l’idée que je me fais (et que j’admire plus que tout) du cinéma de Mikhaël Hers, qui m’avait semblé trouver son atmosphère idéale avec Memory Lane, quelque part entre la douce nuit, les prémisses automnales et les jours de fin d’été. Ça ne s’explique pas de toute façon, le film me touche moins (même si c’est relatif, attendons de le revoir) parce qu’il me semble plus lisse même si je conçois qu’il était important de contrer la morosité d’un tel sujet.

     Hers c’est le cinéma de l’éternel (en ce sens il se rapproche beaucoup de Guy Gilles, au risque de me répéter) au sens où il tente de saisir une respiration qui tient de la mémoire, les retours, le renouvellement, les souvenirs. Filmer des lieux qui lui sont chers participe à cette illusion d’éternité, vertigineuse, une appropriation qui vise à enfreindre la dissolution. Memory Lane était plus vaporeux, sage et flottant sur ce qu’il traduisait de l’évaporation. Ce sentiment de l’été creuse au plus profond, jusque dans le changement de format final, gratuit, instinctif. L’été est un choix intéressant tant cette une saison qui semble caractériser le vide et le plein, les beaux souvenirs et les plus douloureux. Du coup, j’aime beaucoup cette bifurcation du décor, qui complexifie son cinéma alors qu’elle avait à priori tout pour le décharner (lui offrir disons des trouées plus ostensibles). Le cinéaste raconte lors des présentations de son nouveau film qu’il part d’un lieu précis pour écrire. Mais c’est évident. Ces lieux ne sont jamais choisis au hasard (D’ailleurs, il les connait tous) et sont le cœur des films plus que leur simple décor. Si le film se déroule cette fois sur trois pays et plusieurs langues, il ne se brise jamais de l’intérieur, semble naviguer en continu sur des eaux homogènes, ne jamais franchir de réelles frontières. Tout ce qui fait sensation ailleurs tient chez Hers d’une saillie discrète (une mère cachant ses larmes à son fils) et secrète (un maitre d’hôtel transsexuel ou non, suivant la situation).

     Ce qui est terrible ici et qui fascine tout autant c’est la double relation ambigüe que Lawrence entretient avec Zoé et Ida. La première parce qu’ils comprennent tous deux la souffrance de l’autre, se connectent en se rappelant un peu de Sacha mutuellement, alors qu’il entre en relation pure avec la seconde, l’employée de sa sœur, qui semble incarner celle qui lui fera tourner la page. D’un côté une possibilité, une renaissance. De l’autre, une relation qui ne peut avoir d’avenir sinon dans la remémoration perpétuelle de la douleur. Mais c’est une relation qui existe bel et bien, durant trois ans, que l’on sent au bord de l’éclosion. En fait, elle les fera renaître, imperceptiblement, chacun de leur côté, c’est très beau. Ailleurs, on l’aurait utilisé comme love story de substitution au mélo, chez Hers elle sert de vecteur vers un monde nouveau, débarrassée de cette odeur de mort, l’amour pur pour l’un, le voyage au Tennessee pour l’autre. Et ce sont deux nouveaux venus de taille dans le cinéma de Mikhaël Hers qui les incarnent, dont j’espère qu’on aura le plaisir de les y croiser à nouveau, il s’agit de Judith Chemla et Anders Danielsen Lie. Tous deux étincelants, magnétiques. Pour le reste du casting on est en terrain connu à savoir que l’on retrouve beaucoup de ceux présents dans ses films précédents. Auxquels on adjoint les présences de Marie Rivière, Feodor Atkine et Laure Calamy ainsi que les apparitions délicieuses de Joshua Safdie et Mac Demarco. Oui, ça fait rêver.

     Aussi, c’est la première fois que je me pose la question de l’utilité musicale. Elle était idéale dans Memory Lane, irriguait littéralement le tempo mélodique de Primrose Hill et semblait construire une tonalité en trois temps (Souffrance, Deuil, Espoir) dans Montparnasse – Une fois encore, l’assemblage de ses segments ne pouvait se faire qu’ainsi, au moins autant que le Irréversible de Noé n’avait d’autre issue que de s’offrir à l’envers. Elle semble ici plus accompagnatrice qu’autre chose, certes jamais utilisée pour souligner quoi que ce soit, Hers préférant la placer dans les creux ou les moments de silences, mais justement, des silences dont on voudrait qu’ils en restent, des creux dont on aimerait qu’ils installent un malaise plus ferme, d’autant que ce cinéma n’est pas le dernier pour parvenir à saisir miraculeusement les soubresauts infimes de l’environnement dans lequel il évolue. David Robert Mitchell captait bien cette pesanteur dans The myth of American sleepover je trouve, sans trop de piano.

