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Archives pour 25 mars, 2016

The Revenant – Alejandro González Iñárritu – 2016

46Hell Ensemble.

   7.0   Biutiful avait sonné le glas de la recette chorale Inarritu. On le savait et apparemment lui aussi. Qu’on l’accepte ou non, Birdman marquait une certaine renaissance ; On lui reconnaissait sa lourdeur mais plus trop ses récits à tiroirs. C’est un film pour lequel j’ai une certaine affection, avec le recul, bien que je n’aie guère l’envie de le revoir. Avec The revenant, le cinéaste mexicain effectue un nouveau virage. Son meilleur. A la fois brutal, esthétique, grandiloquent et stimulant.

     On a beaucoup vanté la performance hallucinée de DiCaprio. En effet, on ne voit pas comment l’Oscar pouvait cette fois, encore lui échapper. Néanmoins, je le trouve excellent dedans, je veux dire jamais dans une surenchère ou un déséquilibre inadapté, où l’on ne verrait que lui. Certes il grimace beaucoup, hurle et grogne (ses lignes de dialogues sont rares) mais comme à son habitude il trouve le ton juste, la bonne grimace, le bon cri. A contrario, Tom Hardy que l’on voit aussi beaucoup, en fait trop en ne faisant rien, avec son accent bien prononcé, ses yeux exorbités et sa démarche de bossu.

     Mais ce n’est pas ce que je vais retenir. Le film me semble bien plus puissant, efficace et démesuré ailleurs. Il est au revenge western ce que Essential killing et Apocalypto étaient au survival. Je les rapproche tous trois puisque, chacun à leur manière, ils ne sont pas irréprochables. On pourrait trouver que ça manque d’épure, formelle et géographique ; On peut aussi regretter quelques passages en force et cette obligation de tout montrer, ailleurs que dans le cheminement du héros, ce qui n’apporte pas grand-chose. La subtilité et le hors champ pur ne sont pas le propre d’Inarritu, on le sait depuis toujours – lui qui a toujours été animé/fasciné par les imbrications et ce besoin d’omniscience. Mais Skolimowski et Gibson n’étaient pas hyper subtils non plus.

     A coté de ça, The revenant est un super film d’ambiance, dépouillé et magistral, tout en montagnes enneigées et infinies, longs chemins forestiers, lacs gelés et nuages crépusculaires. Un Dakota du sud comme on ne l’avait jamais vu. La musique, signée Ryuichi Sakamoto, Alva Noto & Bryce Dessner (Excusez du peu) joue là un rôle essentiel : Oscillant entre de pures giclées de violence sourde ou viscérale avant de replonger dans une accalmie si douce qu’elle en devient anxiogène. La longueur des plans et l’imposante durée du métrage participent beaucoup à sa réussite : Il faut que ça dure pour qu’on accepte d’y plonger. Dans une rivière, une forêt, un combat contre un ours, dans les entrailles d’un cheval. On rampe aussi entre les arbres, on plonge dans les rapides, on mange du bison et du poisson cru, on accepte la lévitation de Hugh Glass (trappeur laissé pour mort après une attaque de grizzly) qui mélange rêves, souvenirs et de pures hallucinations – Comme Gallo, mourrant, y glissait aussi dans le film de Jerzy Skolimovski. C’est l’acceptation progressive de n’être qu’une poussière dans l’Histoire, au point que l’histoire, justement, existe à peine. Inarritu n’a plus vocation de faire du cinéma sérieux et plein comme un œuf. Ce nouveau film est réduit au simple survival sauvage, bestial, excessif, dont la mise en scène immersive vient provoquer une plongée physique, parfois insoutenable, similaire à celle qui emporte Glass dans les nombreux obstacles qu’il est amené à traverser.

