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Archives pour 8 mars, 2016

Préjudice – Antoine Cuypers – 2016

11. Préjudice - Antoine Cuypers - 2016Le vilain petit canard.

   5.0   J’y allais pour Thomas Blanchard (Inupiluk, Memory lane, Les amitiés maléfiques) et pour son savoureux pitch « Lors d’un repas de famille, Cédric, la trentaine, vivant toujours chez ses parents, apprend que sa sœur attend un enfant. Alors que cette nouvelle suscite l’engouement auprès de tous, elle provoque chez lui un ressentiment qui va se transformer en fureur » parce que les carnages familiaux au cinéma m’ont toujours fascinés et que ce fameux Cédric est donc campé par Thomas Blanchard, enfin un vrai premier rôle bien cramé, pour cet immense acteur.

     Préjudice est le premier long métrage d’Antoine Cuypers. Si l’on n’ira pas jusqu’à dire qu’un cinéaste est né, il y a suffisamment de matière dans ce coup d’essai pour présager une bonne carrière de faiseur à la Dominik Moll ou Joachim Lafosse. Oui, lui aussi est belge et lui aussi aime les ambiances chelou. Mais c’est un cinéma à sujet avant tout. L’ambition de Préjudice est moins de jouer sur une montée d’angoisse, de suspense voire d’horreur que de dérouler ses zones d’ombre de manière à dilapider tout ce qui faisait l’absurde gravité de la première demi-heure.

     De cette première mystérieuse partie (mais trop bizarre pour ne pas être agaçante) nous allons apprendre petit à petit à connaître chacun des personnages, de la famille ou rattachés, et les tensions qui animent cette petit famille. Nous allons voir que la maison abritait d’ordinaire un couple et leurs trois enfants, une fille et deux garçons, dont l’un d’eux est absent ce fameux soir de retrouvaille, mais dont on saisit qu’il devrait tous les rejoindre en fin de soirée. Si Laurent (l’invisible) n’est pas là, sa femme l’est, accompagnée de leur fils. La sœur quant à elle est arrivé avec son homme et compte sur cette réunion de famille pour annoncer sa grossesse. C’est sa soirée, elle ne cessera de le dire.

     Le troisième enfant c’est donc Cédric. Il est bizarre, ça saute aux yeux en quelques secondes. Moins sur son visage fermé (après-tout il pourrait refouler une blessure, masquer un drame ou tout simplement être de mauvaise humeur) que dans sa façon d’être, de se comporter, avec son neveu dans la forêt, avec son père au barbecue, avec son beauf sur une simple question boulot. Tous ont envers lui un regard autre, qui ne serait ni celui du mépris, ni de l’indifférence mais plutôt construit sur la crainte, le ménagement. On lui parle sans vraiment lui parler ni attendre une réponse. On l’écoute avec le même détachement. C’est forcément bien trop déconcertant comme ambiance familiale soit parc qu’on a raté un wagon, soit parce que ça tend imperceptiblement vers le surréalisme – Buñuel n’est parfois pas loin, qui plus est sur la question de ce fameux dîner, qui ne se fera jamais.

     En réalité, le film choisit de se vivre quasi entièrement du point de vue de Cédric qui ressent ce rejet, jusqu’à accuser le complot. Le fait d’être Cédric, ses pas, sa respiration, sa pensée, empêche de saisir le véritable nœud familial qui se joue, depuis une éternité. Le film joue tellement avec ce trouble qu’il semble forcer toutes les incompréhensions, et le rôle que cette famille joue en présence de Cédric. On se demande longtemps s’il n’est pas de retour de taule ou simplement un Tanguy ultime, tout en rage contenue et fausse gentillesse exacerbée.

     Le drame qui se joue est plus tragique que ça. Il existe depuis sa naissance. Et le film offrira moult indices pour nous y amener mais joue trop avec ce trouble pour être ce qu’il aurait dû être : Un mélo entièrement dévoué à ces personnages. Là il n’y en a pour ainsi dire pas un pour sauver l’autre. Car à force de tout voir du point de vue de Cédric on ne voit rien et ce qu’il voit et rêve (de fouler un paysage autrichien) nous ne le voyons pas non plus, justement pour qu’on ne saisisse pas d’emblée la portée de sa folie.