     Si le cinéma de Hers pourrait définitivement évoquer un album de folk qu’on pourrait écouter en boucle, l’oublier pour le plaisir de le retrouver, s’y lover affectueusement ou lointainement suivant l’humeur, il est dingue de constater combien cette fois, le film lui-même et sa progression engendrent ce sentiment, à savoir qu’on peine parfois à s’y perdre dans sa première partie mais que l’on ne veut plus quitter dans sa dernière, l’impression d’une ouverture ténue, indescriptible, qui tient à pas grand-chose. A new York on voudrait que le film dure, s’écoule à l’infini. Puis quitter New York et rejoindre le Tennessee avec Zoé, pourquoi pas.

     Et toujours la marche. On y revient en permanence. Que l’on foule un grand carrefour, un jardin public ou un trottoir, on revit en marchant même si là on commence par y mourir. Une femme s’écroule en effet ici mais plus loin, deux silhouettes marchent l’une à côté de l’autre, longtemps, en silence, puis finissent par se frôler, se donner la main, s’embrasser. Une séquence magnifique, qui pourrait être le symbole Hersien. Une autre quasi identique et aussi avec la sublime Dounia Sichov, illuminait une marche nocturne dans Memory Lane. On pourrait faire un état infini des correspondances, jusqu’aux plus infimes, dans le cinéma encore jeune de Mikhaël Hers, qui ne cesse de faire écho à cette volonté de figer l’éphémère dans l’éternité.

The Knick – Saison 2 – Cinemax – 2015

the-knick-clive-owen-04-900x621This Is All We Are.

   8.0   Je vous épargne les images gores, ai préféré opté pour un photogramme disons plus traditionnel, mais je préviens, cette saison ne lésine pas. Quoiqu’il en soit c’est fort, très fort. Je persiste donc : The Knick est sans nul doute le chef d’oeuvre de Steven Soderbergh.

     Voici dix nouveaux épisodes tous réalisés par Steven Soderbergh. Et ça a son importance tant cela crée une unité d’ensemble, un dosage parfait. On a pu le constater avec la première saison de True detective ainsi qu’avec la récente création de David Simon, une bonne série n’est pas qu’affaire de bon showrunner. Lorsqu’un seul réalisateur s’y colle entièrement ça se sent.

     La série reprend là où elle s’était arrêtée et creuse à nouveau chacun de ses personnages majeurs qui apparaissaient déjà dans la saison introductive : John Thackery, en cure de désintoxication, qui se venge sur l’héroïne, ce qui conduit Algie Edwards à le remplacer au poste de chef de chirurgie, ce qui n’est pas du goût de Gallinger qui va enlever « Thack » et le ramener au Knick à sa manière. Trois personnages phares, complémentaires et contradictoires, acteurs de l’Histoire, révélateurs de l’époque.

     Et puis il y a ceux plus secondaires que la série va prendre grand soin à fouiller de fond en comble : Lucy et sa relation avec son père, pasteur de retour à New York, dont elle suit le prêche avant de se confesser et d’en encaisser les coups ainsi que son rapprochement avec Henry Robertson. Barrow et les pots-de-vin que lui procure la construction du nouvel établissement ainsi que son entichement pour une prostituée dont il décide qu’elle sera la nouvelle femme de sa vie. Soeur Harriet et son mis au ban suite à son importance dans les avortements clandestins, avant d’y voir sa relation avec Cleary, l’ambulancier attitré du Knickerbocker.

     La série multiplie les chassés croisés entre le quotidien de l’hôpital, les grandes discussions autour de son éventuel rachat, sa délocalisation prochaine, la dépendance et la folie de Thackery (Clive Owen est décidément un acteur incroyable), la montée de l’eugénisme (Et la stérilisation des immigrés), les inventions médicales (Rachianesthésie) et toutes les autres (La naissance du cinéma, de la psychanalyse) et poursuit brillamment les interactions entre les personnages, surtout entre Edwards et Gallinger, brosse des portraits personnels profonds de chacun d’eux.

     Certains épisodes se concentrent sur des intrigues parallèles passionnantes et parfois très émouvantes. C’est le cas de ces soeurs siamoises, qui appartiennent à un sale type qui en a fait des bêtes de foire, que Tackery va rencontrer et aider, moins par altruisme que pour s’offrir un défi supplémentaire en leur offrant de quoi les séparer – Ce plan qui les voit marcher chacune de leur côté avec difficulté mais avec le plaisir affiché d’un enfant qui fait ses premier pas, le regard méfiant et émerveillé, est d’une beauté folle. Il y a le nez d’Abigail et cette syphilis (qui s’est à nouveau détériorée à cause d’une bague en toc en guise de greffe) que Thack tente d’abord de guérir en lui faisant choper le paludisme de manière à ce que la forte fièvre tue la première maladie, avant de traiter la seconde. Ici le morphinomane, crâne béant (Séquence devant laquelle il est difficile de ne pas détourner les yeux). Bertie qui après s’être fait un petit séjour à l’hôpital juif du Mont Sinaï, revient avec une obsession pour les sauvetages en dernier recours à base d’adrénaline et essaie de mettre en place les recherches de Pierre Curie pour soigner les cancer par radiothérapie. Là l’explosion dans le chantier du métro rappelle ce que pouvait être les gros rush d’Urgences, les jours d’accident.