     The Revenant est semble t-il très proche dans ses lignes d’un film de Sarafian, Le convoi sauvage (Que je découvrirai d’ici peu) mais c’est à un autre cinéaste auquel on pense beaucoup ici : Andreï Tarkovski. On peut voir sur Vimeo une vidéo troublante mettant en relation des plans similaires entre le film d’Inarritu et toute la filmographie du russe, de L’enfance d’Ivan à Stalker. C’est assez flagrant, notamment dans le plan d’ouverture. Le must : Si vous superposez le meilleur morceau de la bande son, Goodbye to Hawk, avec la séquence de télékinésie de l’enfant dans Stalker, le résultat est des plus bluffant. In fine je suis agréablement surpris de voir que le cinéaste mexicain s’inspire d’un tel maître, même si la photo de The revenant fait clairement plus Malickienne, Emmanuel Lubezki oblige, que Tarkovskienne et que tous les rouages hollywoodiens sont de la partie. Quoiqu’il en soit, je suis ravi d’être à nouveau emporté par un film d’Inarritu car je ne voyais pas trop comment cela pouvait être encore possible.

Urgences (ER) – Saison 5 – NBC – 1999

12794650_10153499352947106_7290917859973568133_oA good fight.

   9.0   J’avais oublié à quel point c’est une série qui me demande beaucoup d’énergie – L’effet Friends tranquilou bilou en parallèle a sans doute crée un gouffre supplémentaire. Surtout j’ai l’impression, plus qu’avec nulle autre, que c’est une série constante, toujours cohérente dans ses intentions, mais meilleure à mesure pour la simple et bonne raison que chaque personnage a désormais son vécu à nos yeux et non un banal background hors champ. On a vu se dilapider le mariage de Mark Green, se construire la relation Carol/Doug, apparaître la maladie de Jeannie, la récente paternité de Benton et bien entendu, depuis le tout premier épisode, l’histoire de John Carter avec le County Hospital. Carter est notre guide depuis toujours. Et c’est avec lui qu’une sorte de boucle se ferme ici puisqu’il doit à son tour former une étudiante externe comme Benton l’avait formé cinq saisons auparavant. On sait dès le premier plan de ce nouvel opus (un blessé qu’elle recueille avant les secouristes, sous le passage du métro) que la jeune Lucy aura sa place au sein de cette kyrielle de personnages que l’on a appris à connaître et découvrir, personnellement autant que dans le cadre du travail.

     Cette cinquième saison est une merveille de construction, complète et cohérente dans chacun de ses enchainements et rebondissements narratifs. Je me souviendrai longtemps de The storm, ce double épisode (Le seul double épisode que la série aura offert, d’ailleurs) magnifique, éprouvant, où logent les prémisses d’une tempête de neige, un accident de car scolaire bien creepy, l’histoire de Mobalage & Kobe et la présence d’un enfant en stade terminal d’une maladie dégénérative, qui conduit à la fin de George Clooney. Doug Ross s’en va donc brutalement, par la grande porte puisque démissionnaire, après une décision instinctive allant à l’encontre des règles hospitalières – En gros, il aide l’enfant à s’en aller en lui injectant une dose létale. Mais s’il n’y avait que ça. Si de nombreux personnages récurrents traversent maintes épreuves, que faut-il dire de ceux qui débarquent et disparaissent aussi vite, ces patients éphémères ? Un épisode hallucinant, A good fight, chevauche deux dynamiques : L’hôpital d’un côté qui s’affaire pour garder en vie une femme pendant que Lucy & John partent à la recherche de son mari, unique donneur. C’est un épisode extraordinaire, étouffant, qui un peu à la manière de celui de l’éclampsie, Saison une, se concentre sur un seul patient. Heureusement qu’il y en a peu des comme ça car ils sont émotionnellement ingérables. J’étais sur les rotules.

     Que dire de celui avec cet accident de voiture, cette adolescente qui s’en va vers une probable paralysie pendant que son frère, brulé intégralement, va mourir ? Au début, on attend la venue d’ados (allant à leur bal de fin d’année) accidentés, à la fin on accueille les parents, défaits, inconsolables. Un épisode terrassant de plus. Mais parfois, au détour d’un épisode parenthèse, on s’extirpe de ce climat irrespirable et anxiogène, quand Peter Benton s’en va faire un remplacement dans un trou perdu du Mississipi. L’épisode The miracle worker constitue encore une belle boucle comme Urgences aiment en concocter de belles, où d’un côté un garçon se meure pendant que de l’autre une fille a besoin d’une transplantation du même groupe sanguin (offrant une belle évolution dans la relation Lucy/John qui doivent tout faire pour faire signer le don d’organe à une mère bouleversée par l’Avc brutal de son enfant) le tout quand une vieille femme décède et qu’un bébé naît dans la pièce d’à côté. C’est quoiqu’il en soit une saison sombre pour plein de raisons – à moins que mon impression soit biaisée par le temps que j’ai mis à regarder cette cinquième saison après avoir dévorer les quatre premières l’an passé – quasi systématiquement compensée par un petit détail humoristique qui apaise sans guérir : Le singe en peluche qui danse la Macarena ici, les coupures de courant à répétition là.