     C’est donc l’histoire d’une famille dysfonctionnelle, brisée et fatiguée (le père semble quasi mourant) qui aura vécu avec et pour un fils ou un frère malade, incapable de sortir de la maison de ses parents (La scène dans la forêt revient d’un coup de fouet) et de construire quoique ce soit d’autre que ce qu’il vit au contact de sa mère, qui le fait voyager en lui collant un poster de montagne dans sa chambre, lui fait partager ses cigarettes et semble lui raconter sans cesse qu’elle se sacrifie pour lui depuis toujours, qu’il représente ce fardeau qu’elle s’est choisi.

     Sauf qu’on ne saura jamais vraiment si la fêlure de Cédric ne provient pas d’une trop grande castration de sa mère, qui continue ad aeternam de s’en occuper comme d’un bambin. On ne saura pas vraiment si la tyrannie qu’il projette durant ce repas de fête n’est pas celle qu’il a dégagé depuis toujours. La névrose qui l’habite fait écho à celle de ses parents, qui eux l’ont toujours plus ou moins masquée, forcément – La scène avec le voisin en est l’illustration. Dans ce climat où victimes et bourreaux semblent réversibles jusqu’à l’imposture théâtrale (On flirte beaucoup avec la pose) Cuypers se repose sur la clinicité d’un cinéma hérité d’un certain Haneke et fait d’une ébauche de tentative de bonheur bourgeois (avoir une maison, un jardin, des enfants) le spectacle répugnant d’une masse face aux réprouvés.

Vous voulez une histoire ? – Antonin Peretjatko – 2014

05.-vous-voulez-une-histoire-antonin-peretjatko-2014-900x663Vague à l âme.

   5.5   Dans un premier plan un poil violent, sur un chevet marron un téléphone blanc sonne et un texte (façon machine à écrire) s’immisce dans l’image : « Once upon a time… fuck you ». Ok. Un mantra que le docteur Placenta aurait pu sortir.

     Puis ça enchaîne sur une voix off comme échappée d’un autre temps : « Vous voulez une histoire ? Un semblant d’histoire ? Mettez deux femmes dans un train et imaginez que l’une d’elles est rousse… »

     Ça ressemble à du Guy Gilles. Comme La fille du 14 juillet ressemblait à du Godard, soit pas vraiment. Des images en format Super 8 se succèdent et correspondent à ce que le cinéaste a ramené d’un vieux tour du monde.

     Il est question de plusieurs voyages. Dans un collage solaire, dynamique, foutraque. Une voix off relativement monocorde mais pleine de malice s’amuse à créer un espace de discussion intime avec le spectateur.

« J’arrivais au Japon, sur une musique thaïlandaise, téléchargé en Argentine sur une plateforme luxembourgeoise ».

     Le visage d’une femme rousse « enfin blonde, mais rousse c’est mieux pour l’histoire » est saisie à travers les fenêtres d’un train. Quelqu’un nage dans une piscine d’eau de mer. Le corps d’une autre femme est plongé dans un lit. Ici l’Egypte, plus loin la Russie. Le réel, la fantaisie. Il n’y a plus de frontière.

« Un voyage est surtout un voyage intérieur. Et celui qui ne comprend pas ça ne voyage qu’à moitié. »

     Dans une interview, Peretjatko disait : « Et j’ai fait un tour du monde, c’est toujours étonnant de faire un aller simple jusqu’à la maison, j’ai gagné un jour dans cette histoire car j’ai passé la ligne du changement de date dans le bon sens : de samedi soir, je suis passé à samedi matin. Comme j’avais bu le samedi soir, j’ai eu toute la matinée du jour même pour me remettre de ma cuite et passer un samedi soir normal. C’était un week-end agréable. »

     Je pense que ça cible bien l’humour du bonhomme.

Paris monopole – Antonin Peretjatko – 2010

Paris monopole - Antonin Peretjatko - 2010Tout le monde n’a pas eu la chance…

   5.0   On va dire que je l’aime un chouilla moins que les deux autres car il est beaucoup plus sage, mineur, clairsemé et que j’ai l’impression qu’il pourrait davantage être fait par n’importe qui. J’exagère, évidemment, parce qu’il y a vraiment la patte Peretjatko mais je ressens moins ce sentiment d’urgence et cette folie qui rend son cinéma si singulier. La présence de Hafsia Herzi me pose problème par exemple, alors qu’elle se fondait miraculeusement dans l’univers de Guiraudie.


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