     L’épisode 9 sublime s’ouvre et se ferme au Nicaragua par la rencontre entre Thackery  et Robertson et crée un troublant parallèle entre les relations avec les pères : Le parricide de Lucy Elkins d’un côté (couronné par un monologue absolument sidérant de la belle Eve Hewson), le suicide du père Robertson de l’autre, dans les flammes du futur nouveau Knick. C’est riche et passionnant à tous les niveaux.

     Dans la première saison, le score de Cliff Martinez qui faisait très post Drive me dérangeait un peu dans la mesure où il appuyait l’anachronisme, jouait la carte de la sensation. Dans cette seconde salve, je le trouve enfin en phase avec le récit et la forme, plus discret tout en restant marqué au sein de chaque épisode, mais plus puissant dès que retentit le générique final de ces dix épisodes. Comme pour Soderbergh à la réalisation, l’homogénéité de la bande-son accentue la cohésion et la continuité.

     Si ma réserve cette fois tournait au début sur les couleurs (du bon gros filtre bleu, froid, écarlate) lors des scènes extérieures – C’était déjà le bémol que j’avais soulevé après avoir découvert le très beau Magic Mike – je ne le ressens plus dès l’instant que le récit et ses multiples strates se sont mises en route.

     En un sens je retrouve ce qui me séduisait dans une série comme Deadwood, cette sensation du zéro compromis (jusqu’aux personnages, dont les caractères sont nuancés au point de mêler d’une séquence à l’autre identification et rejet), d’être face à quelque chose en marge, qui se construit moins sur ce qu’on attend de lui, que sur une volonté de foncer, agrémenter, enrichir un récit déjà bien dense et complexe.

     Même quand il est prévisible, à l’image du retour de cure de Thackery, on ne sait pas non plus où le récit nous emmène. Ça foisonnait déjà l’an passé mais il me semble qu’on a franchit un nouveau cap ici. J’ai l’impression d’être passé à côté de plein de choses, l’impression que je pourrais aisément tout me relancer et découvrir des éléments nouveaux.

     Les dernières minutes du dernier épisode sont monstrueuses. Frustrantes mais démentes. Je n’en dis pas plus. De toute façon c’est ouvert. On peut tout faire avec une fin pareille. Ou ne rien faire justement (que ça me conviendrait largement) c’est ce qui est beau.

Le clair de terre – Guy Gilles – 1970

12650903_10153438069642106_8585436504218380814_nJe veux voir, le temps perdu.

   9.0   C’est une affaire de découpage, plus encore que lors des deux précédents films de Guy Gilles. La couleur est devenue omniprésente. On sait que la couleur chez lui se fait prison, angoisse, invite à la fuite. Les images vont et viennent comme des flashs. Tout s’accorde avec le personnage qui file vers ses origines, n’est déjà plus là, se voit à Tunis, quitte un Paris flou, fantomatique, grippé, mécanique.

     Lors de son voyage, il croise une femme dans un village d’escale, une Annie Girardot endeuillée mais volontaire, qui dira que l’église ici sonne tous les quarts d’heure comme ça on ne risque pas d’oublier le temps qui passe. Elle parle de son mari défunt. Puis de peinture. Le montage aussi se repose, s’aère, ses couleurs sont plus chaudes, charnelles.

« Prends le temps, prends le temps, le temps de t’arrêter
Prends le temps seulement, le temps de respirer
Prends le temps simplement de regarder les fleurs
Simplement une fleur, et d’aimer sa couleur
Et d’écouter le vent, et d’écouter la vie
La vie qui bat le temps, bat  le temps dans tes veines ! »

     C’est pourtant un village qui semble porter le deuil plus que les autres, mais au sein duquel il y aura cette percée, rencontre sans suite, superbe. Toujours ce paradoxe cher au cinéma de Guy Gilles, qui ne s’enferme pas dans le schématisme. Tout est toujours double sinon davantage.

     Le film est rythmé par des rencontres, brèves comme cet homme sur le bateau ou guidées et durables avec ici une chanteuse, là une institutrice. Plus loin ce sont deux adolescents portant le même prénom, curieux et bienveillants. Plus loin encore, une famille de pied-noir qui n’ont pas bougé. Un dialogue se crée. Une passerelle pour agrémenter ce voyage intérieur.

     Guy Gilles comme Pierre (Ils fusionnent) aussi va sur les traces de son passé. Tunis remplace l’Alger de son enfance ; Et il s’inspire des souvenirs de son petit frère, de neuf ans son cadet, qui aura vécu son déracinement avant l’adolescence. Parfois, quelques photos et cartes postales se glissent ci et là comme des substituts aux souvenirs. Car Pierre n’avait pas six ans la dernière fois qu’il a vu Tunis. Paris aura toujours été associé à la mort de sa mère. Patrick Jouané, son acteur fétiche, est bouleversant dans chacun de ses regards, silences, errances.