     J’en avais déjà parlé mais qu’importe, quel plaisir de retrouver cette superbe mise en scène, à la fois homogène et tout en variations, préférant les entrées dans les lieux selon de longs plans séquences en mouvement qui n’hésitent parfois pas à tourner autour d’une dizaine de personnages récurrents, qui bougent dans tous le sens et déblatèrent leur jargon, avant de privilégier, une fois le cadre installé et admis (Salle de trauma, d’opé, d’attente, hall, vestiaires, on sait à tous les coups où l’on se trouve) par le spectateur, des champs contre champs plus classiques. Un filmage qui fait 80% de la réussite de la série à mon humble avis parce qu’il englobe tout : L’existence d’un tel lieu clos, l’urgence de la plupart des situations, la rapidité des chassés croisés et l’importance de la         présence de chaque élément du personnel hospitalier. Oui j’avais oublié à quel point j’aimais tant cette série. 22 épisodes ça peut pourtant paraître long mais il semble n’y avoir aucun gras. Cette série me fait tant souffrir mais fichtre que je l’adore.

The Assassin (cìkè niè yǐnniáng) – Hou Hsiao Hsien – 2016

hou-hsiao-hsien-si-j-ai-voulu-porter-a-l-ecran-the-assassin-c-est-peut-etre-parce-qu-il-y-avait-des-femmes,M311912Magie chinoise.

   4.5   Hou Hsiao Hsien, Shu Qi, film de sabre, prix de la mise en scène à Cannes. Il faut reconnaître que ce sont des données qui, réunies, attisent au minimum beaucoup de curiosité. Il faut préciser la relation que j’entretiens avec le cinéaste taïwanais : Si Millennium mambo m’est cher, très cher, je m’y perds souvent, qu’il en advienne d’une admiration plastique distanciée (Les fleurs de Shanghai) ou d’une construction inégale (Three times). The assassin est un choc esthétique sans précédent. D’une beauté formelle hallucinante. Quelque part entre Aguirre, d’Herzog et Tabou, de Gomes – Deux de mes films préférés. Est-ce suffisant ? Je l’ai cru un moment, puis j’en suis sorti progressivement, avant de décrocher. Comme pour Les fleurs de Shanghai (Ce sont deux films miroirs, je crois) je n’ai aucune empathie pour ce que je vois, autant pour les personnages que le récit qui les porte. Je ne vibre qu’avec les couleurs, battements de tambours, drapées, paysages colossaux, éclairages bougies, fulgurances sabreuses. Ça pourrait durer ainsi longtemps si je n’avais pas l’impression continue que ce sont les personnages qui occupent l’écran, ces mêmes personnages pour lesquels je n’éprouve rien. Sans parler des codes et d’une dynamique volontiers épileptique que je ne maîtrise pas. Les vibrations s’amenuisent alors parce que ce récit tutélaire (dans lequel je ne suis jamais entré) m’empêche d’accéder à l’hypnose convoitée, cet état que Millennium mambo avait miraculeusement trouvé : Entre l’ascèse et la giclée émotionnelle. Déjà, le segment central de Three times m’avait beaucoup gêné ; à croire que Hou et moi sommes plutôt fait pour nous entendre dans une dimension plus contemporaine.

Un jour avec, un jour sans (Jigeumeun-matgo-geuttaeneun-tteullida) – Hong Sangsoo – 2016

12The We and the I.