« Quand on est petit, le temps de grandir
Parce qu’on croit qu’alors, alors on pourra
Et quand on est grand, le temps de souffrir
Parce que sans souffrir, on n’peut rien avoir
Le temps de chercher, avant de trouver
Et avant d’y être, le temps d’y aller
Le temps de comprendre, le temps d’oublier
D’apprendre et d’attendre, la vie est passée ! »

     C’est probablement celui des trois films de Guy Gilles qui est le plus expérimental. Les plans défilent, toujours dans une brièveté statique tenant de l’album photo dans lequel parfois s’immisce une zone de rêve. L’accompagnement sonore aussi est extrêmement travaillé, foisonnant, entre les sons de la ville, la mer, les cris et d’autres plus délicats à distinguer ; Mais aussi des bribes musicales. On dirait presque un disque d’ambient, tout en entrelacs et mélancolie, j’ai beaucoup pensé au Passagenweg de Pierre-Yves Macé. Le rêve cohabite ici même avec le cauchemar, le souvenir avec le fantasme, dans une séquence nocturne extirpée d’un inconscient torturé.

« Homme libre, toujours tu chériras la mer »

     Si l’institutrice confie que le plus difficile est de voir s’en aller ceux que l’on aime, elle reconnaît que la somme de ses souvenirs l’empêche de s’ennuyer et cite Baudelaire avec malice et plaisir de voir que le temps s’arrête quand on est face à cette immensité bleue. La mer, image parfaite, sera bientôt vectrice de noyade.

     Au bout de son chemin c’est la mort que Pierre va trouver. Pas la sienne, ni celle d’un membre de sa famille, mais celle d’une amie, parisienne, plus jeune que lui. Une mort absurde, terrible qui brise la jeunesse et la fougue qui l’habite. Une mort qui pourtant touchera autant Pierre qu’une simple rengaine, qui le fait pleurer chaque fois qu’elle entre dans ses oreilles. Une rengaine qui rappelle un souvenir, une fille, un bonheur éphémère, dilapidé dans le temps, caché dans les tréfonds de la mémoire, attendant son appel pour réapparaître, cette éternelle rengaine qui vient tirer les larmes.

     J’aimerais voir davantage de films de Guy Gilles mais ces trois-là me suffisent pour y voir un immense cinéaste, singulier, torturé ; Une sorte de Leos Carax avant l’heure, moins mégalo, plus discret. Un jeune poète proustien, d’une intelligence rare.

Inherent Vice – Paul Thomas Anderson – 2015

inherent-vice-image-joaquin-phoenix-katherine-waterston-joanna-newsomStrange days.

   6.5   Pas certain que ça me restera mais je pense que le cinéma américain et plus particulièrement le cinéma de Paul Thomas Anderson peut se porter autrement, après un truc aussi solaire et diaphane, chic et décomplexé. Tout est foutraque, tient sur des esquisses burlesques égarées, des absurdités douces. C’est un film noir qui ne ressemble à aucun film noir, sans repères, tout en collages, astucieux ou hermétiques au choix.

     Je n’ai jamais compris le cinéma de PTA que je trouve surestimé, suffisant, trop accompli mais là j’entrevois ce qui l’anime, qui dépasse largement le cadre du livre (que je n’ai pas lu) duquel il s’inspire, puisqu’il ne s’agit que de mise en scène, de folie de mise en scène, à l’image du premier dialogue entre Phoenix et Wilson. Je n’ai pas l’impression d’avoir déjà vu quelque chose de similaire, de si flottant, embrumé, comme un épais nuage de fumée de pétard, qui reste et imprègne tout. J’étais dedans, j’étais bien, sans trop savoir ce qui m’arrivait, sans trop comprendre quoi que ce soit non plus d’ailleurs.

     J’ai dû m’assoupir un moment, j’ai récupéré le fil quand Shasta est à oilpé. Scène hallucinante. Je n’avais jamais entendu autant le bruit du cuir au cinéma. On entend beaucoup le cuir dans Inherent Vice, il craquelle et exhale un parfum érotique et terrifiant à la fois. Globalement le film est assez hallucinant ou hallucinogène de toute façon, parcouru par des images folles, des bribes indomptables, de sacrés présences (Brolin et ses bananes enrobées de chocolat glacé WTF) un peu comme un Jackie Brown sous LSD, une mouvance sans précédent. C’est un film qui donne le tournis. Un tournis agréable, un good trip post fumette.

     Le grand geste formel pompeux auquel il se raccrochait, jusqu’à There will be blood qui s’ouvrait dans un puits de pétrole et s’égarait dans le grotesque, avec ces interprétations taillées pour les Oscars (Daniel Day Lewis ou Paul Dano), ça me fait penser à Inarritu. Lui avait démarré avec la sidération d’Amores Perros avant de s’engluer dans les films concept (Un plan-séquence pour Birdman) et la prestation hallucinée de Di Caprio en route pour la statuette (The Revenant). PTA s’est trouvé une voie en marge, avec The master, que je n’aime pas spécialement mais dont je reconnais une reconversion assez stimulante. Inherent Vice vient confirmer ce dérèglement. Pour la première fois avec un film de PTA je me dis que je pourrais le revoir avec plaisir, assez vite.

     Inherent Vice rend bien compte d’une frontière, un changement de ton, de période, qui marquerait la fin des années 60 hallucinées, flower power et ses promesses pour entrer dans les années 70, la dégénérescence de l’ère Reaganienne, entre corruption et paranoïa, la fin du rêve. Big Foot en dévore un cendrier de beuh. La lugubre bande originale de Jonny Greenwood affronte quelques morceaux plus chancelants et doux de Neil Young à Minnie Riperton. Il y a une vraie ambiance. Douce et morbide.

     Les deux présences superbes que sont Katherine Waterston et Joanna Newsom, traversent le film comme des flashs, solaires, fragiles, spectrales. Un brouillard permanent d’où s’échappent des saillies burlesques généralement produites par un Joaquin Phoenix hagard et désarticulé, ridicule et fascinant, lucide et débile à la fois.

     Quant à s’ouvrir sur Vitamin C de Can et se fermer sur Any day now de Chuck Jackson, ce n’est ni plus ni moins qu’une belle démonstration de goût.

Wendy & Lucy – Kelly Reichardt – 2009

wendy_and_lucy07Voyage interrompu.

   8.5   C’est un road-movie pas comme les autres, puisque géostationnaire. Ce qui ne l’empêche pas d’être toujours en mouvement, de traverser des rues, des routes, des forêts, des voies ferrées ; D’entrer dans une épicerie, un garage, un commissariat, une fourrière, des toilettes de station-service. De croiser du monde. Wendy et son chien Lucy échouent dans un bled paumé de l’Oregon. Au départ, c’est une étape parmi d’autres, jusqu’en Alaska. Dormir puis repartir. Quand le film s’ouvre, on sait que le voyage ne s’est pas lancé d’hier. Les visages, les fringues, la voiture, une façon de marcher, d’errer, de se débrouiller. On apprendra plus tard que Wendy vient d’Indiana. Autant dire qu’elle a déjà traversé à minima six Etats.

     Le carrefour que va constituer cet apparent lieu d’escale, autant sur le plan physique qu’initiatique ressemble fortement à celui dans lequel s’engage alors Kelly Reichardt, la réalisatrice, qui après les effluves d’errance forestière de deux amis paumés dans Old Joy, et avant le western étique que sera La dernière piste, choisit de mettre en scène ses propres doutes, son goût pour les espaces, les silences, son amour du plan fixe et des discrets travellings. C’est un cinéma qui se rapproche de celui de Gus Van Sant, versant Paranoid park et des frères Dardenne, versant Rosetta. Mais sans l’érotisation du premier ni la charge sociale du second. Enfin disons qu’il y a les deux mais de façon beaucoup plus simple et aléatoire.

     Le voyage statique de Wendy est rythmé par des rencontres, parfois douloureuses comme ce jeune employé de supermarché zélé, qui fait le nécessaire pour que la voleuse serve d’exemple et se fasse arrêter la contraignant à laisser Lucy seule, attachée dehors ; Ou comme ce vieux clochard, qui vient perturber son sommeil en lui crachant sa haine du monde, s’autoproclamant serial killer. Dans ce dédale de solitude, forcément guidé par l’inconnu donc la peur, Wendy rencontre un vieil homme, qui est gardien d’un parking privé vide. C’est lui qui lui demandera d’enlever sa voiture mais c’est aussi lui qui la guidera dans ses nombreux travers (Faire réparer son tacot, récupérer son chien…) n’hésitant pas à lui prêter son téléphone ni à lui proposer un peu d’argent. Et moins distinctement, Wendy croisera la route d’autres laissés pour compte (Routards post-hippies et Sdf recycleurs de canettes) et de simples guichetiers.

     Un film avec un chien c’est toujours un peu dangereux, alors si en plus le personnage le perd ça peut carrément devenir grossier. Ce qui est beau dans le film de Kelly Reichardt c’est que Lucy n’a pas vraiment le temps de devenir Lucy à l’écran puisque Wendy est très vite à sa recherche. C’est un vrai personnage pourtant puisque tout le récit tourne autour d’elle, mais c’est un personnage absent, entre les mailles d’une ville, dont on va traverser chaque parcelle, de simples terrains vagues jusqu’à un quartier résidentiel, qui ressemble enfin à l’Oregon du cinéma qu’on connait. Probablement un moyen accueillant pour accepter ce que ce petit bout de jardin entouré de grillages va nous dire.

     Si le film est si ténu, narrativement parlant, il n’en délivre pas moins une puissante évocation de la solitude, entre abandon trouble et rêves secrets d’ailleurs. Le film se déroule à Portland, terreau du cinéaste Todd Haynes, qui a produit les deux premiers longs de Kelly Reichardt. Et le film vient saisir quelque chose d’étrangement doux de cet étonnant paysage, une douceur brute, inquiétante et bienveillante à la fois. Et du haut de ses soixante-dix-sept minutes, procure cette paradoxale sensation d’angoisse mélodieuse. Et s’avère, grâce en partie à la présence d’une extraordinaire Michelle Williams, infiniment bouleversant.