   7.0   Il s’agissait de mon treizième rendez-vous avec l’univers du cinéaste coréen. Treize films, que du bon. Si j’ai manqué quelques uns de ses plus récents – Sunhi, Haewon et les hommes, Matins calmes à Séoul – car il faut dire que Hong n’a jamais été si prolifique, je m’y sens bien, en famille. C’est un cinéma que l’on reconnaît entre mille, tout en subtiles variations d’un film à l’autre. Celui-ci fait le lien parfait avec le précédent, Hill of freedom, en choisissant cette fois une ambiance hivernale. La construction, elle, a plus à voir avec La vierge mise à nu par ses prétendants, non loin d’Une sale histoire, de Jean Eustache : Deux parties de durée similaire, identiques dans leur approche, subissant d’infimes modifications, mais suffisamment significatives pour tout changer. Les répétitions coutumières habitent cette fois le cœur du film, coupé en deux morceaux, qui sont des miroirs déformés suivant les changements qui résident au sein de chacune. C’est comme si HSS avait voulu écrire une histoire de deux manières différentes. Il s’agit dans les deux cas d’une rencontre entre un homme et une femme, lui est un cinéaste (rien d’étonnant si l’on est familier du cinéma de HSS) tandis qu’elle tient un atelier de peinture. Dans la première partie, chacun porte son masque, les échanges sont brefs et désordonnés, jusque dans ce pathétique et stérile repas alcoolisé (On a rarement autant picolé dans un film de Hong Sangsoo, vraiment) qui ne débouche sur rien de probant sinon une vérité cachée qui annihile tout embryon de romance. Dans la seconde, le jeu de séduction est plus franc, donc plus rêche au premier abord. Ham critique les peintures pastel de Heejeong qu’il avait encensé une heure plus tôt ; Il admirait sa créativité tandis qu’elle manque dorénavant d’audace à ses yeux. C’est paradoxalement cette mise à nu des sentiments qui va leur permettre de s’ouvrir honnêtement l’un à l’autre. Si la première partie n’est donc pas facile à apprivoiser justement parce qu’elle manque d’envergure, cocasse et dramatique, lui campé dans une gentillesse lassante, elle dans une douceur effacée, la seconde rachète absolument toute cette apathie et pas seulement qu’au niveau du récit. En effet, le cinéaste change de nombreuses choses, se sépare de quelques scènes, en étire d’autres et plonge l’intégralité de son récit autour de cette relation, quand il ornait la première de séquences plus anodines (L’ouverture à la patinoire, la fermeture à la conférence). Une fois de plus chez Hong, la rencontre opère dans un laps de temps trop court. Ham est arrivé un jour trop tôt pour la présentation de son film, il se repose dans la cour d’un temple et voit apparaître littéralement (Heejeong surgit au détour d’un plan panoramique) la jeune femme, lui parle, l’invite à boire un café. Ses films sont souvent des petites choses en apparence, qui finissent systématiquement par devenir grandes.

L’énigme du Chicago Express (The Narrow Margin) – Richard Fleischer – 1953

the-narrow-margin_302978_27751Aller sans retour.

   7.5   Outre le fait que ce Fleischer se déroule quasi entièrement dans un train, à l’exception de deux escales – les dix premières minutes qui nous y conduisent et une plus brève un peu plus loin – le film parvient à garder un rythme hallucinant d’un bout à l’autre, voguant entre cabines, étroits corridors et voiture bar avec une aisance de déplacement bluffante – accentué par de nombreuses prises caméra à l’épaule. Souvent relayé par de classiques transitions « train en marche » (afin de respirer un peu) et de salvateurs fondus enchainés (les bielles de la locomotive qui se transforment en lime à ongles, notamment) voire des surimpressions permettant de rester sur le même tempo tout en faisant avancer le récit, à l’image des deux/trois scènes de télégrammes ajoutées sur le mouvement du train, L’énigme du Chicago express est une formidable film noir dans la tradition du genre. Le récit est sec, famélique (une banale histoire de protection, le temps d’un voyage ferroviaire, d’une veuve d’un grand bandit, qu’une poignée de malfrats cherche à abattre, qui doit témoigner tout une liste de personnes compromises dans les affaires de son mari) et sans fioritures (1h11) si ce n’est cette fine thématique du double qui provoque un twist gratuit mais bien vu, aux trois quarts. Autrement, les dialogues vont à l’essentiel, Fleischer leur préférant les articulations physiques qui se nouent autour de sept/huit personnages, tout au plus et la tension que l’exiguïté du décor vient renforcer. A part ça, c’est fou ce que January Jones (Mad Men) me fait penser à Jacqueline White, dans ce film tout du moins.


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