Les chiens – Alain Jessua – 1979

32Le choix des armes.

   7.5   J’avais été impressionné dans Traitement de choc par l’importance du lieu, Jessua construisant son récit autour d’une thalassothérapie perdue dans une vallée déserte encerclée par des falaises en bord de mer. Il y avait quelque chose de terrifiant dans cette approche faussement accueillante et balnéaire qui masquait le repli d’une société bourgeoise, malade et autarcique. Les chiens va encore plus loin. Jessua choisit la ville nouvelle de Torcy/Marnes-la-vallée, en chantier (encore loin de son cachet Disneyland) pour en faire une microsociété amicale dans son approche publicitaire (nombreux spots télévisés à l’appui) qui cache en fait un communautarisme puant, où règnent la peur et la terreur.

     Le film s’ouvre sur une multitude de plans de la ville, jamais nommée comme si elle était factice et futuriste, où se succèdent des petits immeubles blancs à l’architecture hyper géométrique, qui se ressemblent tous les uns les autres entourée par des terrains vagues, bercée par le bruit permanent des tracteurs et marteaux-piqueurs. Une ville chantier un peu glauque, où s’érige ici un immense centre commercial et là de petites collines que les jeunes traversent en moto cross. On est loin de ce qu’en trouvait Rohmer dans les années 80 (Les nuits de la pleine lune, L’ami de mon amie) qui en faisait un grand village ouvert sur Paris, idyllique et bienveillant.

     Victor Lanoux incarne le médecin généraliste Henri Ferret, qui s’installe tout juste dans cette petite ville de la banlieue parisienne. Il est très vite surpris par le nombre de patients venant à lui pour soigner des morsures de chiens. En effet, sous la peur grandissante, la plupart des habitants s’équipent de chiens d’attaque pour leur protection contre diverses agressions. Le film s’ouvrait sur le viol nocturne d’une institutrice. Plus tard, un magasin est vandalisé. Les chiens sont comme des armes, ils sont pour beaucoup l’unique remède contre l’insécurité ambiante. Et qui dit insécurité dit amalgame, refuge idéal et accessible. Ainsi c’est inéluctablement cette petite communauté sénégalaise qui est visée. « Difficile de reconnaitre un noir de jour, alors de nuit » Soit l’un des crédos de cette population haineuse et raciste, qui s’attaque aussi aux jeunes, en faisant d’une pierre deux coups, tandis que le violeur est parmi l’un d’eux, petit notaire seul et sans histoire.

     Les chiens est aussi un grand film politique. Elle y est présente de manière concrète, puisque l’on suit les divergences municipales à l’approche des élections, mais aussi métaphorique, puisque si le médecin s’oppose discrètement à cette lutte stérile, il se voit bientôt croiser le chemin d’un dresseur de chiens, Morel (incarné par Gérard Depardieu, incroyable, terrifiant, dans l’un de ses rôles les plus mémorables) qui souhaite récupérer, par la peur, d’une part une inflation commerciale (la demande de chiens est grandissante) et d’autre part des voix pour sa campagne électorale. Effet de groupe, dérive sécuritaire ou vengeance légitimée, le film d’Alain Jessua n’hésite pas à creuser la perversité d’une société dangereuse et malsaine, qui ne mise plus que sur l’autodéfense.

     Un personnage intéressant dans le processus de transformation visant à annihiler son humanité pour ne garder que sa sève animale est incarné par Nicole Calfan, la femme violée du début, qui se laisse séduire par Henri Ferret avant de tomber dans les mailles de Morel. Une scène de dressage, absolument dantesque, enterre un peu plus son choix relationnel : Jessua cadre trois visages – Ceux de Calfan, Lanoux et Depardieu – pour en faire une montée d’ébats sexuels suggérés, où la bête mord le dresseur qui encourage la jeune femme à le mordre (Dans un amas de cris et d’aboiements hallucinants jusqu’à « l’orgasme » au ralenti) observés par un Lanoux médusé, qui ne peut que constater la déliquescence de son flirt, devenue proie d’un autre, de façon brutale, comme s’il les surprenait en train de baiser.

     Il n’y a pas de héros dans les films de Jessua. Lanoux traverse le film en observateur, non pas neutre, mais passif, à l’instar d’un documentariste, qui délivre sa propre vision du monde mais sait qu’il ne pourra rien faire pour la changer. Il est assez clair que Lanoux incarne Jessua. Et si le film tente d’emprunter une résolution plus optimiste, il le fait par le biais du personnage féminin, le seul qui ait véritablement évolué pendant le film. C’est de sa résurrection humaine que le salut d’une société débarrassée de ses hommes-chiens (comme les surnomment les ouvriers noirs) dépend.

     Et il y a donc Depardieu, qui incarne un gourou comme Delon l’incarnait dans Traitement de choc : Séducteur, charismatique, manipulateur, intelligent, mystérieux. Le centre de dressage ressemble finalement beaucoup au centre de thalassothérapie. Dans chaque cas, une secte qui dresse des chiens et fabrique des zombies. Il est le visage du Mal toute en puissance redoutable (il laisse parfois ses chiens s’entretuer, afin d’y récupérer le plus mordant) et vulnérabilité impénétrable, dans son amour canin absolu : Lorsqu’une chienne met bas, il semble bouleversé comme de la naissance de son propre enfant.

     Les chiens est un film formidable, visionnaire et terriblement moderne, sur la régression d’une société vers le tout-sécuritaire, dans lequel les chiens ont remplacé les armes à feu. Le film n’est pas exempt de nombreux défauts formels et se révèle parfois même assez bancal dans certains parti pris pas hyper judicieux, ce qui n’atténue pourtant jamais la portée de cet ovni rare, social et politique, qui navigue aussi dans les eaux du thriller horrifico-fantastique.

The green inferno – Eli Roth – 2015

Green-Inferno-4Jungle boogie.

   5.5   Eli Roth avait disparu de la circulation depuis son diptyque Hostel. 2015 le voit donc ressurgir avec deux films, assez différents l’un de l’autre. Knock Knock sorti le premier, à la faveur probablement de la présence de Keanu Reeves au casting, est pourtant tourné deux ans après The green inferno, qui n’aura lui eu le droit qu’à une maigre dispo VOD après avoir été vu dans plusieurs festivals. C’est bien dommage car il vaut plus le détour que la majeure partie des produits horrifiques qui irrigue les salles et/ou plateformes de téléchargement chaque année.

     Et surtout parce qu’il fait renaître un genre tombé en totale désuétude : le film de cannibales. Sous-genre d’exploitation qui fut notamment le faible de certains cinéastes italiens durant les années 70/80 comme Linzi et Deodato. On se souvient de Cannibal Hollocaust, premier vrai found footage (bien avant Blair Witch) qui allait très loin dans l’horreur, jusqu’à l’infamie impardonnable puisqu’on y massacrait d’une part ouvertement des singes et des tortues, afin d’accentuer le réel et faire que le film fasse croire à un vrai reportage en terre cannibale et d’autre part dans son approche pro colonialiste avec ces indigènes qui n’étaient plus réduit qu’à un tas de zombies décérébrés. Point de ça chez Eli Roth, dieu merci, qui a pourtant gardé une bonne partie de sa charge effroyable (The green inferno est dédié à Ruggero Deodato) en y injectant une bonne dose d’humour bien à lui.

     En fait, Roth est peut-être l’un des seuls à mélanger autant l’humour et le gore, sanglant autant que scato. Dans les deux cas c’est archi cru. On chie, on se branle, on gerbe, on arrache des yeux, des langues, des membres. C’est assez complet. Et s’il faut tout de même se farcir une première demi-heure sans intérêt et un jeu d’acteur, comment dire, étrange, le film décolle dès l’instant que les deux mondes se rejoignent. La séquence de basculement se joue en deux temps : Le crash d’avion, très drôle ; L’arrivée en terre indigènes, assez dérangeante. Du pur Eli Roth. Le dégoût avec le sourire aux lèvres. Disons que Roth préfère miser sur le potache. Et j’aime son côté décomplexé, d’autant que la dynamique d’hystérie qui s’en dégage crée un mariage assez original. Il y a des ratés, des béances scénaristiques à l’image de la beuh comme échappatoire qui est un élément de récit dont on aurait pu se passer. Mais dans l’ensemble ça le fait.

     Niveau mise en scène, le film reste relativement bas de gamme. On voudrait que la forêt devienne un personnage, que les exécutions soient moins mécaniques, qu’il y ait un vrai travail sur l’immensité (les séquences sur le fleuve par exemple) et le cloisonnement (le semblant de huis clos dans la cage). Quelques petites choses sortent du lot (Généralement quand le film bascule dans l’horreur pure) mais il manque clairement une vraie ambiance de jungle, une cruauté viscérale et un rythme fort – qui faisait notamment la réussite du Apocalypto de Gibson (autre film de jungle) et son excellente course poursuite sans fin.

     Roth garde néanmoins un regard ironique sur la société américaine, consumériste et touristique (Hostel), domestique et puritain (Knock Knock) ou en s’attaquant directement ici à la bonne conscience activiste, avec cette toile de fond virginité/excision. Qu’il en revienne au cinéma italien « cannibale » pour le raconter, pourquoi pas. Et on sent qu’il en a mangé. Heureusement, il se sépare de ce cachet found-footage (que j’attendais et que je suis ravi de ne pas avoir vu) ainsi que de séquences interdites, ce qui en fait un objet beaucoup moins controversé et suffisant, nettement plus humble et bouffon. Gras, bis et fun, en somme.

Mistress America – Noah Baumbach – 2016

mistress-americaAll That She Wants.

   3.0   Il y a là-dedans tout ce qui me gênait en mode mineur dans Greenberg et Frances Ha (Deux films que je n’ai pas du tout envie de revoir au demeurant) et qui pouvait parfois m’agacer dans Girls ou les derniers films de Woody Allen. Je ne saurais pas dire quoi exactement. Lola Kirke (qu’on retrouvera parait-il dans le prochain Cruise/Liman) qui est donc la soeur de Jemima Kirke (Jessa, dans la série de Lena Dunham) est mimi comme tout. Quant à Greta Gerwig, elle assure comme d’habitude, on la voit, elle éclipse quasi tout le monde. Mais voilà, à part ça, je ne vois rien sinon un truc cynique et égocentrique. La partie introductive Campus chiant / Rencontre de la vamp est insignifiante, mais ce n’est rien à côté de la grande séquence dans la maison d’architecte, vaudeville insupportable, nul, interminable. Et puis il y a la fin, très jolie. Dans un autre film j’aurais même pu la trouver émouvante mais j’étais tellement ravi que ça se termine qu’elle s’est fondue dans la médiocrité globale. De Baumbach, autant je reverrais bien The Squid and the Whale, mais le reste pas du tout, en fin de compte.

Un vampire à Brooklyn (Vampire in Brooklyn) – Wes Craven – 1996

12604704_10153424564902106_8851299881680289900_oNosferatu, le pire.

   2.0   Le film repose à la fois sur une curieuse association et sur leur immense malentendu. Wes Craven et Eddie Murphy. C’est l’huile et l’eau, à priori. Le premier voulait sortir du genre horrifique auquel il a été cantonné, jusqu’à son dernier Freddy qui semblait crier dans chaque plan qu’il en avait marre. Le second souhaitait soudainement évoluer dans un genre différent et espérait au contact de la trempe de l’auteur de People under the stairs, pouvoir offrir des talents autres que son comique façon Le flic de Beverly Hills. C’est d’autant plus amusant de constater que dans la foulée d’Un vampire à Brooklyn, Eddie Murphy tournera Professeur Foldingue et Docteur Dolittle. Cqfd.

     Je ne suis pas un grand connaisseur de la blaxpoitation mais j’imagine que les référents sont à chercher du côté de Blacula et consorts. Sauf que le film de Craven (enfin à ce stade, on serait tenté de dire qu’il est d’Eddie Murphy tant il est l’instigateur de tout) est bien trop terne (une pauvreté mise en scénique encore plus hallucinante que dans certains de ses téléfilms) et sage et s’il ose, son dérapage fait tâche au sein du reste à l’image de la scène de sermon improvisé  à l’humour bien lourdingue où le vampire dans la peau du prêtre vante les mérites du Mal et du Sexe à un public approuvant sans broncher. Ridicule. Reste la transformation de son petit chauffeur/esclave, enfin sa dissolution. Le mec perd une oreille, une main, un oeil et semble bientôt sorti d’un film de Romero mais garde la pêche malgré tout. C’est le running gag du film, assez réjouissant à condition d’être indulgent.

     Je pensais qu’il serait difficile à Craven de tomber aussi bas qu’il le fut pour La créature du marais. Et pourtant. Un vampire à Brooklyn est risible à tout point de vue. Eddie Murphy y est en totale roue libre, forcément. La voix off omniprésente donne envie de filer en courant. Et hormis une scène de cauchemar (encore heureux, on est dans un film de Craven) il n’y a aucune idée de mise en scène. Tout est moche, programmatique, avec des incrustations de Série Z. Je sais que Craven avait besoin de se refaire une santé financière mais là il me fait vraiment de la peine. La bonne nouvelle dans tout ça : Je suis arrivé à Scream. Je jubile.

La Grande Bellezza – Paolo Sorrentino – 2013

La Grande Bellezza – Paolo Sorrentino - 2013 dans Paolo Sorrentino 15011806172514562012886606La moule.

   1.5   Un cauchemar. Qui transpire et pue l’autosatisfaction dans chacun de ses plans, chaque monologue, déambulations, regards caméra, que ça en devient une vulgaire parodie de tout ce que le film cite ouvertement et à outrance : Céline, Moravia, Fellini, Dostoïevski, Antonioni et j’en passe. C’est La dolce Vita du tâcheron. Qui te dit tout du long qu’il n’y a pas de grande beauté sinon le fruit d’un subtil mélange de profane et de sacré, qu’on illustre bien grassement par des éléments contradictoires d’une grande finesse via un esthétisme infâme lors de soirées mondaines enchevêtrées dans des dialogues interminables sur l’Art ou dans l’utilisation musicale éclectique entre Arvo Part et Bob Sinclar. C’est insupportable. Et le pire c’est qu’on le sait en seulement trois plans. Et ça dure 2h15. On pourrait sauver Rome, puisque le film s’y déroule intégralement. Mais c’est tellement filmé à la Sorrentino, toujours maniéré et dégoulinant qu’on n’en garde rien. Hormis, peut-être, ce très doux générique final qui nous fait glisser sur le Tibre.

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